«C'est la dernière séquence…C'est la dernière séance…Le rideau va tomber», ce sont les paroles d'un tube d'Eddy Mitchell ô combien applicable à la situation des salles de cinéma de Constantine et plus particulièrement de celles qu'on appelle les cinémas de quartier. Bab-El-Kantra (Olympia), Bellevue (ABC), Sidi-Mabrouk (Versailles), Souika (Royal), la rue de France (Triomphe puis cinémathèque) et Bardo (Cirta puis deuxième cinémathèque et le défunt Alhambra victime d'un incendie durant les années cinquante) ont, depuis que l'industrie du cinéma est née et que le septième art s'est installé en Algérie, eu leur salle. Il importe peu que l'occupant français ait créé ces salles dans l'intention de contenir les populations dans leurs quartiers et partant, de mieux maîtriser la circulation des autochtones mais il n'en demeure pas moins que, si tel était le cas, une telle option a plus servi les Constantinois et desservi son promoteur. Ainsi, jusqu'à la fin des années soixante-dix, cinéphile ou non, amateur de films d'art et d'essai, de fiction, l'habitant de la ville des Ponts avait le choix entre six longs métrages avec une salle qui s'est plutôt spécialisée en films arabes et hindous (Cirta). Le fils du propriétaire de la salle (nationalisée au début des années soixante et restituée à la fin des années 90) soulignera pour sa part : «En fait, mon père a acheté cette salle à des associés français, juifs et marocains rien que pour projeter au profit de nos compatriotes des films réalisés et produits par les pays arabes, notamment l'Egypte. C'était, disait-il, pour sortir nos compatriotes d'un isolement culturel, voire festif sciemment entretenu par les Français.» Effectivement, dans l'un de ses numéros, la Dépêche (An Nasr, aujourd'hui) titrait en une : «Un agriculteur investit dans la culture». L'acquéreur était originaire d'une famille de propriétaires terriens, en l'occurrence Chentli. De Douglas Fairbanks Jr. à Sashi Kapoor en passant par Burt Lancaster, Kamel Ech Chenaoui, Rochdi Abaza, les Constantinois allaient pleinement profiter de tous les genres que pouvait produire le cinéma mondial. La transformation de deux salles en cinémathèque ou salles de répertoire de la Cinémathèque algérienne allait apporter un plus dans la mesure où, grâce à la dynamique installée à l'époque par deux jeunes cinéphiles, Constantine allait devenir le lieu incontournable du cinéma arabe et maghrébin avec la mise en place de deux festivals pour l'un et l'autre. Les plus grandes figures du cinéma arabe (réalisateurs, producteurs et stars) et invités en guest stars d'autres grands noms du cinéma occidental s'y pressaient. A l'heure actuelle, plus aucun cinéma n'est ouvert. Dans leur majorité, les cabines de projection sont soit frappées d'obsolescence, soit inexistantes, les sièges dans un piteux état et généralement rongés par les rats. L'une des salles (ABC) n'a plus de sièges, l'indu occupant ayant d'autorité décidé de la transformer en salle des fêtes totalement dévoyée. Les élus communaux n'ayant, en général, aucune relation avec la culture ont laissé faire depuis le début des années 90 en avançant comme prétexte «le vide réglementaire et juridique» ayant conduit à leur attribution à des privés. Un entretien que nous avons eu récemment avec le vice-président chargé du dossier nous a permis d'apprendre qu'une «proposition avait été faite à l'assemblée pour la modification des salles de cinéma en commerces» (sic). La ministre de la Culture promet pourtant la réouverture des salles et se fixe un quota jusqu'à 2012. Constantine ne semble pas être concernée.