Quand le nom de Khalifa est apparu, à la fin des années 1990, avec la naissance de Khalifa Bank, la rue se posait des questions suspicieuses sur cette personne, qu'on ne connaissait pas encore, qui ouvre une banque privée, surtout que cette dernière offre des taux d'intérêts de 8 à 15% au moment où les autres banques ne proposent que 3 à 10%. Qui est-il, d'où lui vient l'argent, sa banque est-elle viable, peut-on s'y fier ou est-ce un coup d'éclat seulement ? Ce sont toutes ces interrogations qu'on entendait. Aucune réponse ne venait de nulle part évidemment. Le personnage restait entouré de mystères, qui ouvraient la voie à toutes les lectures, certaines plausibles et d'autres des plus farfelues. On dira qu'il avait hérité d'une grande fortune comme on prétendra qu'il n'est que l'homme de paille, le prête-nom, d'un ponte du pouvoir et/ou de l'armée, avant que quelques informations ne soient livrées sur sa famille et la modestie de sa fortune qui aurait été fructifiée (on reste dans l'hypothétique) grâce à des crédits qu'aurait contractés Moumène Khalifa avant de se lancer dans les affaires. Mais quand on apprendra que des entreprises et des institutions publiques ont ouvert des comptes chez Khalifa bank - sur instruction de leurs tutelles, dis la vox-populi- c'est la ruée. Des milliers de petits salariés et commerçants s'empresseront de profiter des alléchants taux d'intérêts. Moins d'une année plus tard, Khalifa Airways est lancée. Viendront ensuite une école de formation de pilotes, une agence de location de véhicules, une télévision (basée à Paris), des partenariats avec des clubs de foot, dont l'Olympique de Marseille, des sponsorings de voitures de course... A tout cela s'ajoutent les fêtes grandioses qu'organise à l'étranger le milliardaire, qui s'affiche avec des stars mondiales du showbiz et les enveloppes d'argent qu'il distribue du geste auguste du semeur. Le flou artistique s'accentue autour de Khalifa, l'origine de sa fortune, ses relations… mais l'argent est un bon argument qui chasse les scrupules et fait taire les consciences ne s'embarrassant pas de principes. Si l'habit ne fait pas le moine, le costume fait, lui, le pape. Et Moumène Khalifa est devenu un pape de la finance et des affaires. Mais quand l'affaire de la Khalifa bank éclate, elle fait l'effet d'une explosion qui soufflera toutes les défenses et protections dont se prévalait et/ou qu'on prêtait au golden boy. Les citoyens ne sont que passablement étonnés. «C'était clair qu'il y avait anguille sous roche», dira-t-on. Toutefois, peu de gens croit à des révélations fracassantes. D'ailleurs, le procès ne fera tomber que des seconds couteaux. Le premier mis en cause, Moumène Khalifa, s'était réfugié en Grande-Bretagne. Une demande d'extradition est formulée par l'Algérie, mais rien ne vient pour l'heure. «Pourquoi n'ont-ils pas attendu qu'il rentre au pays pour déclencher l'affaire au lieu de le faire alors qu'il était à l'étranger, s'il l'était vraiment, et pouvait donc fuir ?». C'est une des questions qu'on entendait dans la rue qui ne croyait pas du tout que la justice demandera des comptes, encore moins épinglera, tous les complices, surtout les hauts placés. La suite le confirmera. On aura droit à un procès incolore, inodore et insipide. Beaucoup de bruit pour rien, la montagne accouchera d'un souriceau. Et ce ne sera pas le seul. Car, d'autres grosses affaires de corruption, blanchiment d'argent, dilapidation de deniers publics, détournements et/ou abus de pouvoir éclateront, mais ça sera autant de baudruches qui se dégonfleront aussitôt. Révélées par la presse, elles font l'événement et défrayent la chronique. Pour autant, ça ne fera pas systématiquement jouer la justice. Et quand elle intervient, elle prend tout son temps pour les traiter. Or, le temps est l'ennemi de la mémoire. Les affaires ne sont pas étouffées. On laisse la poussière du temps se déposer dessus jusqu'à ce qu'elles se fassent oublier par l'opinion publique qui a d'autres soucis plus terre-à-terre à gérer. On a eu l'affaire de la Banque commerciale et industrielle d'Algérie (Bcia) qui a éclaté à Oran en 2003 et dont le procès, prévu le 30 janvier dernier puis renvoyé au 6 mars, est de nouveau reporté au 17 avril 2013, dix ans. Il y eu les scandales de la fuite des copies du baccalauréat, des détournements de fonds du Plan national de développement rural et agricole (Pndra) et du Fonds national développement rural et agricole (Fndra), de l'autoroute Est-Ouest, pour ne citer que ceux que l'amnésie n'as pas couvert encore, qui attendent toujours d'être traités. Quant à la méga-affaire de Sonatrach, elle est certainement le couronnement de ce qui se fait de pire dans la corruption et tous les délits de gestion. Avec ce scandale, on s'est même payé le luxe d'avoir des épisodes. On a désormais Sonatrach 1 et Sonatrach 2, et ni l'un ni l'autre n'a trouvé son épilogue. Et la question revient : les coupables seront-ils tous traduits devant la justice, jugés et sanctionnés quels que soient leurs rangs, leurs fonctions, leurs statuts et postes ? Rien n'est moins sûr si on se réfère à la «tradition». On a même dit que la programmation du procès de Khalifa bank, pour le 2 avril prochain, est intervenue pour éclipser l'affaire Sonatrach 2. Toutefois, un fait nouveau est intervenu : le premier magistrat du pays s'est prononcé pour signifier qu'il attendait de la justice qu'elle aille jusqu'au bout dans son action et qu'elle sanctionne tous les coupables, quels que soient les postes qu'ils occupent ou occupaient. Le fera-t-elle ? L'attente du Président, qui a l'allure d'un avertissement à l'adresse de tous ceux qui seraient tentés de bloquer la machine judiciaire, trouvera-t-elle écho au tribunal ? Les réponses à ces questions seront livrées par les résultats du prochain procès de Khalifa bank. C'est le véritable test par lequel la justice démontrera son indépendance, ou le contraire. Et si l'Etat de droit se manifeste dans ce procès, tous les espoirs de voir les autres affaires défiler devant les juges renaîtront, et, avec eux, la confiance des citoyens en leur justice et leur Etat.