«C'est officiel, nos ministres viennent de présenter leur démission au chef du gouvernement», a affirmé le porte-parole du parti l'Istiqlal, Adil Benhamza. Sur les six membres de l'Istiqlal détenteurs d'un portefeuille ministériel, un seul, Mohamed El-Ouafa (Education) n'a pas encore présenté sa démission. Ainsi donc, les ministres de l'Istiqlal, principal allié des islamistes du parti Justice et Développement (PJD) au Maroc, ont officiellement présenté mardi dernier leur démission au chef du gouvernement Abdelilah Benkirane. L'Istiqlal avait annoncé, il y a près de deux mois, son intention de quitter le gouvernement. Ce parti a justifié sa décision par un manque d'action et de concertation de la part des islamistes. Il accuse le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, d'incapacité à prendre en considération la gravité de la situation économique et sociale et de monopoliser les décisions au sein du gouvernement. Le retrait de l'Istiklal du jeu politique provoque une crise gouvernementale. Il oblige le PJD, arrivé au pouvoir fin 2011 dans le sillage du printemps arabe, à trouver rapidement un nouvel allié, faute de quoi le Maroc connaîtra des élections anticipées. Selon la presse locale, des tractations sont déjà en cours avec une autre formation pour pallier ce retrait. Avec 60 sièges sur 395 à la première chambre, l'Istiqlal, la deuxième force politique du royaume après le PJD, compte parmi ses dirigeants, outre les cinq ministres démissionnaires, le président du Parlement, Karim Ghellab. Allié aux islamistes depuis plus d'un an et demi, le parti de l'indépendance marocain a pris ses distances avec le PJD depuis l'élection de Hamid Chabat à la tête de l'Istiklal en septembre dernier. Ce dernier s'est montré particulièrement critique envers ses alliés islamistes. D'ailleurs, certains analystes de la situation politique au Maroc estiment que la crise politique a un relent de crise d'ego entre deux hommes : Abdelilah Benkirane, Chef de gouvernement et patron du PJD et Hamid Chabat, Chef de file de l'Istiqlal. Que ce soit une crise purement politique ou avec relent d'ego, le fait est qu'aujourd'hui, le Maroc qui devait entamer une nouvelle ère depuis l'adoption de sa nouvelle Constitution, est aujourd'hui dans l'impasse. Les islamistes, habitués durant des décennies à l'opposition, semblent avoir échoué à gérer une coalition à laquelle ils ont été obligés de recourir, au lendemain de leur succès historique aux législatives de novembre 2011. Faute de majorité absolue, le PJD, rappelons-le, a dû construire une coalition avec trois autres formations, dont l'Istiqlal, le parti de l'indépendance au Maroc mais également le Mouvement populaire (MP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Mais l'éclatement de la coalition gouvernementale ne signifie pas l'échec de la politique gouvernementale. Du moins pas encore. Mais selon l'Istiklal, le PJD va droit contre le mur, notamment en ce qui concerne la crise économique. En effet, l'Istiklal désapprouve notamment la décision du gouvernement qui, sous la pression du FMI, va déréglementer les prix de certaines denrées de base, après le mois du Ramadhan. Une telle décision risque de nuire aux populations marocaines. «Ça fait deux mois qu'on a présenté un mémorandum concernant le traitement de la question économique dans une ambiance très difficile. Aucune réactivité, aucun retour de la part du gouvernement!» s'était indigné, en mai dernier, Taoufik Hejira, président du conseil national du parti. Au Maroc, la situation économique est critique. Le ministre marocain de l'Economie et des Finances, Nizar Baraka avait fini par révéler, en avril dernier, devant les membres de la commission des finances que la dette publique du Maroc devrait atteindre 60% du PIB en 2013, ce qui constitue un niveau «dangereux». Le ministre avait également indiqué que le gouvernement du Maroc s'est endetté pour couvrir près de 17 milliards de dirhams (DH) de dépenses de la Caisse de compensation au titre de l'exercice 2012, soulignant que pour la première fois dans l'histoire du Maroc, les dépenses de la Caisse de compensation ont excédé les dépenses d'investissements. Le Maroc a décidé d'arrêter l'exécution de 15 milliards de DH des dépenses de l'investissement au titre de l'exercice 2013. Une décision qui, selon des députés, risque de faire perdre près de 50 000 postes d'emploi. Ainsi donc le Maroc est pris dans une spirale qui plombe sa croissance économique et sociale. Et face à la dégradation du niveau de vie et à la croissance du chômage, les risques d'un mouvement de protestation semblable à celui du 20 février 2011 n'est pas à écarter. Car, si les Marocains ont voté PJD, ce n'est pas parce que la montée des islamistes est dans l'air du temps du printemps arabe et qu'ils voulaient être «à la page». Les électeurs marocains avaient une toute autre motivation : il s'agissait d'un vote sanction du gouvernement sortant surtout après le bilan très mitigé des partis de la Koutla (Union socialiste des forces populaires (Usfp), Parti pour le progrès et le socialisme (PPS) et le Parti de l'Istiklal) qui ont géré les affaires du pays depuis 2007. Les problèmes de chômage, de pauvreté, de corruption et des inégalités sociales ont fini par exaspérer les Marocains. Ces derniers ont décidé de choisir les élus du PJD qui ont fait valoir leur «virginité» politique et leur moralité. Le PJD représentait alors l'alternative la moins corrompue aux yeux des électeurs marocains qui ont décidé de tenter l'expérience. Mais si le PJD n'arrive pas à trouver des solutions rapides aux problèmes économiques et sociaux, il risque de se voir éjecter par ceux-là même qui l'ont propulsé au pouvoir : les Marocains. Il faut dire que les jeunes du mouvement du 20 février, né dans le sillage du printemps arabe, attendent toujours les réformes sociales pour lesquelles ils avaient manifesté. Le palais, bousculé par le Mouvement du 20 février, avait tôt fait de réagir en organisant, le 1er juillet 2011, un référendum sur une nouvelle Constitution, suivi, le 25 novembre, d'élections anticipées. Mais, depuis, plus rien. Les réformes sociales pourtant urgentes restent figées. Donc en plus des réformes sociales qui ne voient toujours pas le jour, des coupes budgétaires trop sévères risquent d'entraîner une dégradation importante du niveau de vie. A ce rythme, des manifestations similaires à celles de 2011 risquent de se déclencher. A l'époque, le roi avait réussi à les étouffer en augmentant les dépenses sociales et en entamant des réformes constitutionnelles, qui ont mené le PJD au pouvoir. Cette fois, que pourra-t-il proposer à une jeunesse excédée de l'incapacité du pouvoir à trouver des réponses aux différents problèmes posés ? H. Y.