"C'est vrai que beaucoup de pays africains ont choisi de faire confiance à des coachs étrangers." C'est en marge de la conférence de presse qu'il a donnée à Johannesburg pour parler de la «Fondation Cœur d'Afrique Solidarité Roger Milla» que l'ancien Lion indomptable nous a accordé cet entretien. Roger Milla a été égal à lui-même, c'est-à-dire simple et généreux. Bien que certaines questions l'aient un peu bousculé, la star camerounaise des années 80 a souri lorsqu'il se sentait acculé, mais il a finalement accepté davancer malgré cette obligation de réserve qui l'empêchait de s'étaler sur certains sujets brûlants. Il a aussi parlé des Verts et surtout de Raïs M'bolhi-Ouhab qui a ébloui le monde entier pas sa classe. Un échange avec Roger Milla est toujours gagnant. La preuve est entre vos mains. Appréciez. Qu'est-ce que vous pensez des équipes africaines qui sollicitent des entraîneurs étrangers ? C'est vrai que beaucoup de pays africains ont choisi de faire confiance à des coachs étrangers. Je ne suis pas contre cela, mais je pense que les gouvernements de ces pays doivent aussi encourager les entraîneurs locaux. Il y a beaucoup d'entraîneurs compétents en Afrique. Il y en a même plus qu'on pourrait l'imaginer. Le problème est qu'on ne veut pas leur donner leur chance. On les condamne avant même d'avoir pu prouver leurs compétences. C'est de l'injustice, il n'y a pas de doute. Je n'ai pas besoin de chercher loin pour trouver des cas comme ça. Au Cameroun, il y a un entraîneur camerounais qui a gagné la médaille d'or olympique à Sydney, mais qui a été viré juste après. On ne veut pas faire confiance à des gens de l'intérieur. C'est dommage, parce qu'il a des qualités. Comme il y a de la qualité un peu partout en Afrique. Je crois que le temps est venu de faire enfin confiance aux entraîneurs africains. Certains pays ont tout de même osé maintenir un local, à l'image de l'Algérie, non ? Oui, c'est très bien ce que fait l'Algérie. C'est même un bon exemple pour les autres. Vous voyez bien que ça peut très bien fonctionner avec un entraîneur africain. M. Saâdane a réussi à qualifier l'Algérie pour le Mondial en faisant un grand travail au sein de l'équipe. On n'arrive pas en demi-finale de la CAN par hasard et on n'accroche pas l'équipe d'Angleterre non plus par hasard. Je suis sûr qu'il se trouvera des gens pour tenter de minimiser le travail de M. Saâdane, malgré la bonne santé affichée par l'équipe d'Algérie. Mais on n'y peut rien, c'est la mentalité africaine qui est faite ainsi. C'est regrettable de ne voir que le Ghana qualifié pour le second tour. Pourquoi ça se passe toujours comme ça pour les Africains ? C'est sûr qu'on aurait aimé en voir d'autres aux côtés du Ghana. Je suis le premier désolé de voir une seule équipe qualifiée au second tour. Si on veut voir une équipe africaine aller au bout dans une Coupe du monde, il faudra qu'on travaille beaucoup plus dans chaque pays. L'organisation de nos championnats aussi fait défaut et empêche les joueurs locaux de progresser. Ce n'est pas par hasard que les équipes européennes ou sud-américaines dominent le football mondial. Il reste manifestement beaucoup de travail à réaliser dans nos pays. C'est aux fédérations de prendre les bonnes décisions pour que le football africain avance. Ça ne peut plus durer ce qu'on fait. Les équipes africaines puisent pratiquement tous leurs joueurs en Europe. Roger, ne pensez-vous pas que le temps est venu pour l'Afrique de réclamer des places supplémentaires en Coupe du monde ? Et puis, comprenez-vous que l'Europe ait 13 équipes alors que l'Afrique n'en n'a que 6 ? Je suis un peu gêné devant ce constat, je dois l'avouer, parce que j'appartiens aussi à la FIFA. Je suis donc un peu embarrassé de par ma position d'ambassadeur de la FIFA. Mais je confirme que vous avez parfaitement raison de poser cette question, parce qu'elle est d'actualité. Je ne sais pas quoi vous répondre franchement, car je suis un peu gêné… Mais si vous vous taisez, vous les joueurs africains reconnus dans le monde entier, qui va défendre ce fichu continent ? Pensez-vous que la Grèce, la Slovénie ou la Suisse sont plus forts que le Mali, le Sénégal, l'Egypte ou l'Angola ? C'est vrai ce que vous dites, car ça fait mal au cœur de ne pas voir des équipes comme le Sénégal ou l'Egypte championne d'Afrique absentes d'un tel événement. L'Afrique mérite bien plus de places en Coupe du monde, mais c'est à vous journalistes de pousser et nous les joueurs, nous vous soutiendrons à coup sûr. Mais cela ne peut pas venir de nous, car nous avons des obligations de réserves, lorsqu'il s'agit de la FIFA. Il faut aussi nous comprendre. Ils vous donnent des postes honorifiques pour mieux vous museler ? Non, ce n'est pas ça… (Il se tait, car il est extrêmement gêné). Bon, passons, on sent que vous n'allez pas nous donner la réponse qu'on attend de vous. Dites-nous donc ce que vous avez pensé de la prestation de l'équipe d'Algérie dans ce Mondial ? Je pense que l'Algérie a fait une très, très grande Coupe du monde. Surtout qu'elle sort de plusieurs années d'absence dans les grandes compétitions. La nouvelle génération de joueurs algériens doit être prise en charge de manière soignée. Il faut de la continuité dans le travail pour rester à ce niveau d'abord, afin de progresser plus à l'avenir. Il faut confirmer en arrivant à se qualifier de manière régulière en Coupe du monde. Et qu'est-ce qui n'a pas marché dans cette équipe d'Algérie ? Il a manqué des buteurs dans cette équipe. Sans les buts, on ne peut pas aller loin en Coupe du monde. Quand Madjer, Belloumi et Assad marquaient, l'Algérie se portait nettement mieux. Aujourd'hui, c'est ce qui manque à l'équipe d'Algérie. Vous parlez de Madjer et justement son nom a été évoqué avec insistance pour succéder à Saâdane. Qu'en pensez-vous ? Oui, pourquoi pas Madjer ! Et pourquoi ne pas lui ajouter d'autres anciens comme Belloumi ? Je pense que ce duo a les facultés qu'il faut pour devenir une bonne solution à l'équipe d'Algérie. On peut les entourer de spécialistes comme l'ont fait les Argentins avec Maradona pour avoir plus d'assurance. Il faut donner la chance aux compétences africaines. Comment jugez-vous le jeu des Algériens dans ce Mondial ? Je suis désolé, mais je ne peux pas juger cette équipe, pour la simple raison que je n'ai pas pu suivre leurs trois matchs ; ce que je peux dire par contre, c'est que le second gardien qui a joué… Il s'appelle M'bolhi… Oui, lui, par contre, il a été formidable. Il a vraiment été pour moi exceptionnel ! Vous savez, M'bolhi est issu de parents mixtes. Il est à moitié algérien et moitié congolais. Il vous plaît ce mélange 100 % africain ? Ah oui ! Bien sûr qu'il me plaît ! Moi je dis que c'est très bien que les Algériens l'aient accepté aussi facilement. C'est un bon exemple pour l'Afrique. J'ai vraiment apprécié qu'on l'ait intégré sans souci en lui accordant la nationalité algérienne. Mais c'est un de nos enfants, quoi de plus naturel Roger ? Bien sûr que c'est un Algérien. Mais je voulais souligner cela, car ça me plaît beaucoup. C'est vraiment bien. Que pensez-vous justement du bilan de Paul Le Guen à la tête de la sélection du Cameroun et est-ce que vous le conseilleriez aux Australiens qui voudraient le prendre comme sélectionneur national ? Je ne veux pas parler de Paul Le Guen. Il a fait ce qu'il a pu avec ce qu'il a trouvé et c'est tout. Maintenant, s'il peut faire mieux que ce qu'il a fait avec le Cameroun qui reste tout de même une grande déception pour moi, qu'ils le prennent. Mais je ne suis pas son manager pour leur conseiller Paul Le Guen. Que pensez-vous aujourd'hui de ceux qui doutaient de la bonne organisation de la Coupe du monde en terre africaine ? Nous avons été tellement critiqués par ceux qui pensaient que les Africains n'étaient pas capables d'organiser une Coupe du monde. Ils pensaient que les stades n'allaient pas être prêts pour le début du Mondial et on a tout fait pour semer le doute autour des capacités des Africains à réussir cet événement. Je crois qu'aujourd'hui, on peut être fiers de leur dire que tout se passe bien dans cette Coupe du monde. Les participants ont tous reconnu que les stades sont meilleurs que tout ce qu'ils ont pu voir ailleurs, à ce jour. L'ambiance est formidable, les stades sont pleins, contrairement à ce qu'on entendait depuis quatre ans. Je crois que cette Coupe du monde en Afrique est la meilleure de toutes celles qui l'ont précédée. Il n'y a que le Mondial de 1994 aux Etats-Unis qui a fait mieux. On peut donc être fiers du résultat et cela va sans doute nous servir à l'avenir. L'Afrique a gagné son pari face à ses détracteurs ! Nous leur avons donné une grande leçon.