Par Abdelkrim Ghezali Au-delà de l'esprit et de la lettre de chacune des Constitutions qu'a connues l'Algérie, le problème majeur qui se pose en Algérie et ce depuis l'indépendance, est l'application et le strict respect du texte fondamental et des lois qui en découlent. Pourtant, la stabilité d'un Etat repose fondamentalement sur des piliers immuables et inviolables : la reconnaissance de l'identité d'une nation et de ses composantes de façon claire et intégrale afin qu'elle soit à l'abri de toutes surenchères idéologique et politique, la séparation des pouvoirs garantissant l'indépendance de la justice et des législateurs, la décentralisation de la décision et de la gestion des affaires publiques, l'égalité des citoyens en droits et en devoirs et la sacralisation des libertés individuelles et collectives. Certains de ces principes sont en théorie reconnus dans la Constitution de 1989, mais n'ont jamais réussi à se concrétiser et à se traduire en pratiques. Pour Miloud Brahimi, cité par le quotidien Liberté, «depuis l'Indépendance, la Constitution n'a jamais beaucoup pesé dans la vie des Algériens. Les autorités ont fait grand cas de l'installation d'une commission d'éminents juristes alors qu'amender la Constitution n'est pas l'affaire des seuls constitutionnalistes». Le vieux routier du barreau commentant la déclaration de Sellal lors de l'installation de la commission de révision constitutionnelle, qui a garanti aux membres de cette commission qu'ils étaient «libres» sauf de toucher aux constantes nationales, a conclu : «en somme, ils ne sont libres de rien du tout». Pour Miloud Brahimi : «Une Constitution républicaine dont le but est d'asseoir la démocratie comporte un aspect technique qui réside dans le suffrage universel et un aspect éthique beaucoup plus important, à mes yeux, puisqu'il regroupe des valeurs universelles telles que les droits de l'Homme, les droits de la femme, l'alternance au pouvoir, etc.» D'après lui, beaucoup s'attachent à l'aspect technique de la Constitution pour finalement «tordre le cou à la démocratie». Pour lui, il n'y a qu'à voir ce qu'il est advenu du vote dans les pays voisins à la faveur du Printemps arabe, «si mal nommé», d'ailleurs, d'après lui. L'avocat recommande surtout de sortir du «mimétisme occidental», notamment français, auquel la législation algérienne continue à faire des emprunts. Me Brahimi propose, ainsi, la création d'une institution qui serait chargée de veiller à la protection de la Constitution. «Un peu à l'image de la Turquie, le seul pays musulman où des islamistes n'ont pas remis en cause le caractère républicain du pays, les droits de la femme, etc. La Constitution doit tracer une ligne rouge.»
Pourquoi réviser la Constitution ? En général, la révision d'une Constitution est une exception et non une règle. Elle intervient dans des cas précis de crise institutionnelle et de développements socio-économiques et politiques majeurs. Le seul cas d'une révision justifiée est celui de 1989 après les bouleversements induits par les évènements d'Octobre 1988. Vingt-six ans après l'indépendance, la société a changé, ses besoins ont évolué et le système mis en place en 1962 était trop étroit pour contenir et gérer les mutations sociologiques et politiques du pays. Pourtant, au lendemain de l'indépendance, l'Algérie n'était pas unipolaire. La société était traversée par des courants politiques et de pensées divers hérités de la période coloniale. La consécration du système à parti unique et à pensée unique n'était pas une nécessité pour la société mais le régime avait pour objectif de castrer la société, la vider de sa substance et de son génie. Les Constitutions de 1962 et de 1976 sont à ce titre exclusives et négationnistes de la pluralité politique de la société. La pression exercée sur la société à généré des tensions explosives qui ont conduit à maintes reprises à des crises sociales et politiques dont le summum a été la tragédie nationale. Cette tragédie inédite, ne s'explique pas uniquement par la lutte pour le pouvoir entre l'Establishment et un courant politique radical, mais surtout par le système politique algérien étouffant, truffé de contradictions et qui ne sert que le régime en place. Les limites des révisions de la Constitution sont manifestes puisqu'elles n'ont rien modifié à la réalité institutionnelle du pays et n'ont pas permis l'émancipation sociale. La liberté de pensée, de culte, le pluralisme politique, les libertés fondamentales individuelles et collectives sont reconnus dans la Constitution depuis 1989. Ces libertés se sont exprimées avec force entre 1988 et 1991. Dès 1992, des restrictions formelles et informelles se sont imposées à la faveur d'un gel non déclaré de la Constitution, encouragé par la peur qui s'est saisie des Algériens face à la menace de l'effondrement de l'Etat. Le rétablissement de la paix civile dans les années deux mille, n'a pas diminué le poids de la chape de plomb qui pèse sur la société et l'opposition formelle. Si la Constitution de 1996 a réhabilité les libertés publiques et le suffrage universel, dans les faits, ces libertés sont bafouées et la crédibilité des élections est largement discutable. Le plus grave dans cette période charnière, sont les injustices commises, la hogra érigée en mode de gouvernance, un Parlement aux ordres, et une justice inféodée à l'exécutif. L'Algérie aura connu depuis le retour à la paix civile, le plus grand nombre d'émeutes sociales générées par la mauvaise gouvernance aussi bien au niveau central que local. En d'autres termes, les problèmes de l'Algérie ne sont pas dus à une Constitution antidémocratique ni à des lois répressives, mais à un système politique qui se situe au dessus de la Constitution et des lois. S'il faut modifier la Constitution pour que le système et ses gardiens restent immuables, ce serait peine perdue. L'Etat de droit, avant d'être démocratique, suppose que nul n'est au dessus de la loi. S'agit-il alors d'élaborer un texte fondamental qui permet le toilettage du système ou de pérenniser la tactique de la poudre aux yeux à travers des dispositions qui ne s'appliqueront pas ?
Réhabiliter l'Etat et les pouvoirs constitutionnels La nature du régime politique en Algérie est un faux débat. L'Algérie n'a jamais été un régime présidentiel ou parlementaire encore moins à cheval entre les deux régimes. De Ben Bella à Bouteflika, à l'exception de la période de Boumediène, le pouvoir a toujours été dilué dans un euphémisme présidentialiste en apparence mais sans exercice réel des prérogatives définies par la Constitution. Les connaisseurs des arcanes de pouvoir parlaient à un certain moment du «cabinet de l'ombre», de «pouvoir occulte», et, aujourd'hui, on parle de «clans au pouvoir». Manifestement, le compromis tacite au sein du pouvoir a toujours supplanté les constitutions qu'a connues l'Algérie et c'est ce compromis qui détermine la nature du pouvoir, ses humeurs et ses articulations. Le vrai débat et le vrai défi, consistent à réhabiliter l'Etat, les pouvoirs constitutionnels et les institutions de la République. Pour y parvenir, il s'agit en premier lieu de réhabiliter la citoyenneté commune unique source de pouvoir et de sa légitimité. L'histoire de l'Algérie ancienne et récente n'a nullement besoin de gardien encore moins de tuteur. Elle est le patrimoine commun de tous les Algériens et c'est sa prise en charge scolastique, académique et culturelle qui la protège, l'épanouie et la socialise. La légitimité historique et révolutionnaire à fait ses preuves et a montrer ses limites. Elle ne peut désormais servir de paravent pour pérenniser un système obsolète, castrant et étouffant. A ce titre, seule la citoyenneté algérienne doit servir de référence à l'exercice du pouvoir et à sa légitimation. Pour que le citoyen algérien puisse prétendre à l'exercice du pouvoir, faut-il qu'il soit libre de toute entrave, qu'il puisse exercer ses libertés fondamentales individuelles et collectives, qu'il puisse produire et assimiler des idées et les exprimer librement dans tous les canaux de communications disponibles sans restriction aucune. Faut-il encore que ce citoyen puisse se structurer librement autour d'idées et de projets de société qui ne menacent ni la quiétude collective, ni les libertés consacrées, ni les droits des citoyens. Faut-il encore que tous les citoyens soient égaux sans distinction d'origine ethnique, confessionnelle, ou sexuelle. A ce propos, n'est-il pas urgent d'expurger les lois des contradictions iniques qui reconnaissent la citoyenneté de la femme d'une part, et la prive de ses droits de citoyenne d'autre part à travers un code de la famille primitif ? Pour que la citoyenneté soit consacrée et sacrée, faut-il que sa voix soit respectée et que son représentant dûment mandaté ait le pouvoir d'exercer son mandat conformément à ses engagements et à sa conscience. Pour que cette citoyenneté soit consacrée, encore faut-il qu'en tant que justiciable bénéficier de toutes les garanties d'un procès juste devant un tribunal dont les juges n'ont que la loi et leur conscience comme référence. Pour que la citoyenneté ait un sens, faut-il encore qu'elle s'exprime et s'exerce partout à travers le pays, dans des structures régionales et locales qui disposent de larges prérogatives de sorte à agir sur son quotidien et à gérer ses affaires en fonction des spécificités et des impératifs locaux. Il s'agit en fait, de créer les conditions nécessaires de l'épanouissement d'une vie politique et sociale conformément aux vœux et aspirations de la majorité des Algériens. La révision de la Constitution n'est pas une affaire de bricolage technique mais une conception philosophique de l'émancipation d'une nation et d'un Etat. La Constitution ne peut être conçue en fonction des humeurs d'un groupe, d'un clan ou d'un système déjà en place. Elle est avant tout, mode de fonctionnement d'une communauté nationale avec ses différences, ses contradictions et ses rêves. Il s'agit de trouver le bon compromis pour garantir les équilibres nécessaires à une cohabitation harmonieuse et stable entre tous. A. G.