Si au plan interne, l'Egypte renoue avec les débats politiques de fond et de forme sur le dernier décret constitutionnel devant assurer la période de transition de six mois, et qui a suscité des réactions diverses allant du rejet à la réserve, au plan extérieur, les choses commencent à se préciser et une décantation diplomatique laisse entrevoir les contours d'une évolution favorable à l'Egypte, pour peu que la situation interne se stabilise. L'événement majeur de ces dernier jours est incontestablement la décision de trois pays du Golf d'accorder une aide de douze milliards de dollars à l'Egypte qui a tant besoin de moyens pour financer la reprise d'une économie en berne depuis deux ans et qui menace d'une explosion sociale contre tout l'Establishment. Pour les observateurs, cette manne financière n'est pas gratuite. Au plan économique, les douze milliards de dollars constitue un apport en liquide sous formes de dons, de subventions ou de prêts accordés par l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït, devra renforcer les réserves en devises qui ne dépassent pas les quatorze milliards de dollars, ce qui permettra d'éviter un effondrement de la balance des paiements égyptienne et de la valeur de la livre égyptienne qui a connu une dévaluation de près de 20%. Dans le court terme, ce pactole devra permettre aussi aux nouvelles autorités provisoires de répondre aux besoins alimentaires des populations, de faire fonctionner une administration lourde et d'approvisionner le pays en carburant. Si ces douze milliards de dollars vont permettre à l'Egypte de souffler, ils ne vont pas l'aider à sortir de l'œil du cyclone économique. Pour John Sfakianakis, chargé des investissements stratégiques chez Masic, société basée à Ryad, cité par les Echos, «les huit milliards de dollars que vont débloquer les Saoudiens et les autorités émiraties devraient aider Le Caire à souffler pendant quatre à six mois. A ce soutien, s'ajoutent quatre milliards de dollars promis mercredi par le Koweït. Cette manne ne va pourtant pas, à elle seule, résoudre les deux principaux maux de l'économie égyptienne : un déficit budgétaire incontrôlé et une instabilité politique qui effraie les investisseurs étrangers.» pour cet économiste, «en l'absence de progrès avant la fin de l'année dans ces deux domaines, la crise économique risque de ressurgir et contraindre l'Egypte à solliciter à nouveau une assistance extérieure, la rendant de plus en plus dépendante des Etats de la région.» l'Egypte souffre d'un marasme économique étouffant depuis au moins deux ans. Pourquoi alors, les trois pays du Golfe n'ont réagit qu'après la chute de Morsi. Si la «générosité» des Emirats Arabe Unies est compréhensible en raison de la position traditionnelle de ce pays vis-à-vis des Frères musulmans qu'il a toujours combattus, la position du Koweit et de l'Arabie saoudite reste en revanche paradoxale. Ces deux pays ont toujours accueilli les Frères musulmans qui ont fui l'Egypte et d'autres pays pour échapper à la répression et les ont aidé financièrement pendant des années pour en faire une puissance politique capable de prendre le pouvoir. Ces deux pays sont aussi les alliés stratégiques des Etats-Unis qui ont aidé les Frères musulmans à prendre le pouvoir en Egypte et qui réagissent aujourd'hui avec prudence face à la situation en Egypte. Si les marchés financiers se réjouissent de cette aide venant du Golfe, les observateurs se posent des questions sur les motivations de cette générosité aussi rapide qu'importante. Est-ce la reconfiguration du Moyen-Orient ? A priori, peut-on dire que la décision des trois pays du Golfe constitue un message à l'adresse des Etats-Unis qui hésite à se déterminer ? Certains analystes le suggèrent et laissent croire à travers leurs thèses que la dynamique des printemps arabes constitue une pression sur les dirigeants des pays du Golfe afin de revoir leur politique étrangère pro américaine. Pour ces analystes, en majorité égyptiens, l'acte II de la révolution égyptienne a sonné le glas de l'hégémonie américaine dans la région et notamment sur l'Egypte dont la politique extérieur s'oriente vers un retour en force dans ce qu'ils appellent «le giron arabe» pour reprendre sa place de leader et de défenseur des intérêts et des causes arabes. Cette thèse est soutenue par l'échec du projet du Grand Moyen-orient aux portes de l'Egypte. Ce qui explique aux yeux des tenants de cette thèse, l'attitude prudente des Etats-Unis. Cette approche est plus émotionnelle qu'objective dans la mesure où l'aide financière des pays du Golfe ne fournit pas à l'Egypte les moyens de son ambition supposée ou qu'on lui prête. L'Egypte n'a pas les Moyens du Venezuela pour pouvoir prétendre opter pour une politique régionale sinon anti américaine, du moins ouvertement progressiste et pro arabe. Les intentions n'ont aucune valeur si elles ne sont pas sous-tendues par des moyens financiers à même d'assurer à l'Egypte une autonomie politique sur toutes les questions brûlantes qui déstabilisent le Moyen-Orient. L'Egypte a besoin et pour longtemps de l'aide financière américaine et européenne en dépit de leur indigence et de la contribution du FMI pour soutenir son économie en déconfiture. Donc l'aide des pays du Golfe à l'Egypte n'a qu'un seul objectif : maintenir le pays des pyramide dans le club pro américain et empêcher l'Egypte de se rapprocher de l'Iran comme l'a fait Morsi, mais aussi éviter que les nouvelles autorités égyptiennes ne changent d'attitude vis-à-vis du régime syrien. La prudence américaine ne s'explique pas par le coup de force contre la démocratie, mais par la peur d'un trop plein de démocratie qui risque de voir l'anti américanisme de la rue prendre forme dans la politique d'un Etat en pleine reconfiguration. Si Washington hésite à reconnaître la légitimité de la rue qui a renversé Morsi et le régime des Frères musulmans dont Washington s'est accommodée comme elle s'accommode de tout régime qui préserve ses intérêts quel qu'en soit la couleur idéologique, c'est parce qu'elle a compris que la «Rue» était anti américaine. «Vu d'Arabie, la vraie priorité, c'est l'Iran», reconnaît un diplomate familier du royaume wahabite. «Et de ce point de vue, Ryad a toujours considéré l'Egypte comme sa profondeur stratégique face à l'Iran», ajoute-t-il. L'année dernière, Riyad avait averti Morsi qui a entamé un rapprochement avec Téhéran avant de s'y rendre et de recevoir le président iranien, Ahmedinejad. «Si vous faites le moindre geste à l'égard de l'Iran, alors ne comptez plus sur nous pour vous aider». Les ambitions de Riyad Au-delà de la nécessité stratégique pour l'Arabie saoudite et ses alliés du CCG d'empêcher l'Egypte de se laisser séduire par le chant des sirènes populaires et l'enthousiasme révolutionnaire qui aspire à remettre l'Egypte sur le rail du Nassérisme, Riyad a toujours nourri l'ambition de prendre le leadership arabe. Si le roi Fayçal, a inscrit la politique étrangère saoudienne dans une dynamique de défense naturelle des intérêts arabes, ses successeurs, ont opté pour un alignement sur les Etats-Unis pour devenir l'instrument de la stratégie hégémonique américaine dans toute la région moyen-orientale et même au-delà. Depuis l'avènement de la République islamique d'Iran et l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique, l'Arabie saoudite s'est sentie menacée à la fois par le «péril vert chiîte» et le «péril rouge» des mouvements progressistes et de gauche qui caractérisaient différents pays du Moyen-Orient. Sur ces deux menacent, Washington et Riyad étaient et sont toujours sur le même diapason. Tous les mouvements islamistes sunnites étaient alors les alliés naturels de l'Arabie saoudite qui les a abrités, soutenus, financés et aidés à prendre le pouvoir y compris les Frères musulmans égyptiens. Mais les velléités autonomistes de Morsi notamment son rapprochement de l'Iran, ont provoqué la colère de l'Iran et des Etats-Unis qui ont lâché leur dauphin. Aujourd'hui, Riyadh ne peut envisager un soutien financier aux novelles autorités égyptiennes sans l'accord de Washington qui adopte officiellement une attitude de retrait en attendant que les esprits se calment dans la rue égyptienne. Cependant, pour Riyad, qui se met en avant dans cette conjoncture difficile, il s'agit de marquer des points en montrant, d'une part, à l'Occident qu'elle ne soutient pas les Frères musulmans et d'autre part, en tenant les autorités égyptiennes en otage à travers une aide financière conditionnée en dictant à l'Egypte sa politique étrangère. Cette option arrange les Etats-Unis, qui redoutent que l'anti américanisme ambiant pousse les autorités égyptiennes à remettre en cause les accords de Camp david. Le retour en force d'El Baradï aux affaires politiques et son intronisation comme vice-président chargé de la politique étrangère, n'est-il pas un gage de garantie des autorités intérimaires égyptiennes quant à la stabilité de leur politique étrangère ? L'ancien président de l'Aiea, n'est-il pas l'homme des Etats-Unis ? Les autorités de transition en Egypte n'ont pas d'autres choix que de s'y soumettre au risque de voir la rue se retourner contre elle. Cette situation est favorable à l'Arabie saoudite dont les dirigeants aussi pragmatiques qu'opportunistes, profitent au maximum pour négocier leur leadership dans la région moyen-orientale. Les souverainistes égyptiens se consolent en estimant qu'il s'agit surtout du retour de l'Egypte au giron de la nation arabe et que la seconde révolution égyptienne a sauvé les pays arabes de la mainmise des Frères musulmans. La dynamique de la rue égyptienne a en effet, réduit les Frères musulmans à leur simple expression, mais ce sont eux et les islamistes de tous bords qui ont provoqué par leur gestion et leurs pratiques, le processus de leur mise à mort politique. A. G.