Le monde entier regarde attentivement les événements qui se déroulent en Egypte. Mais notamment la Tunisie, berceau du printemps arabe, où l'opposition a lancé sa propre version du mouvement égyptien Tamarroud, le mouvement qui a mobilisé des millions d'opposants au président Mohamed Morsi poussant l'armée à le destituer. Le soulèvement populaire contre Morsi donne des idées aux Tunisiens, déçus par leur révolution. D'ailleurs, le porte-parole de Tamarroud Tunisie, Mohamed Benour, a déclaré à la presse que «la jeunesse tunisienne marche dans les pas des jeunes Egyptiens. Nous ne sommes pas satisfaits de ce qui se passe dans le pays, qu'il s'agisse des atteintes aux libertés ou des difficultés économiques et sociales». Mardi dernier, il s'est exprimé sur la chaîne Nessma TV et a rappelé les revendications de son groupe qui n'appelle ni à l'anarchie ni à la violence comme sa dénomination pourrait sous-entendre. Les principales revendications du Mouvement sont la dissolution de l'ANC (l'Assemblée constituante), l'annulation du projet de Constitution, la désignation d'un comité d'experts pour la promulgation et la rédaction d'une Constitution qui représente tous les Tunisiens et la fixation de la date des élections. En plus des revendications du mouvement Tamarroud qui compte, selon son porte-parole, de nombreux sympathisants, de plus en plus de militants appellent à la désobéissance civile sur les réseaux sociaux. Même si elle est encore timide, la contestation tunisienne semble bien en train de germer à la suite de la révolte égyptienne. Dans une tribune publiée sur Tunisie Focus, Rachid Barnat, blogueur tunisien et farouche partisan de la laïcité, prédit «la chute de l'islamisme politique». Pour lui, les printemps arabes ont eu le mérite de faire réaliser au peuple les dangers de l'islamisme. Pour Rachid Barnat : «Les printemps arabes ont eu, au moins, un mérite, et il n'est pas mince, d'avoir ouvert les yeux aux peuples concernés mais aussi partout dans le monde, sur l'islam en politique, autrement dit sur l'islamisme.» Citant le cas de son pays, la Tunisie, Barnat considère que «les islamistes» ont accédé au pouvoir «grâce au soutien de prétendus démocrates» qui ont «trahi l'engagement pris devant les électeurs». Barnat affirme qu'en quelques mois «ces islamistes dont certains prétendument modérés, ont conduit leurs pays à une réelle régression, notamment, économique et sociale.» Le blogueur tunisien a constaté que les islamistes «ont renoué très rapidement, aussitôt devrait-on dire, avec les pratiques des dictateurs chassés : le népotisme ou la nomination des parents et amis sans aucune référence aux capacités, l'affairisme et la corruption, l'instrumentalisation de la justice et les atteintes aux libertés». Des Tunisiens qui partagent l'avis de Rachid Barnat, sont nombreux. Ils s'expriment sur les réseaux sociaux et affichent leur espoir de tirer parti des événements du Caire pour mettre en difficulté le gouvernement tunisien. Comme en Egypte, le mouvement Tamarroud reproche aux dirigeants de vouloir instaurer un régime théocratique et d'aggraver la crise économique. Le mouvement a déjà rassemblé 200 000 signatures, soit 100 fois moins que leurs homologues égyptiens, et aspire à appeler à de grandes manifestations. Et si l'opposition considère que le renversement de Morsi c'est toute une onde de choc qui traverse la Tunisie, Ali Larayedh, le Premier ministre tunisien, a affirmé dans une interview accordée à France 24 qu'il est «peu probable que le scénario égyptien se reproduise en Tunisie». Et il n'est pas le seul à le penser. Le chef du parti au pouvoir Ennahdha, Rached Ghannouchi, écarte, lui aussi, un scénario à l'égyptienne pour son pays. «Notre armée nationale se tient à l'écart de la politique», contrairement à «l'Egypte qui a été gouvernée par l'armée pendant 60 ans», a déclaré M. Ghannouchi dans le quotidien Asharq Al-Awsat. «Certains jeunes rêveurs peuvent croire qu'il est possible de rééditer en Tunisie ce qui s'est passé en Egypte, mais ce sera une oeuvre vaine», soutient M. Ghannouchi qui souligne que la donne, en Tunisie, «est différente» de celle qui prévaut en Egypte. «Nous avons adopté une sérieuse stratégie d'entente entre les courants islamiste et moderniste, ce qui a épargné au pays les risques de division.» Il faut rappeler que jusqu'ici, le parti d'Ennahdha, majoritaire à l'Assemblée, est parvenu à limiter la contestation populaire et même à apaiser les partis politiques en faisant entrer des personnalités sans étiquette dans le gouvernement formé en mars dernier. Le mouvement a également renoncé à toute mention de la loi islamiste dans la nouvelle Constitution. Mais cela va-t-il suffire ? Surtout si on rappelle qu' Ali Larayedh est loin d'avoir la confiance des Tunisiens dont 57% ont affiché, dans un sondage - réalisé par Tunisie Sondage du 3 au 7 juin 2013 auprès d'un échantillon de 2 050 personnes à l'occasion des 100 jours de Larayedh à la tête du gouvernement tunisien – leur défiance dans la capacité du Premier ministre à redresser la situation du pays. Les résultats du sondage révèlent que, globalement et à des degrés différents, 53% des Tunisiens sont mécontents de l'action d'Ali Larayedh. Ce mécontentement risque de croître si l'on rappelle que l'agence américaine de notation «Standard and Poor's» (SP) a confirmé les notes souveraines des crédits de la Tunisie à «BB-» à long terme et à B à court terme, assorties d'une perspective négative. L'agence américaine avait baissé, le 19 février 2013, d'un cran la note souveraine de la Tunisie à «BB-» contre «BB», assortie d'une perspective négative, en raison de la crise politique qui secoue le pays. SP explique le maintien de la note à «BB-» par les incertitudes sociales et politiques qui persistent. Autres facteurs cités par l'agence, le niveau relativement faible du développement économique du pays et par les perspectives négatives relatives aux ressources fiscales et au déficit extérieur. L'agence s'attend en outre, à ce que les subventions, les salaires et certaines recapitalisations des banques, pèseront sur les dépenses publiques au cours de la période (2013-2016). Pour SP, les perspectives restent négatives, ce qui renforce la possibilité d'une dégradation de la note de la Tunisie au cours des 12 prochains mois. Cette hypothèse est d'autant envisageable «si la rédaction de la constitution est encore retardée et si les résultats des élections conduisent à un cadre politique instable ou imprévisible ou si le soutien financier international s'affaiblit», précise encore SP. Le 27 juin dernier, le conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie a exprimé «sa préoccupation concernant le rythme d'accroissement du déficit courant» de la balance commerciale «ce qui a entraîné une baisse des réserves en devises au niveau de 10 473 MDT ou l'équivalent de 96 jours d'importation en date du 26 juin 2013». Malgré une crise économique latente et les germes d'une révolte qui se préparent, le chef du parti islamiste Rached Ghannouchi ne semble pas inquiet. Il a même publié le lundi 1er juillet un communiqué de soutien à Morsi et aux Frères Musulmans. Mais si Ghannouchi n'est pas inquiet, beaucoup de Tunisiens sont plongés dans l'inquiétude. Pas seulement pour la démocratie, mais également pour leurs libertés individuelles, sérieusement menacées par les tenants d'un islamisme extrémiste. Car si les islamistes au pouvoir en Tunisie s'affichent comme des «modérés», ces derniers doivent composer avec les salafistes tunisiens qui réclament une application stricte de la charia. Faut-il rappeler les événements du 19 mai 2013 dernier où à l'issue de l'annulation du 3e congrès d'Ansar Achariaa à Kairouan, plusieurs personnes de la mouvance salafiste ont causé de graves incidents à la Cité Ettadhamen et où suite aux affrontements, bon nombre de policiers ont été grièvement blessés. Faut-il rappeler encore l'assassinat par plusieurs tirs de Chokri Belaïd, une figure de l'opposition de gauche, tué alors qu'il sortait de son domicile, mercredi 6 février ; les nombreux incidents et attaques contre des militants lors de réunions publiques de l'opposition, des attaques contre des journalistes et des artistes (comme l'attaque de l'exposition d'art contemporain «Printemps des arts» à Tunis). La Tunisie tente, depuis la révolution de janvier 2011, d'afficher un certain équilibre qui est loin d'être stable en raison d'une multitude de crises politiques et sociales ainsi qu'à cause d'un essor certain de la mouvance salafiste. La coalition au pouvoir, dirigée par les islamistes d'Ennahdha, n'a toujours pas réussi à dégager de consensus sur la future Constitution du pays. Et même si Ghannouchi se dit «serein», Moncef Marzouki, le président tunisien, au cours de la conférence de presse qu'il a animé jeudi à l'occasion de la visite d'Etat du président français, a néanmoins reconnu l'existence d'un «fossé idéologique» entre «deux Tunisie», islamiste d'un côté et moderniste de l'autre. Même s'il reste persuadé que dans son pays, contrairement à l'Egypte, les deux camps ne se combattent pas. «Ceci étant, nous devons bien comprendre ce signal, faire attention, comprendre qu'il y a de grosses demandes sur le plan social et économique», a souligné l'allié des islamistes d'Ennahdha. Mais même si Marzouki a compris les revendications populaires, cela ne suffit point parce que les Tunisiens attendent les actions. H. Y.