Qui aurait parié il y a deux ans que le président syrien Bachar al-Assad allait se maintenir et que l'Emir Hamad Ben Khalifa al Thani allait abdiquer au profit de son jeune fils Tamim ? Personne. Sinon trop peu d'observateurs de la scène politique arabe auraient fait ce pari improbable. Comment pouvait-on prévoir que l'un des dirigeants les plus riches et les mieux assis du monde arabe, dans un pays épargné par les conflits internes, allait quitter le pouvoir sans prélude ? Après la décision d'abdication, le 25 juin, le Qatar s'est lancé sur une nouvelle voie politique dont les contours demeurent indéterminés. La démission du tout puissant ministre des Affaires étrangères de l'émirat, Hamad ben Jassim Al Thani, appelé «HBJ» par les médias occidentaux, est peut être un indice sur le changement de la politique de l'émirat. Du moins sur le plan extérieur. La timidité avec laquelle la situation égyptienne est commentée par Doha dénote d'une volonté de changement de cap. L'émirat veut-il rester en retrait de ce qui se trame dans le plus grand pays arabe ? Aucune manifestation de rue ni pressions internationales, du moins visibles, n'ont forcé l'émir à quitter le pouvoir. Cependant la décision de Hamad Ben Khalifa al Thani était aussi imprévisible que les révolutions qui ont renversé Moubarak, Ben Ali et Kadhafi. Les rumeurs ont alors fait état de pressions américaines pour faire partir l'émir mais aussi de pressions des tribus qui ne cautionnaient plus la politique qatarie. On a également évoqué les problèmes de santé de l'émir démissionnaire, mais rien qui pourrait expliquer le départ inopiné du souverain. Cette passation de pouvoir laisse cependant la porte ouverte à une autre possibilité politique : la volonté de changement. Le changement de leadership dans le Golfe pourrait avoir des conséquences bien au-delà des palais de Doha. Epargné par les révoltes qui ont touché le monde arabe, la disparition d'un des piliers de la politique de «la démocratie chez les autres», pourrait déstabiliser toute la construction des monarchies du Golfe. L'Arabie saoudite avec des frondes de ses provinces chiites et un souverain alité depuis des années, le Koweït enchaîne les crises politiques sans parler de la répression permanente de la majorité chiite à Bahreïn depuis février 2011. Les familles régnantes ont réussi à ce jour à se maintenir grâce à leur solidarité et aux politiques de divisions qu'ils ont pratiqués en dressant les tribus les unes contre les autres. On se hasarde même à dire que la fragilité de ses voisins a poussé le Qatar à opérer un changement en douceur, pour se prémunir des problèmes internes que connaissent les autres monarchies du Golfe. Le souci de la communauté internationale aujourd'hui est de comprendre à quoi répond ce changement, spécialement pour la politique étrangère qatarie? Le Qatar, une super puissance financière, a tous les moyens pour se soustraire aux moindres pressions nationales et internationales. Ce qui porte à croire que le jeune émir a, plus que tout autre dirigeant arabe, les moyens de préserver cette liberté. Mais que veut-il faire exactement ? Les analystes se sont avérés incapables d'avancer la moindre lecture. On s'est montré totalement ignorant des visées et préférences du nouveau prince qatari. Mis à part les hypothèses sur son prétendu conservatisme social, son animosité pour HBJ et sa proximité des Frères musulmans, on ne sait rien des intentions de Tamim. Poursuivra-t-il le programme de ses parents ou préférera-t-il tracer sa propre voie ? Personne ne le sait vraiment. Selon le professeur américain Marc Lynch, «aucune base sociale n'explique la politique étrangère d'HBJ et de l'émir nouvellement retraité. Ces dirigeants ont simplement choisi une voie interventionniste et panarabe, en soutenant les mouvements des Frères musulmans, en incitant aux changements de régime en Libye et en Syrie, en voulant une assistance économique massive pour le nouveau gouvernement égyptien et en finançant Al Jazeera et son empire international. Qu'importe que ces politiques connaissent un fort soutien au sein du Qatar -et même d'ailleurs une forte opposition-, la population n'a aucun moyen d'influencer l'émir». Selon le même analyste, l'émir a totalement la liberté et la latitude de faire une chose et son contraire. En d'autres termes il peut poursuivre la politique de son père ou pratiquer une politique diamétralement opposée. Dans ce cas précis, la base américaine et la proximité de l'Arabie saoudite seront de sérieux handicaps. En dépit de ces gymnastiques cérébrales, les analystes s'accordent à dire que l'on s'écarte des bouleversements majeurs. Lors de son premier discours officiel, le nouvel émir a confirmé ses désirs de continuité, affirmant qu'il suivrait la trajectoire initiée par son père. Des déclarations qui n'avancent rien sur ses choix à long terme. Quand il aura bien assis son pouvoir, poursuivra-t-il le même chemin? Le chaos actuel en Egypte en est peut être l'indice. Le refus du prince qatari de dresser chiites contre sunnites, en est un autre sur le cheminement de sa pensée. Le changement dans les palais de Doha est loin d'être anodin. Même si ses tenants et aboutissants demeurent mystérieux, ce qui s'est passé au Qatar, ne se limitera pas aux frontières de l'émirat. Les choix du nouvel émir auront une importance bien moins prévisible que ce que beaucoup semblent croire. Le visage des révolutions risque de se transformer et pas forcément dans le sens que l'on souhaitait dans les capitales occidentales. Les affaires syrienne et égyptienne permettront de tester les véritables intentions du jeune Tamim. M. S.