Walter Smith : «Ses montées balle au pied est une qualité rare en Europe» Depuis qu'il évolue en Grande-Bretagne, Madjid Bougherra apparaît tellement British dans son jeu qu'il n'a trouvé aucune difficulté à se découvrir très Scottish. Nous avons eu à le constater sur place : le défenseur algérien est carrément la révélation de la saison au pays du kilt et de la cornemuse. Arrivé sur la pointe des pieds, presque anonymement aux yeux d'observateurs qui ont tendance à sous-estimer les petits noms pour n'encenser que les grands, il est devenu incontournable dans son l'équipe et médiatisé dans la presse locale. Pourtant, il n'a pas débarqué dans un petit club de province ou dans l'un du deuxième palier de la première division. Il est dans l'un du top de l'élite, les Glasow Rangers, détenteur du record national des titres et finaliste de la dernière édition de la Coupe de l'UEFA. De Charlton, club instable et aux résultats aussi irréguliers qu'étaient ses titularisations, il a grimpé de plusieurs crans pour être, aujourd'hui, à la porte d'une participation à une compétition européenne. Cuellar grave son nom et s'en va Il est vrai que s'imposer aux Rangers à l'été 2008 en tant que défenseur central n'était pas une mince affaire. La raison ? Le fantôme de Carlos Cuellar. Arrivé aux Rangers en provenance d'Osasuna en 2007, le défenseur espagnol est resté une saison année dans le club écossais, mais cela a été suffisant pour marquer son passage est graver son nom dans le cœur des Ecossais. Un des artisans du parcours honorable des Rangers lors de la phase des poules de la Ligue des champions (lors de la victoire éclatante sur le terrain de Lyon 0-3, il avait mis Benzema dans sa poche) et, surtout, de l'épopée de la Coupe de l'UEFA qui s'en est suivie avec une place en finale, Cuellar a terminé son unique saison en Ecosse en étant élu meilleur joueur du championnat. C'était tellement fort que lorsque le club l'a vendu l'été dernier à Aston Villa pour 8 millions de livres sterling (presque 12 millions d'euros), les supporters étaient en colère car le croyant irremplaçable. Bougherra, c'est Cuellar et demi ! Dès lors, on peut imaginer la moue plutôt dubitative de milliers de fans lorsque Bougherra, censé remplacer Cuellar, est arrivé. «C'est qui, lui ? Il vient de la Championship (deuxième division anglaise, ndlr) et il veut remplacer Cuellar ?» Loin d'être de la méchanceté, c'était juste un constat froid et flegmatique, à la britannique. Tout aussi flegmatique, mais avec des données techniques précieuses que lui a fournies son préparateur physique qui avait connu Bougherra à Sheffield Wednesday, l'entraîneur Walter Smith n'a pas fait cas du scepticisme ambiant et a fait confiance en sa nouvelle recrue. L'Algérien, loin de se laisser impressionner, a admirablement répondu sur le terrain. Résultat : les Rangers ont retrouvé un autre Cuellar, la technique individuelle en sus. Un défenseur rugueux qui sait défendre et qui, en plus, n'est pas du tout maladroit balle au pied et se permet même des montées vers l'attaque, ça ne court pas l'Ecosse. Le tout à seulement 2,5 millions de livres sterling. Ca, c'est du business ! Le Buteur, source d'infos des médias écossais Six mois après, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 22 titularisations en championnat (il n'a raté que 5 matches à cause de blessures), 1 but (contre Hibernian), de grandes chances de remporter le championnat, une finale de Coupe de la Ligue à disputer le 15 mars contre le grand rival, les Glasgow Rangers, la reconnaissance des médias et l'estime du public. Tellement d'acquis en si peu de temps ! Plus même : lorsque des offres étaient arrivées de l'Olympique de Marseille et de Newcastle lors du mercato, des supporters qui le croisaient l'ont supplié de ne pas partir. Bougherra est incontestablement sur un piédestal. Il est désormais l'une des stars du championnat écossais. Qui dit star dit médiatisation outrancière. C'est un peu le cas pour lui, car toutes ses déclarations sont scrutées, épluchées, analysées et répercutées. Comme il n'a pas trop tendance à se dévoiler aux journalistes locaux, ces derniers cherchent systématiquement des traces de son actualité ou de ses déclarations dans les médias algériens. Bien sûr, la référence pour eux reste Le Buteur et son site Web (www.lebuteur.com), visité tous les jours pour y explorer le moindre petit détail concernant ce joueur qui les intrigue tant. L'affaire Gaza, un coup de maître médiatique ! L'exemple le plus marquant a été «l'affaire» du crêpe noir. En effet, lors des tragiques massacres perpétrés contre la population de Gaza, Bougherra avait déclaré dans les colonnes du Buteur qu'en signe de solidarité, il comptait arborer un crêpe noir lors du match de championnat qui allait suivre. Lue dans notre site Web, cette déclaration a fait beaucoup de bruit, car reprise par les grands médias écossais. Des journalistes (surtout ceux sympathisants du Celtic) ont même voulu exploiter l'affaire pour salir le joueur en demandant l'intervention de la Fédération écossaise de football. Sans le vouloir, ces médias ont donné plus d'écho au message de sympathie qu'a voulu transmettre Bougherra qu'il en aurait eu s'il avait porté le crêpe noir. Le coup médiatique s'est révélé un coup de maître ! Dès lors que le message était passé, le geste qu'il projetait d'accomplir était devenu inutile et il ne l'a pas accompli, coupant ainsi l'herbe sous les pieds de ceux qui n'attendaient que cela pour le descendre en flammes. «C'est la fierté des musulmans» Si la déclaration du défenseur international algérien a fait ruer certains Ecossais dans les brancards, elle a à l'inverse fait la fierté de la communauté musulmane installée en Ecosse, particulièrement à Glasgow. Les Pakistanais, Marocains, Turcs et, évidemment, Algériens rencontrés à Glasgow n'ont pas tari d'éloges sur le joueur. Karim, Algérois de la Rampe Valley, rencontré chez Kamel, boucher à Great Western Road, rue commerçante de la ville très fréquentée par les musulmans, résume le sentiment ambiant : «Madjid est une fierté pour nous. Il est vraiment exemplaire sur le terrain et en dehors. Il a osé dire une vérité et dénoncer un déni de justice dont sont victimes les Palestiniens. C'est très courageux de sa part.» Kamel, chez qui Bougherra vient de temps en temps faire ses courses pour acheter halal, témoigne : «Il est d'une modestie incroyable. Pourtant, dites-vous bien que c'est une star ici. Je suis un sympathisant des Rangers depuis longtemps et je sais de quoi je parle. Il est poli, respectueux, un vrai oulid familia.» «Hemdani, lui, n'est jamais venu nous voir» Présent en Grande-Bretagne depuis une dizaine d'années, son commerce est le lieu de rencontre sporadique («quand les gens ont le temps de venir car, ici, tu travailles ou tu crèves», explique-t-il avec le sourire) des Algériens, regroupés en association. Cet enfant de Bab El Oued ne cache pas sa fierté que Bougherra ait été désigné symboliquement comme représentant de la communauté musulmane pour l'année 2008 de par l'aura qu'il dégage et l'humilité qu'il affiche. «Une chose est certaine : cela n'a rien à voir avec Hemdani. Lui, on ne l'a jamais vu en ville, bien qu'il soit aux Rangers depuis trois ans. Cela nous a déçus.» Sofiane, originaire de Bab Djedid (décidément, il y a beaucoup d'Algérois à Glasgow), abonde dans le même sens : «Bougherra représente admirablement les musulmans. Je ne connais personneà avoir dit du mal de lui, même ceux qui supportent le Celtic !» Madjid Bougherra, qui a retrouvé ses vertus de «Magic», est peut-être en passe d'écrire la première ligne à son palmarès : il disputera le 15 mars la finale de la Coupe de la Ligue contre le Celtic. S'il remporte déjà ce titre, sept mois après son arrivée aux Rangers en anonyme, la saison serait déjà réussie. En attendant mieux, car un triplé championnat-Coupe d'Ecosse-Coupe de la Ligue (que le fameux Cuellar n'a pas remporté) est encore jouable. S'il le remportait, il prendrait certainement une autre statu(r)e… Farid Aït Saâda «Je dis aux jeunes talents : n'hésitez pas à partir en Europe !» Depuis le temps qu'il est en sélection nationale, Madjid Bougherra a appris à connaître tout le groupe, dont les joueurs locaux. Il parle beaucoup avec eux, échangeant des idées sur leurs expériences respectives. «Moi, j'ai toujours affirmé qu'il y a des talents en Algérie. Il y a juste qu'on ne les fait pas assez travailler, ce qui freine leur progression. Lorsque je croise des joueurs locaux, surtout si ce sont des jeunes, je leur tiens un seul message : qu'ils n'hésitent pas à tenter l'aventure en Europe s'ils s'en sentent capables, car c'est comme ça qu'ils progresseront.» Pour lui, les exemples foisonnent. «Regardez Halliche. Il a pris la décision de tenter l'aventure et ça marche pour lui puisqu'il est titulaire dans un club de l'élite portugaise. C'est le cas aussi de Abderraouf Zarabi. Même son jeune frère, Kikou (Kheireddine, ndlr), a franchi le pas. Je le connais bien, car il était avec moi à Gueugnon. Voyant que ça ne marchait pas, il n'a pas hésité à jouer en Finlande et, à présent, il joue en première division portugaise, à Belenenses. Vous voyez ? Il suffit juste d'oser car, question talent brut, l'Algérien n'a rien à envier aux Européens.» * «Ce n'est pas trop tard pour Hadj Aïssa, notre Ronnie» Le cas qui lui tient à cœur est celui de Lazhar Hadj Aïssa. «Je l'appelle Ronnie (diminutif de Ronaldinho, ndlr) et il le sait. Je lui rappelle tout le temps qu'il a un talent fou et qu'il doit le développer en Europe. Il est passé par des moments difficiles, avec notamment un accident de la route et une méchante blessure. Il a été peut-être mal conseillé sur son transfert avorté en Europe et c'est ce qui retarde son départ, mais ce n'est pas trop tard. Tant qu'il n'a pas 26 ans, il peut encore partir, car à 26 ans ou plus, c'est plus difficile.» Un conseil donc de Bougherra à Hadj Aïssa : «Hé, Ronnie, vas-y !» * «Le pseudo conflit locaux-pros, c'est l'excuse quand il n'y a pas de résultats» Le clivage locaux-pros semble être un (faux) problème algérien. Alors que les révélations d'anciens internationaux des années 80, publiées depuis quelques semaines dans Le Buteur, révèlent des dissensions entre les joueurs ayant évolué en Algérie et ceux ayant joué en Europe, cette histoire avait également fait l'actualité il y a deux ans au sein de la sélection nationale. Alors, y a-t-il vraiment un conflit entre les locaux et les pros ? Madjid Bougherra ne le croit pas. «Je me suis toujours bien entendu avec tout le monde, y compris les locaux. Que ce soit avec Raho, Djediat, Gaouaoui, Hadj Aïssa, Maïza, Zaoui ou tous les autres, cela n'a jamais posé problème. Certes, les approches sur des paramètres purement techniques sont différentes, mais nous sommes tous des Algériens. Pour moi, l'explication est simple : quand il y a de mauvais résultats, on cherche à trouver des prétextes et ce pseudo-conflit entre pros et locaux est l'une des excuses que sortent certains. Mais ma profonde conviction est que ce prétendu conflit n'a jamais existé, du moins depuis que je suis en sélection nationale.» A bien analyser cette analyse, elle est loin d'être bête. Au Mondial-82, il y avait des locaux et des pros et pas de conflit parce que les résultats étaient là. Lors des qualifications pour le Mondial-86, le parcours était exemplaire avec pros et locaux réunis et aucune trace de conflit. Sept mois plus tard, au Mondial-86, il n'y a pas eu de résultats et on a sorti un conflit. F. A-S Walter Smith : «Ses montées balle au pied est une qualité rare en Europe» Ancien sélectionneur de l'Ecosse, Walter Smith a mené les Glasgow Rangers jusqu'en finale de la Coupe de l'UEFA la saison passée. Cette saison, il vise le triplé championnat-Coupe d'Ecosse-Coupe de la Ligue. C'est lui qui avait insisté auprès de sa direction, l'été dernier, pour ramener Madjid Bougherra, quasi-inconnu dans le pays. Aujourd'hui, il ne regrette pas son choix, loin de là. * Depuis l'été dernier, vous avez un défenseur algérien au sein de l'équipe, Madjid Bougherra. Etes-vous satisfait de ses performances ? Oui, très satisfait. Il a la particularité de pratiquer un football différent de celui des Européens. Il est habile balle au pied et dans ses montées avec le ballon, en plus de ses talents défensifs, ce qui rare chez nous. Il nous convient parfaitement. * Il avait été recruté pour remplacer le meilleur joueur du championnat écossais de la saison passée, Carlos Cuellar. A-t-il réussi à lui succéder ? Oui, il a parfaitement réussi sur ce plan-là. Certes, son profil de jeu est différent de celui de Cuellar, mais il est tout aussi efficace dans l'accomplissement de ses tâches depuis son arrivée. Il a tendance parfois à monter balle au pied à partir de derrière et je pense que c'est un plus pour l'équipe. * N'est-ce pas surprenant pour un défenseur d'être aussi technicien que l'est Bougherra ? La principale qualité d'un défenseur, une fois qu'il a récupéré le ballon, est de savoir relancer proprement vers l'avant. Bougherra sait très bien le faire, mais il a aussi le talent pour remonter balle au pied. Parfois, cela crée le surnombre en notre faveur au milieu ou en attaque et peut contribuer à créer le danger. Cette qualité de Bougherra requiert des réaménagements dans le positionnement des joueurs, mais nous encourageons ses montées lorsqu'elles peuvent créer une opportunité de porter le danger dans le camp adverse. * Quels sont les défauts que vous lui trouvez au niveau du jeu ? Sincèrement, je n'en trouve pas. Il est rapide, bon avec le ballon, bon dans les airs, généreux dans l'effort. Ce sont des qualités essentielles et il les a. Je ne lui connais pas de défauts. * Comptez-vous le garder à la fin de la saison ? Bien sûr que je veux le garder ! Nous avons été très déçus par le départ de Cuellar l'été passé, mais, fort heureusement, «Magic» l'a très bien remplacé. Nous serions tout autant déçus qu'il parte à la fin de la saison. Parfois, il y a des paramètres financiers qui entrent en considération, mais mon souhait personnel est de le garder pour quelques saisons encore. Entretien réalisé à Glasgow par Farid Aït Saâda