Photo : Zoheir Par Samir Azzoug Depuis plus d'une vingtaine d'années, l'Algérie connaît des mutations économiques, sociologiques et politiques très importantes. Ce genre d'évolution rapide et profonde ne peut se faire idéalement sans une implication totale de la société civile. Cette dernière se définit, selon l'Unesco, comme «un ensemble d'organisations ou de groupes constitués de façon plus ou moins formelle et qui n'appartiennent ni à la sphère gouvernementale ni à la sphère commerciale». En clair, il s'agit, entre autres, du mouvement associatif. Ces entités (les associations) sont censées naître de la volonté et des propres intérêts des citoyens. Dans la législation algérienne, la loi n°90-31 du 4 décembre 1990, article 2, définit une association comme une convention dans laquelle des personnes physiques ou morales se regroupent sur une base conjoncturelle et dans un but non lucratif. Quant aux domaines d'activité de ces associations, ils sont divers et variés (professionnel, social, scientifique, religieux, éducatif, culturel ou sportif). La structuration d'une société se jauge non seulement par le nombre d'associations actives mais surtout par leur présence et leur représentativité sur le terrain. Elles constituent le véritable baromètre de la société et forment un formidable outil de relais entre le citoyen et le gouvernant. A titre d'exemple, en France, il se crée 63 000 associations par an, tous secteurs confondus. L'Hexagone compte 1,1 million d'associations. Les secteurs les plus actifs restent l'humanitaire et le caritatif, la défense des intérêts économiques et l'action sociale. Ensuite viennent le sport et la culture. En Algérie, une augmentation «sensible» du nombre d'associations a été enregistrée entre 1992 et 2008, passant de 30 000 à 81 000 en 16 ans. Mais cela reste tout de même insuffisant au vu de l'importance de leur rôle dans un pays en pleine mutation. Toutefois, ce déficit ne peut en aucun cas justifier la création d'organisations à tort et à travers. La finalité n'est pas de faire du chiffre ou de remplir les salles de conférence lors de meetings ou de campagnes de sensibilisation. Une association ne vaut la peine d'être créée que si elle apporte un plus au citoyen et à l'organisation sociale. Elle doit être un pôle de réflexion et une force de proposition à même de faire évoluer les mentalités. Censée être active sur le terrain, donc proche de la population, elle est le porte-voix du simple citoyen. Son cahier de doléances. Malheureusement, en Algérie, beaucoup d'associations ne le sont que par la dénomination. Sinon, comment expliquer que des phénomènes tels que la violence dans les stades, le laisser-aller dans lequel se vautrent nos cités et l'absence quasi totale de la protection du consommateur algérien ne trouvent pas d'écho. Mettant en exergue tantôt le manque de moyens, tantôt les difficultés administratives ou même les carences en matière législative, elles se renferment sur elles-mêmes, s'isolent et en oublient leur objet principal, se muent en organisations fantoches où se mêlent conspirations, positions politiques et moyens pour l'enrichissement personnel. Pourtant, la loi est claire. Dans l'article 11, il est stipulé que «les associations sont distinctes, par leur objet, leur dénomination et leur fonctionnement, de toute association à caractère politique et ne peuvent entretenir avec elle aucune relation qu'elle soit organique ou structurelle, ni recevoir des subventions, dons ou legs sous quelque forme que ce soit de leur part, ni participer à leur financement». Tel n'est généralement pas le cas de nombreuses associations en Algérie. Il suffirait, pour en avoir le cœur net, de faire un tour dans les campus et prendre attache avec les quelques associations d'universitaires. Il est vrai qu'adhérer à un mouvement associatif constitue une très bonne base pour apprendre le b.a.-ba de la politique, mais cela doit rester une simple étape à ne pas confondre entre ambitions personnelles et objectifs sociaux de l'association. L'autre point noir constaté dans l'administration des associations en Algérie se trouve être l'opacité dans la gestion des ressources. Selon la loi susmentionnée et dans son article 18, «les associations sont tenues de fournir, régulièrement, à l'autorité publique concernée, les renseignements relatifs à leur effectif, à l'origine de leurs fonds et à leur situation financière suivant des modalités fixées par voie réglementaire». Mais la réalité est tout autre. En juin dernier, face aux sénateurs, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, M. Noureddine Yazid Zerhouni, a fustigé le mouvement associatif. Selon lui, 95% des associations n'ont pas présenté leur rapport financier et une grande partie a été détournée de sa vocation. «Je commencerai, a-t-il souligné, par affirmer que 95% des associations agréées n'ont jamais présenté le rapport annuel sur leur activité.» Le constat est donc de taille. Pourtant, la loi est claire. Dans son article 47, elle précise : «Le refus de fournir les renseignements prévus à l'article 18 est puni d'une amande de 2 000 à 5 000 DA.» Dans l'article 46, elle stipule que «l'utilisation des biens de l'association à des fins personnelles ou autres que celles prévues par ses statuts constitue un abus de confiance et est réprimé comme tel conformément aux dispositions du code pénal». Il reste juste à l'appliquer. Depuis quelques mois, le ministère de l'Intérieur s'attelle à assainir le mouvement associatif algérien. Sollicitées, les directions de la réglementation des affaires générales ont commencé, dans la discrétion, un travail de fond. Plus de 6 000 associations sont poursuivies en justice, entre 100 et 300 dans chaque wilaya importante. La semaine dernière, les directeurs des établissements universitaires ont exigé des syndicats et associations activant dans l'enceinte des universités de présenter leurs rapports administratif et financier sous peine d'être dissoutes. Un ultimatum est fixé au mois de mars prochain. Par ailleurs, M. Zerhouni, lors de la même intervention, a souligné la nécessité de revoir les modalités de délivrance des accréditations aux associations. De son côté, le gouvernement envisage de présenter une nouvelle loi en la matière. A toutes fins utiles, rappelons que, dans les pays dits développés, le mouvement associatif se fait un point d'honneur de gagner son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Certaines ONG ont des budgets de petits pays. Le bénévolat et le don de soi (physique, matériel et financier) s'érigent en règle. Pour l'heure, et en attendant une éventuelle nouvelle loi, pourquoi ne pas instaurer un cahier des charges pour les associations afin de pouvoir noter et contrôler leur efficacité sur le terrain.