Chaque journée voit des visiteurs éclater en sanglots pendant la visite du château d'Elmina, construit sur 97 000m² à l'ouest de Cape Coast, au Ghana. Initialement construit en 1482 par les Portugais comme un comptoir commercial de l'or sur le Golfe de Guinée, il a été transformé en 1637 par les Hollandais en forteresse pour le commerce transatlantique des esclaves. Au cours de ces journées, les touristes découvrent de luxueuses suites où jadis des marchands d'esclaves européens séjournaient et exploitaient sexuellement des esclaves femmes. Ils découvrent aussi des cachots qui autrefois abritaient les esclaves, et les couloirs sombres et minables qui conduisaient à la «porte du non-retour». Cette porte se trouve dans les murs extérieurs du château, face à la mer, et a été baptisée ainsi parce qu'une fois traversée, les esclaves ne revenaient plus jamais. De la «porte du non retour» les esclaves étaient conduits vers des embarcations qui les transféraient plus loin en mer sur de grands bateaux, pour un long et horrible voyage vers les Amériques. Dans le recueil de voyage intitulé 1 000 Places to see before you die (1 000 sites à découvrir avant de mourir), Patricia Schultz souligne qu'au 18ième siècle, jusqu'à 30 000 esclaves traversaient la «porte du non retour» chaque année. Anouk Zijlma, une guide de voyage malawienne, raconte sa visite au Château d'Elmina : «Vous pouvez toujours ressentir la souffrance ambiante, elle est persistante.» Le château d'Elmina, classé au patrimoine mondial par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) en raison de son importance, est l'un des nombreux vestiges de l'esclavage au Ghana et dans d'autres pays africains. Il y a le Château de Cape Coast, toujours au Ghana, visité en 2009 par le président américain Barack Obama, son épouse Michelle et leurs filles. Lors de cette visite, le président Obama a déclaré que ce site lui rappelait le potentiel de l'homme «à exceller dans le mal». Un autre comptoir d'esclaves, l'île de Gorée au Sénégal, qui lui aussi produit des émotions terrifiantes. Après avoir visité l'île de Gorée en Mars de cette année, Chernor Bah, un jeune activiste sierra léonais, a écrit : «J'ai été touché par cette expérience, l'histoire de la traite négrière est vicieuse.»
Commerce transatlantique des esclaves Le professeur d'économie Nathan Nunn de l'Université de Harvard, déclare que bien que l'Afrique ait traversé quatre périodes de traite des esclaves entre 1400 et 1900, la traite négrière transatlantique demeure la plus connue. Les Portugais l'ont commencé en 1519, et au moment où elle prenait fin en 1867, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et d'autres s'y étaient déjà engagés. Environ 15 millions de personnes d'Afrique de l'ouest, d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Est ont été capturées et transférées dans des conditions inhumaines vers des colonies européennes. Environ 9,6 millions de personnes auraient survécu, tandis que des millions d'autres sont mortes pendant le voyage. Alors que des questions se posent encore sur ce qui aurait motivé des humains à infliger une telle brutalité à leurs semblables, la traite négrière transatlantique reste une cicatrice sur la conscience du monde. Le sociologue américain Orlando Patterson d'origine jamaïcaine parle de l'esclavage comme une «mort sociale», car les esclaves étaient considérés comme de sous-hommes indignes d'être membres de la société. Mais le monde se lève maintenant d'une seule voix contre les époques de la traite négrière, et les visites aux anciennes fortifications d'esclaves au Ghana, au Sénégal et ailleurs ravivent la colère contre une telle cruauté, passée et présente. Dans cette optique, l'Assemblée générale des Nations Unies en 2007 a établi le 25 mars de chaque année, journée internationale de commémoration des victimes de l'esclavage et de la traite transatlantique des esclaves. Pour l'ONU, cette journée «est l'occasion d'honorer et se souvenir de ceux qui ont souffert et sont morts dans ce système odieux de l'esclavage, et de nos jour, de sensibiliser sur les dangers du racisme et des préjugés».
L'esclavage contemporain L'ONU veut que tous se mettent ensemble pour éradiquer l'esclavage moderne, un constat clair des pratiques esclavagistes qui aujourd'hui existent encore. En 1997, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a constitué une équipe d'experts pour combattre «les formes contemporaines d'esclavage», y compris «la servitude pour dettes, le servage, le travail forcé, l'esclavage des enfants, l'esclavage sexuel, les mariages forcés ou précoces et la vente de femmes en vue du mariage». Gulnara Shahinian, la première rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage, affirme que «les femmes et les filles qui sont forcées à se marier se retrouvent dans des mariages serviles pour le reste de leur vie ... Rien ne justifie ces formes d'esclavage, même pas les considérations traditionnelles, religieuses, culturelles, économiques ou sécuritaire». Mme Shahinian ne le déclarait pas sans fondement. Public Broadcasting Service, une chaîne de télévision américaine à but non lucratif, rapporte qu'en Asie du sud, 48% des filles sont mariées avant l'âge de 18 ans. L'Afrique, affiche 42%, alors que le taux est de 29% en Amérique latine et dans les Caraïbes. Le International Center for Research on Women (Centre international de recherche sur les femmes), une organisation américaine à but non lucratif qui vient en aide aux femmes des pays en développement, fournit d'autres statistiques montrant des situations aussi déplorables dans plusieurs pays africains. Par exemple, au Niger, 77% des filles se marient avant l'âge de 18 ans, tandis qu'au Tchad, ce pourcentage est de 71%. En outre, il y a l'interminable lutte contre le racisme. En 2006, le Camerounais Samuel Eto'o, l'un des grands footballeurs africains, a mémorablement quitté le terrain de football en signe de protestation quand les partisans du club adverse scandaient des cris de singe à son égard. «Dans de telles situation vous vous demandez s'il y a quelque chose de mal à être noir.» Tout en prenant conscience de la nécessité de réprimer de telles attitudes dans le milieu sportif, la bonne nouvelle est que les instances sportives du monde ont pris des mesures disciplinaires contre les racistes.
Esclavage et sous-développement de l'Afrique Selon plusieurs chercheurs, il existe un lien entre le sous-développement de l'Afrique et la traite négrière transatlantique. Le document de travail de M. Nunn «Les effets à long terme de la traite des noirs», conclut que «les parties de l'Afrique qui aujourd'hui sont les plus pauvres sont aussi les zones d'où ont été déportés le plus grand nombre d'esclaves dans le passé». M. Nunn s'intéresse au sous-développement en Afrique sub-saharienne. Citant des données datant de 2000, selon lesquelles le revenu moyen par habitant était de 1 834 dollars en Afrique, M. Nunn souligne que ce chiffre est considérablement inférieur à la moyenne de 8 809 dollars par habitant pour du reste du monde. Il soutient que, les 72 % d'écart de revenu de l'Afrique d'avec le reste du monde n'existeraient pas sans la traite négrière. «En termes de développement économique, l'Afrique ne serait pas différente des autres économies en développement.» Dans leur mémoire de recherche The Fundamental Impact of the Slave Trade on African Economies (Impact fondamental de la Traite négrière sur les économies africaines), Warren C. Whatley et Rob Gillezeau de l'Université du Michigan aux Etats-Unis partagent le point de vue de M. Nunn. Des ressources avaient été «déviées du travail agricole et industriel en faveur du commerce des esclaves», affirment-ils. La traite des esclaves a non seulement dépeuplé l'Afrique, ils soutiennent qu'elle a aussi retardé son développement à long terme, accentué les divisions à caractère ethnique et social et favorisé une culture de la violence.
Commémorations à gogo Depuis que l'émancipation a commencé à prendre de l'ampleur, il y a presque deux siècles, la traite négrière transatlantique demeure encore un sujet sensible. Le théoricien kenyan Ali Mazrui Al'amin demande des réparations par l'assistance aux Africains en Afrique et dans la diaspora dans la lutte contre la pauvreté et la bonne gouvernance. M. Mazrui affirme que le transfert de compétences pourrait constituer une part importante des réparations parce qu'«historiquement, les Noirs du monde entier sont détruits, marginalisés et affaiblis à cause de la longue histoire de victimisation et d'exploitation». Plusieurs commémorations émancipatoires clés ont lieu cette année. 150 ans se sont écoulées depuis la proclamation de l'émancipation aux Etats-Unis, 220 ans depuis l'émancipation des esclaves en Haïti, 180 ans au Canada, dans les Antilles britanniques et au Cap de Bonne-Espérance, 170 ans en Inde, 165 ans en France, 160 ans Argentine, 150 ans dans les colonies hollandaises et 125 ans au Brésil. Pour l'ONU, des chercheurs comme M. Mazrui et bien d'autres, 2013 est une occasion à la fois pour célébrer et recentrer l'attention sur l'éradication de toutes formes d'esclavage moderne. K. I. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU