Quinze mois après la chute de Mouammar El Kadhafi, la Libye est face à l'une de ses pires crises politiques. Le nouveau pouvoir libyen éprouve les plus grandes difficultés à imposer son autorité dans un pays où d'importantes quantités d'armes sont en circulation et où les milices armées, issues de la révolution, agissent à leur guise. La mainmise des milices dans ce pays crée un climat de chaos qui inquiète le gouvernement, la population et les chancelleries occidentales. A Tripoli, la seule loi qui prime est celle des hommes armés. Ces derniers ont réussi à faire pression sur le parlement qui a adopté une loi qui prévoit d'exclure les cadres ayant travaillé sous Mouammar Kadhafi de la Fonction publique et de la politique pour une dizaine d'années. Ce vote, qui cède aux exigences des miliciens armés, confirme l'influence que continuent à avoir ces derniers sur le fonctionnement de l'Etat. En fait, l'Etat libyen n'existe presque pas et ce sont les groupes armés qui gèrent le pays. Ces derniers ont, pendant une quinzaine de jours, équipés de canons antiaériens et de mitrailleuses lourdes, bloqué les accès à certains ministères. Ils ont agit ainsi pour appuyer leur exigence d'une exclusion des cadres sous le régime Kadhafi, craignant qu'ils ne facilitent un retour de ses fidèles. Plus réaliste, le gouvernement s'y est opposé, conscient du manque de compétences dans le pays. Le bras de fer s'est terminé par le triomphe de la loi du plus fort, la loi des armes. Et des armes en Libye, il y en a énormément. Du côté des anciens rebelles seulement, au moins 18 000 n'ont pas accepté de rendre leurs armes et d'intégrer la nouvelle armée que le gouvernement tente de mettre sur pied. Les anciens rebels préfèrent garder leur pouvoir et l'exercer en mettant à feu et à sang la Libye. D'ailleurs, pas plus tard que mercredi dernier, des groupes armés ont attaqué et incendié un commissariat en plein cœur de Benghazi, pour venger la mort la veille, d'un des leurs par les forces de l'ordre. «Hier soir, il y a eu une attaque contre le commissariat de police d'Alhadek. Les forces de sécurité ont tenté de défendre le bâtiment et ont tué un des assaillants», avait expliqué un responsable des services de sécurité de la ville. La police s'est retirée du commissariat qui était en feu et des coups de feu étaient entendus autour du bâtiment. Cette attaque est intervenue deux jours après l'explosion d'une voiture à Benghazi, ayant fait une dizaine de morts et autant de blessés. Malgré les multiples attaques armées et les morts recensés, les autorités libyennes privilégient la thèse de «l'accident» ! Bastion de la révolution libyenne, Benghazi a été le théâtre ces derniers mois de plusieurs attentats et attaques contre les services de sécurité et des intérêts de pays occidentaux, dévoilant l'incapacité des autorités à assurer la sécurité. L'insécurité qui règne en Libye pousse les habitants à manifester mais sans trop de conviction. Impuissants, les libyens regardent leur gouvernement malmené par les milices et leur Etat partir en éclats. Le Premier ministre libyen, Ali Zeidan, a reconnu que la Libye traversait une période de vulnérabilité. «Les tentatives du gouvernement d'unifier les brigades se sont souvent soldées par un échec, à l'instar des Comités suprêmes de sécurité (CSS), un organe hybride entre les ministères de l'Intérieur et de la Défense, auxquels ont été incorporés beaucoup de révolutionnaires. La seule chose qui ait changé est qu'ils sont désormais payés par le gouvernement mais, ayant été intégrés par brigades entières, leur loyauté reste acquise à leur commandant de terrain», a expliqué Samuel Laurent, consultant risque-pays et auteur de Sahelistan (Seuil, 2013). Ce qui explique les fréquentes attaques de miliciens appartenant aux CSS contre des représentants de l'Etat. En 2012, 22 responsables de la sécurité nommés par l'Etat ont été tués dans la ville de Benghazi. Le pouvoir central étant faible, les milices font tout pour garder leur marge de manœuvre. Ils tirent profit de l'instabilité politique et du vide sécuritaire pour s'arroger le contrôle du territoire et de ses frontières. Assises sur un véritable arsenal militaire certaines brigades, comme celles de Misrata ou de Zinten, ont acquis un rôle démesuré. Un comité d'experts du Conseil de sécurité des Nations unies a alerté en avril dernier sur le fait que «la Libye est devenue, au cours des deux dernières années, une source significative et attractive pour les armes dans la région.» Elles restent pour leur majorité aux mains des civils et des milices. Face à cette situation de chaos, Londres et Washington ont annoncé, la semaine dernière, qu'ils évacuaient une partie du personnel de leurs ambassades à Tripoli. D'autres ambassades occidentales ont également réduit leurs effectifs en raison de risques sécuritaires aggravés. Le centre culturel britannique a annoncé quant à lui qu'il fermait ses portes. Dans le même sillage, le géant pétrolier anglais BP à retirer son personnel étranger de ce pays. En fait, le climat d'insécurité qui règne en Libye inquiète fortement les puissances occidentales qui se préparent au pire. Le commandement de l'armée américaine a pré positionné dernièrement des forces militaires et des équipements militaires sur la base de l'Otan dans l'île italienne Sigonella (Sicile), pour réagir à toute menace contre le personnel diplomatique et consulaire des USA en Libye. Le Pentagone veut éviter la même négligence commise le 11 septembre 2012, lors d'une attaque armée contre le consulat américain à Benghazi où ont été tués quatre diplomates, dont l'ambassadeur des Etats-Unis à Tripoli, Chris Stevens. A l'instar des Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont pris une série de mesures pour parer à toute situation d'urgence en Libye. Ce pays risque fortement donc de voir de nouveau son territoire occupé par les forces étrangères. Il est en voie de désintégration. Seule issue pour le gouvernement actuel, c'est de réussir le défi de la restauration des forces de sécurité de l'Etat. Construire une nouvelle force armée est un processus long car la Libye est un Etat tribal, traversé par les régionalismes. C'est un grand chantier, très difficile à mettre en œuvre. Les milices ne disparaîtront pas de Libye avant que les problèmes politiques soient résolus, et avant que les Libyens aient confiance dans leur gouvernement. Ce qui ne sera pas pour demain. H.Y.