En ces premiers jours de Ramadhan, dans la commune de Bouhatem, anciennement Aïn Trik (40 km au sud de Mila), où les moissons battent leur plein, Salah B., 51 ans, agriculteur de son état, ne change rien à ses habitudes. Effectuer les tâches très dures qui sont les siennes, tout en observant le jeûne, sous un soleil de plomb, ne semble pas être une contrainte pour lui, ce qui, pour un citadin, peut paraître plutôt ahurissant. Chétif, la peau parcheminée et brunie par le soleil, le visage émacié, Salah vaque à ses occupations comme à l'accoutumée. En pleine période de moissons-battage, il a beaucoup de choses à faire et la chaleur et le jeûne ne semblent être qu'un «détail». «Dès six heures du matin, je suis dans mon champ pour y travailler jusqu'à onze heures avant de prendre un peu de repos et revenir à la tâche vers 16 heures jusqu'à la rupture du jeûne», lance d'emblée Salah, tenant dans ses mains fermes, presque disproportionnées, une faux à lame longue et effilée qui lui sert à faucher les céréales dans cette région si généreuse, aux épis dorés, devenus une «marque déposée». Salah qui pratique le métier d'agriculteur depuis une vingtaine d'années affirme que la chaleur caractérisant ce mois de juillet, le jeûne et la sensation de soif persistante «sont bien là, il ne faut pas se mentir, mais cela ne m'empêche pas de faire mon travail, Dieu est clément, il me donne de la force pour travailler». Ses bras très forts, quoique secs et noueux comme des sarments de vigne, défient les moissonneuses-batteuses et font un «pied de nez» à la technologie. Pour une journée de dur labeur, le propriétaire de la parcelle donne à Salah 1 500 dinars. Cela suffit au quinquagénaire pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa petite famille. Non loin de Bouhatem, dans la région de Tourit commune de Benyahia-Abderrahmane, le décor ne change pas vraiment, même si la tâche des agriculteurs est un peu plus «mécanisée». Nabil G., la quarantaine, s'emploie à boucler, à l'aide de la moissonneuse-batteuse, louée à raison de 3 500 dinars la journée, les moissons dans son champ de trois hectares. Ce céréaliculteur, manifestement passionné par le travail de la terre, convient regretter que la production de cette année soit en deçà des espérances à cause de la faible pluviométrie qui a caractérisé la région. «Mais qu'à cela ne tienne, nous en tirerons le meilleur», affirme-t-il, le menton haut et les yeux brillants. Avec un courage et une opiniâtreté admirables, Nabil accomplit sa tâche sans se plaindre. Ni le jeûne, ni les rayons acérés du soleil de juillet ne freinent son rythme de travail. «Que Dieu nous aide à jeûner mais aussi à travailler», dit-il. En réponse à la «provocation» de Saïd, son compagnon, qui tente de le narguer en lui rappelant qu'au moment où ils s'échinent à moissonner, il se trouve des milliers de gens qui travaillent dans un bureau climatisé, Nabil se contente de sourire. Un sourire, il faut le dire, un peu forcé puisqu'il est suivi d'un long soupir. Un soupir si fort qu'il rend presqu'inintelligible cette dernière sentence de Nabil : «Chacun fait ce qu'il a à faire et le plus important est qu'il le fasse bien.» Dans la wilaya de Mila, la saison des moissons est à environ 60% d'avancement, en cette mi-juillet. Durant ce Ramadhan, la volonté de réussir la saison est plus forte que la soif et la fatigue. A Bouhatem, à Tourit ou à Teleghma, la mobilisation des agriculteurs mérite tout le respect. Leur volonté, visiblement, est inébranlable.