«L'Algérie a séduit par son jeu, même si elle a déçu par ses résultats» S'il y a une légende américaine des années 90, c'est bien John Harkes. Premier joueur américain à avoir évolué en Premier League anglaise, cet ancien milieu de terrain, passé notamment par Sheffield Wednesday, Derby County et West Ham, a participé à deux phases finales de Coupe du monde (1990 et 1994), dont la deuxième, chez lui, aux Etats-Unis, en tant que capitaine d'équipe. A présent à la retraire, il suit le Mondial en tant que consultant pour des journaux britanniques et américains. En tant qu'Américain, c'est avec intérêt qu'il a suivi les prestations de la sélection algérienne. Tout d'abord, peut-on avoir votre opinion sur le niveau de cette Coupe du monde ? Je pense que le niveau est bon. Il ne faut pas occulter que les équipes évoluent dans un contexte différent par rapport aux précédentes éditions : un nouveau continent, l'altitude, les conditions climatiques… Ce sont des changements qui constituent autant de difficultés à surmonter. C'est pour quoi je dis que, compte tenu de ces contraintes, le niveau des matchs est très acceptable. Nous avons vu des équipes qui ont brillé collectivement, quelques individualités qui ont percé, mais le charme de la Coupe du monde est bien présent. Que pensez-vous de la qualité de l'organisation que beaucoup de gens appréhendaient au départ ? Je pense que le déroulement très correct de la compétition et des activités annexes démontre que c'est une organisation de qualité. Il n'y a qu'à voir l'animation qui règnes dans les villes hôtes, le grand nombre de supporters de tous les pays participants qui sont venus en Afrique du Sud ainsi que le nombre et la qualité des entraîneurs, techniciens et anciennes gloires qui ont fait le déplacement pour constater que tout se passe dans les meilleures conditions. Certes, on parlait beaucoup, avant le début de ce Mondial, des risques d'attentats et de crimes, mais je n'ai personnellement rien vu de tel. Dans tous les endroits où je suis parti, c'était sécurisé. Il y a de nombreuses surprises lors de ce Mondial, avec les éliminations successives et inattendues de l'Italie, de la France, de l'Angleterre, des Etats-Unis, du Brésil… Quelle en est l'explication, selon vous ? C'est ça la Coupe du monde ! Le statu quo n'existe pas. Les choses évoluent avec le travail des entraîneurs et l'apport de nouveaux joueurs. En 2006, l'Italie et la France avaient animé la finale, mais les choses changent en quatre ans. De plus, ce ne sont pas forcément ceux qui pratiquent le meilleur football qui passent. Le football samba, c'est fini ! Aujourd'hui, le jeu est basé sur le physique, la rapidité et l'efficacité. Avant, il y a avait des disparités de niveau entre les sélections qui participaient à un Mondial, mais on assiste à un nivellement du niveau de nos jours. De plus, rares sont les joueurs qui peuvent changer le cours d'un match à eux seuls. Il y a peut-être Messi, mais il n'a pas joué sur sa véritable valeur. En résumé, la prime aujourd'hui est au collectif et à l'efficacité, pas forcément aux grands noms et au beau jeu. Qu'est-ce qui pourrait expliquer le renversement incroyable qu'a connu le match Brésil-Pays-Bas, avec des Hollandais retrouvés en deuxième période après avoir été inexistants durant la première ? Absolument. Il n'y avait que le Brésil sur le terrain lors de la première période, mais les Hollandais, qu'on croyait résignés, sont revenus déterminés après la pause en se montrant plus agressifs, plus présents dans la surface adversaire et au pressing. Les Brésiliens ont encaissé un but sur une erreur défensive, ce qui peut arriver même en Coupe du monde. Le ballon, quand il est flottant, peut changer de direction et tromper n'importe quel gardien de but et c'est ce qui est arrivé. Parfois, un match peut se jouer sur des petits détails. Cela a été le cas pour la sélection des Etats-Unis qui, bien qu'elle ait figuré dans une poule difficile, est passée en une minute du statut d'équipe éliminée à celui de leader du groupe et qui, dans son huitième de finale, a raté sa qualification sur une erreur de concentration. Votre avis sur la participation de l'Algérie à ce Mondial ? C'est une équipe vraiment très solide qui n'a été ridicule dans aucun de ses matchs. Elle pratique un football collectif basé sur la multiplication des passes. Lors de son premier match contre la Slovénie, elle était en train de faire le jeu lorsqu'elle s'est fait surprendre par un but sur une erreur du gardien de but. Contre l'Angleterre et les Etats-Unis, elle n'a pas du tout démérité, manquant un peu de chance en attaque. J'ai vu des joueurs jouer avec passion et cœur. Je sais que dans votre pays, on aime beaucoup le football. Ce qui est certain, c'est que l'Algérie a séduit par son jeu, même si elle a déçu par ses résultats. Je ne crois pas être le seul à le dire. Le match contre les Etats-Unis a été, à la limite, dramatique… Oui, très dramatique. Pour preuve, le sort du match s'est décidé dans le temps additionnel. C'était un match d'une grande intensité, ouvert et haletant. Franchement, chacun des deux équipes pouvait prétendre à la victoire. Quand j'y repense, quel match incroyable ! Les Américains ont été très chanceux au début du match avec ce tir de Djebbour sauvé par la transversale. Si les Algériens avaient marqué à ce moment-là, il aurait été difficile aux Américains de revenir dans le match. Comment expliquez-vous qu'à l'exception du Ghana, les sélections africaines n'ont pas pu passer le premier tour ? Les raisons sont diverses. Pour la sélection d'Afrique du Sud, c'était difficile de supporter la pression d'être le pays organisateur, avec tous les espoirs du peuple sud-africain. D'autres équipes ont péché par nervosité en voulant bien faire. Il y en a qui n'ont pas eu de chance, comme la Côte d'Ivoire qui est tombée dans un groupe très difficile ou l'Algérie qui s'est montrée inefficace en dépit d'un bon fond de jeu. Si le Ghana a été seul à s'en sortir, c'est parce qu'il a réussi à jouer sans complexe, comme il sait le faire. Souvent, ça se passe dans la tête. Quel est votre favori pour le sacre final ? Moi, je vois l'Espagne parce que c'est la seule équipe jusqu'à présent qui a vu ses individualités marquantes, comme Villa en attaque et Xavi au milieu de terrain, faire profiter leur talent au collectif. C'est une sélection qui monte en puissance et qui arrivera à point, je crois, pour la finale.