Aux voix européennes qui ont demandé de la retenue à Israël après la mort de plus de 200 Palestiniens et des blessures graves pour des centaines d'autres, il faudrait quelques vérités toutes simples. Je ne parle pas de la désinformation comme celles des médias empressés de titrer une pluie de roquettes sur Israël et la mort d'une civile israélienne -une civile notez bien– quand il ne s'agirait, dans leurs papiers, que de membres du Hamas, alors que l'aviation a commencé ses bombardements à la sortie des écoles. Je parle des responsables européens, tels les Anglais, qui rappellent par leur porte-parole que «tout en comprenant l'obligation du gouvernement israélien de protéger sa population, nous appelons à un maximum de retenue pour éviter d'autres victimes civiles». Le président français, qui est également celui de l'Union européenne, commence par les Palestiniens : il «demande l'arrêt immédiat des tirs de roquettes sur Israël ainsi que des bombardements israéliens sur Ghaza», et il «appelle les parties à la retenue». Il «exprime sa plus vive préoccupation devant l'escalade de la violence dans la bande de Ghaza et déplore le très grand nombre de victimes civiles». Ces dirigeants pouvaient-ils ignorer le grand nombre de victimes civiles, ce que la presse indépendante, professionnelle et très déontologique de la vieille Europe pouvait passer à la trappe sous les termes équivoques de militants du Hamas, de policiers ou encore d'activistes, la plus belle trouvaille médiatique pour dire un agité qui mérite sa mort. Javier Solana est allé de son petit couplet en appelant à un «cessez-le-feu immédiat» à Ghaza, et la Grande Russie des oligarques met les deux parties sur le même plan : arrêt des roquettes contre arrêt des bombardements. Aucun de ces éminents pays ni aucun de leurs éminents dirigeants ne s'est souvenu qu'entre des roquettes artisanales et l'aviation la plus sophistiquée du monde il n'existe aucune comparaison possible. Ils ne se sont surtout pas souvenus qu'ils ont sur leurs bureaux depuis des décennies la question de la création d'un Etat palestinien. Ces mêmes dirigeants ont soumis la semaine dernière au Parlement européen la résolution qui fait d'Israël un quasi Etat de l'Union européenne jouissant de privilèges inouïs dont ceux de se prononcer sur les orientations européennes de politiques étrangères sans contrepartie en obligations et en devoirs. Israël bombarde Ghaza aussi en tant que pays membre de l'Union européenne. L'Union européenne bombarde Ghaza par l'un de ses membres ; par son nouveau membre, par le plus chéri de ses membres. Au-delà de la question politique de rendre aux Palestiniens leurs droits politiques à disposer de leur terre et d'un Etat, il reste la question de la terreur. Il faut être un fieffé imbécile pour croire que l'Union européenne ou les Etats-Unis ne soutiendront pas jusqu'au bout leur colonie commune comme les Anglais, les Français, les Portugais ont soutenu jusqu'au bout leurs colonies particulières. Non, il faut juste leur rappeler que les bombardements aériens ont pour but la destruction massive et la terreur. Ils ne peuvent atteindre la précision chirurgicale dont se gargarisent leurs médias. Ils visent à frapper de stupeur les populations, à les hébéter, à leur faire peur au plus profond d'elles-mêmes. Le lundi 26 avril 1937, l'aviation nazie expérimentait sur Guernica la théorie de la terreur de masse. Briser la volonté des femmes, des hommes, des enfants. Les rendre fous de terreur. Les rendre errants de panique. Les sidérer par les pleurs des enfants, les cris des blessés, les râles des mourants. Les paniquer. Frapper, frapper jusqu'à les plonger dans l'hébétude. Voilà le but d'Israël. Frapper les populations d'hébétude. Les transformer en légumes. Sharon l'a dit, leurs poètes l'ont dit, leurs théoriciens l'ont dit : les frapper jusqu'à ce qu'ils comprennent. Jusqu'à ce qu'ils renoncent à toute part d'humanité, à toute part de rêve, à toute part d'une terre où enterrer ses morts parmi les ancêtres. Si Guernica est le modèle premier de la terreur de masse, Ghaza en est le modèle achevé, prison à ciel ouvert, ghetto permanent, mouroir. Ces dirigeants européens sont les complices de ces crimes. Et de leur histoire, ils reproduisent les massacres coloniaux et de leur histoire il faut leur renvoyer la pâle image du ghetto de Varsovie et du bombardement de Guernica devant ce que subissent les Palestiniens. Ils ne sont pas les seuls complices. Tzipi Livni a choisi Le Caire, mercredi dernier, pour annoncer cette guerre contre les Palestiniens. Un journal saoudien a rapporté les propos de Peres qui rassurait sur la ferme volonté d'Israël de ne pas pénétrer Ghaza parce qu'il avait les moyens d'agir autrement. Israël a annoncé la poursuite de ses bombardements. Que l'Europe choisisse de s'asseoir avec son rejeton malgré ses crimes de guerre, cela va de soi. Que des pays arabes en mal de protection américaine bénissent ses crimes cela va de soi. Qu'Israël ait trouvé ses harkis comme la France avait trouvé le bachaga Boualem et mademoiselle Sid Cara en Algérie ou Bai Daï en Indochine, rien de plus normal. Tous les conquérants et tous les occupants ont trouvé des collabos. Mais personne ne pourra dire qu'il n'a pas à être plus palestinien que les Palestiniens et qu'il ne savait rien du crime ni des criminels. N'est-ce pas enfants aux os brisés, n'est-ce pas enfants errant dans les rues de Ghaza, n'est-ce pas enfants ensanglantés dans des hôpitaux sans moyens ? N'est-ce pas enfants de Ghaza qui n'avez connu que douleur sur douleur sur les poitrines sonores de vos mères ? N'est-ce pas enfants de Ghaza qui n'avez connu de la vie que les noces sanglantes de votre mort ? M. B.