La presse algérienne a «traité» ces dernières années -souvent sommairement faute d'enquêtes conséquentes- plusieurs affaires portant sur la corruption et la dilapidation des derniers publics. Depuis le début des années 2000, le sujet occupe régulièrement les manchettes des journaux. Il est généralement question d'irrégularités dans la passation de marchés publics, de surfacturation, d'évasion fiscale, de détournement de crédits bancaires, de trafic d'influence, d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, de favoritisme et de clientélisme politique. Aucun secteur n'a échappé au scandale. Même les hautes instances judiciaires ont eu leur propre lot avec l'histoire rocambolesque des magistrats faussaires et les insuffisances du système pénitentiaire. Dans le secteur de l'éducation, il y eut l'affaire des faux bacheliers, la divulgation récurrente des sujets d'examens, la gestion opaque des œuvres sociales et diverses entorses entachant les concours de recrutement des personnels. Les dénonciations affectent aussi l'université concernant l'octroi des bourses à l'étranger, les nominations aux postes de responsabilité et la gérance des budgets destinés à la recherche scientifique. Dans le secteur de la santé, on évoque avec insistance des connivences d'intérêt avec les cliniques privées au détriment des malades, la surfacturation du médicament et des faveurs dans la prise en charge des patients dans les grands établissements du pays ou à l'étranger. Dans le secteur de l'agriculture et du développement rural, il est question de détournement du foncier agricole, de fonds de développement du secteur, de malversations dans l'octroi des subventions et des crédits bonifiés, de sous-location des terres de l'Etat par les exploitants. Les journalistes ont dénoncé dans ce domaine plusieurs anomalies dans la conduite du Plan national de développement et de régulation agricole (Pndra) et du Fonds national de développement agricole et rural, mais sans aller au fond des choses. Concernant les travaux publics, l'affaire dite de l'autoroute Est-Ouest prédomine dans le débat. On a parlé de commissions et de pots de vins versés par les Chinois et les Japonais pour s'octroyer ce juteux contrat. Dans la finance, l'énorme escroquerie du groupe Khalifa, le dossier de la Bcia et le détournement de 3 200 milliards de la BNA occupent le haut du pavé. Dans l'industrie, l'affaire Tonic Emballage a fait couler beaucoup d'encre, même si de nombreuses zones d'ombre restent encore à éclaircir. Dans le secteur pétrolier, les médias ont aussi ébruité les affaires Sonatarch I et II dans lesquelles sont impliqués de hauts responsables du département de l'énergie et des mines. Au sein de l'administration des collectivités locales, on a eu droit aux affaires des anciens walis de Blida et d'Oran, entre autres scandales compromettant des centaines d'élus locaux. Dans le domaine de l'habitat, les promoteurs escrocs sont légion. Le logement subventionné, destiné aux salariés, est accaparé ostensiblement par des affairistes et des spéculateurs immobiliers. A la lecture de ce rappel sommaire, on dirait, a priori, que tout le monde est corrompu, car la presse, qui les a révélé au grand public, n'a pas encore les moyens et la maturité requise pour aller au bout de son œuvre et pour démasquer clairement les auteurs de malversations, leurs protecteurs, les bénéficiaires, le comment et le pourquoi. Mais, contrairement à cette apparence, dans tous ces cas, la corruption est toujours l'œuvre d'une poignée de personnalités bien placées, qui usent de leur influence pour dissimuler la documentation et l'information nécessaires à cet éclairage. Quand la justice se saisie de ces affaires, les «gros coupables» échappent toujours à la sanction. Ce sont toujours des lampistes et des subalternes qui payent à leur place. Ces cadres moyens, qui commettent les erreurs sous la pression de leurs chefs hiérarchiques, servent alors de boucs émissaires. A ces victimes expiatoires s'ajoutent les dommages incommensurables pénalisant des populations entières ou des milliers de travailleurs et de salariés qui, du jour au lendemain, se retrouvent au chômage sans aucune indemnisation. Le groupe Khalifa, par exemple, a arnaqué des centaines de milliers de déposants, dont de nombreux établissements publics. Sa faillite a mis aussi des milliers de salariés à la rue. La grande responsabilité de cette escroquerie du siècle incombe manifestement au ministère des Finances de l'époque et aux responsables qui y ont placé les Fonds publics (Conseil d'administration de la Cnas, le ministère du Travail et de la Protection sociale…). La faillite de Tonic Emballage a aussi jeté à la porte des centaines de travailleurs sans aucune compensation. L'attribution de subventions agricoles à des affairistes de tous poils qui sous-louent des terres auprès des faux exploitants que tout le monde connaît, pénalise les vrais agriculteurs. L'octroi de l'habitat subventionné à de faux salariés profite à la spéculation au détriment des vrais demandeurs de logement. Et ainsi de suite. Dans les démembrements institutionnels de l'Etat et au sein des entreprises et des établissements publics, il y a encore beaucoup de cadres compétents et intègres qui endurent une pression incroyable. Pour lutter efficacement contre la corruption, il faut frapper à la tête. Le subalterne conditionné ne doit plus payer les abus de son pourri de chef. Le simple citoyen sait parfaitement tout cela. Il voit que le petit bureaucrate, qui croupit toujours en prison, n'est pas le propriétaire du gros patrimoine illégalement amassé par son supérieur, qui a «miraculeusement» échappé aux enquêtes de la justice. Pour le dire clairement, Khellil et Bedjaoui doivent payer en premier dans le cas Sonatrach, bien avant les Attar, Rahal, Meziane et consorts. C'est une exigence fondamentale de la démocratie et de l'éthique politique. Dans l'affaire Khalifa, les Medelci, Sidi Saïd, Khalifa et Bouguerra Soltani, qui reconnaissent publiquement leurs mauvais calculs, doivent en assumer les conséquences bien avant les simples convoyeurs de fonds qui transfèrent des fortunes dans des sacs poubelles. Autrement, ce serait comme si on traitait les symptômes au lieu de s'attaquer à la maladie. Malgré l'impression que tout cela inspire, les corrompus et corrupteurs sont connus dans toutes ces affaires. Il appartient à la justice et au reste des institutions concernées de s'acquitter impartialement de leur mission pour s'affranchir elles-mêmes et s'émanciper des tutelles, réelles ou supposées, qui semblent leur baliser le chemin.