C'est avec beaucoup d'humilité que le directeur des Cahiers de l'Orient, le Franco-Libanais Antoine Sfeir, s'est exprimé hier au Centre culturel français d'Alger. Lors de cette conférence de presse, organisée sous l'initiative des éditions Sedia, autour d'un de ses essais réédité en Algérie en 2008, Vers l'Orient compliqué, l'écrivain, journaliste et grand spécialiste du Proche-Orient et du monde arabe, expliquera d'emblée sa démarche : transmettre le savoir qu'il ne cesse d'ingurgiter, le rendre accessible à tous. Les grandes questions internationales seront parcourues par le conférencier qui parlera du nationalisme arabe. Après la conférence, le fondateur des Cahiers de l'Orient a répondu à quelques-unes de nos questions. Entretien réalisé par Fella Bouredji LA TRIBUNE : Avec l'instabilité économique générée par la crise financière et l'élection de Barak Obama à la tête de la grande puissance mondiale, quels sont les changements attendus, selon vous, dans la situation du Proche-Orient, marquée par les conflits et la précarité ? M. Antoine Sfeir : La grande attente qu'on puisse avoir, c'est de voir les régimes arabes dialoguer, se parler entre eux. Et parler veut dire se connaître, car c'est la voie de l'apaisement. Ça s'est déjà fait par le passé au sein de la Ligue arabe mais ils n'arrivent plus à le faire car il y a un renfermement voulu par la puissance unipolaire. Un renfermement de chaque Etat arabe sur lui-même qui a mené à l'éclatement du monde arabe. Après la fin de la première guerre du Golfe, en 1991, lorsque l'Union soviétique est tombée, le monde est devenu unipolaire et tous les Etats se sont précipités vers la Maison-Blanche pour se faire reconnaître. Et c'est à ce moment-là qu'il y a eu éclatement du monde arabe. Ça a d'ailleurs été la descente aux enfers à partir de 1991. Justement, en parlant de descente aux enfers… vous faites un constat très inquiétant sur ce qui se passe au Proche-Orient et sur l'éclatement des pays arabes, mais peut-on espérer tout de même un apaisement ? Et pensez-vous que l'arrivée de Barak Obama au pouvoir puisse changer quelque chose ? Vous savez, la descente aux enfers a assurément une fin. Quand on touchera le fond, on ne pourra que remonter. Ce que je déplore, c'est que les Arabes ont la fâcheuse manie de ne pas savoir compter sur eux-mêmes. Et les jeunes d'aujourd'hui, sur lesquels tous les espoirs peuvent être fondés, manquent malheureusement de culture sur le monde arabe, parce qu'ils n'ont pas été les récipiendaires d'une transmission de savoir. Pour ce qui est d'Obama, il y aura certainement des changements dans la forme mais pas pour autant dans le fond. Toutes les attentes sont tournées vers lui mais je ne sais pas ce qu'il en sera. Il a beaucoup à faire avec la crise financière et l'instabilité économique auxquelles sont confrontés les Etats-Unis, mais s'il prend le soin de dialoguer avec tout le monde pour réussir à décrisper la situation au Moyen-Orient, ce serait déjà beaucoup ! Pensez-vous que l'Algérie peut jouer un rôle dans l'apaisement de ces tensions ? Ce que je peux vous dire, c'est que l'Algérie est un pays qui a un énorme pouvoir. C'est l'une des capitales du nationalisme et un symbole du panarabisme. Elle a un rôle à jouer pour contrer l'éclatement du monde arabe. En évoquant la politique étrangère américaine depuis le 11 septembre 2001, vous ne parlez pas d'échec mais plutôt de succès, est-ce que cela veut dire que les Etats-Unis sont parvenus à leur fin à travers ce qui se passe actuellement en Irak et par conséquent dans toute la région du Proche-Orient ? Tout à fait, vu sous leur prisme, il s'agit bien d'un succès. Nous sommes en train de vivre l'achèvement, la cristallisation de la stratégie américaine. Ce n'est pas par hasard que le monde arabe est dans un état d'éclatement. On assiste actuellement à l'achèvement de la construction stratégique américaine qui est d'affaiblir le monde arabe et de le mener à son éclatement par l'établissement de micro-Etats basés sur le communautarisme afin, bien sûr, de contrôler la région.