«Je respecte les joueurs africains, mais pas leurs équipes» Bora Milutinovic est un véritable globe-trotter du football. Non pas en tant que football, mais plutôt comme entraîneur. Plus précisément, comme sélectionneur puisqu'elle a coaché de nombreuses sélections de quatre continents différents, la majorité des cas en phase finale de Coupe du monde (le Mexique en 1986, le Costa-Rica en 1990, les Etats-Unis en 1994, le Nigeria en 1998, la Chine en 2002). Le Mondial, ça le connaît donc ! Il suit l'édition de cette année en tant que consultant pour une chaîne de télévision, même s'il s'est plus ou moins impliqué dans la préparation de la sélection de la Serbie, son pays d'origine. Alors que la Coupe du monde 2010 est sur le point de s'achever, il en tire un premier bilan, tout comme pour la participation algérienne. Ayant fait plusieurs Coupes du monde en qualité de sélectionneur de différentes équipes, comment situez-vous ce Mondial par rapport aux éditions précédentes ? Il ne serait pas logique d'oser des comparaisons, et ce, pour une raison bien simple : en quatre ans, soit entre deux phases finales de Coupe du monde, il y a beaucoup de choses qui changent, que ce soit dans les effectifs, dans l'évolution des équipes, dans la progression des joueurs ou dans le contexte général de la compétition. Voyez ce qui s'est passé pour l'Italie et la France, le champion et le vice-champion du monde. Voyez même ce qui s'est passé avec l'Angleterre, que les observateurs croyaient plus forte avec un nouvel état d'esprit. Si ces dernières équipes sont mécontentes de cette Coupe du monde, ce n'est pas le cas de l'Uruguay, du Paraguay, de la Corée du Sud ou du Japon qui, eux, ont accompli beaucoup de progrès. Donc, ce n'est pas bon de faire des comparaisons car tout est relatif. Chacun a sa propre perception de la Coupe du monde. Les Ghanéens ne vont quand même pas dire qu'ils ne sont pas contents ! Quand même, que retenez-vous de ce tournoi d'un point de vue technique ? Je retiens que les meilleurs matches sont survenus à partir du deuxième tour. Lors de la phase des poules, il y avait trop de calculs car la majorité des équipes cherchaient surtout à ne pas perdre. Ce n'est qu'avec l'avènement des tours à élimination directe que les équipes ont été obligées de se dévoiler, ce qui a donné lieu à quelques belles rencontres. Etes-vous d'accord avec ceux qui disent que, globalement, le niveau a été plutôt moyen car il n'y a pas eu de beau jeu durant ce Mondial ? Les gens disent cela parce que les sélections supposées être les meilleures ont été éliminées. Et puis, les meilleurs joueurs sur le plan individuel se sont montrés effacés et ce qui fait croire à certains que le niveau n'a pas été à la hauteur car ils n'ont pas vu les supposées stars faire leur cinéma. Au contraire, nous avons vu des joueurs moyens percer car ils ont reposé leurs performances sur le collectif. Prenez l'Allemagne : Klose, Müller et Podolski ne sont pas des génies sur le plan individuel, mais quand ils jouent ensemble, ils font des choses extraordinaires. C'est donc l'effacement des stars ayant habitué à régaler les gens qui fait croire à ces derniers, dans leur subconscient, qu'il n'y a pas de niveau. Parlons de la participation africaine. Pourquoi le Ghana a été seul à s'illustrer, alors que les cinq autres sélections n'ont pas pu passer le premier tour ? Je ne peux rien expliquer pour la simple raison que je n'ai pas vécu ce qui s'est passé au sein des sélections pour comprendre ce qui a mal fonctionné. Personne ne pourra expliquer ce qui n'a pas marché, sauf les intéressés. Je peux toutefois me permettre de dire qu'autant j'ai du respect pour les footballeurs africains, en tant qu'individualités, autant j'ai peu de respect pour les équipes africaines parce qu'elles n'arrivent pas encore à assimiler l'importance et la nécessité de la primauté du jeu collectif sur les exploits individuels. C'est difficile de convaincre les Africains d'enchaîner trois ou quatre passes. Ils ne prennent pas conscience des risques que leur négligence comporte. Il faut trouver le moyen de leur faire entrer cela dans la tête. Il y a quand même du talent en Afrique… Certes, il y a du talent, mais un talent qui ne se met pas au service du collectif est un talent stérile. Cela ne sert à rien d'avoir du talent si on ne l'exploite pas comme il se doit. Quand j'étais sélectionneur du Nigeria lors de la Coupe du monde de 1998 en France, le message semblait bien passer auprès des joueurs et nous avions réalisé quelques matches très intéressants, avant d'être sortis par l'Allemagne à cause d'erreurs d'inattention qui auraient pu être évitées. Parfois même, c'était incompréhensible. Peut-être que ça se passe dans la tête des joueurs… Tout se passe dans la tête. Tout est question de mental. Le Ghana a-t-il réussi parce qu'il a un état d'esprit différent, avec des joueurs dont la plupart jouent ensemble depuis les sélections des jeunes catégories et qui ont été forgés à la culture du collectif ? Oui, certainement. L'entraîneur, Rajevac, a fait un excellent travail au plan collectif. De plus, c'est votre compatriote puisqu'il est lui aussi Serbe… Il n'est pas seulement mon compatriote. Nous sommes aussi issus du même village ! Ah, bon ? Bien sûr ! Cela dit, ce n'est pas pour cela que je lui jette des fleurs. Il a fait réellement un excellent travail. Il a apporté une cohérence, une cohésion et une stabilité dans le jeu du Ghana. Cela me fait penser à certaines sélections qui ont changé de sélectionneur quelques mois seulement avant le Mondial. C'est insensé ! C'est d'ailleurs l'une des raisons du fiasco qu'ont connu ces équipes. Qu'est-ce qui n'a pas marché pour la sélection algérienne, selon vous, alors que beaucoup d'observateurs s'accordent à dire qu'elle a pratiqué du beau jeu ? Moi, je pose la question : c'est quoi le beau jeu ? Pour moi, le beau jeu, c'est quand tu gagnes le match. Quand tu perds, ce n'est pas du beau jeu. C'est le résultat qui importe. L'équipe qui gagne, c'est elle la meilleure et, donc, c'est elle qui a le mieux joué. L'Algérie n'a pas gagné de matches, donc elle n'a pas bien joué. C'est vous, les journalistes, qui voulez à tout prix faire passer un mauvais résultat pour un bon résultat. Selon vous, le bilan de l'Algérie est donc négatif... Non, il n'est pas négatif, mais ce serait absurde que d'affirmer qu'il est positif. L'équipe algérienne doit travailler pour apprendre à se montrer efficace et ne pas gâcher les opportunités qui se présentent. Travailler encore et toujours pour effacer le négatif, c'est le chemin à prendre pour les Algériens pour vraiment pratiquer le beau jeu, celui qui amène à la victoire. Pour conclure, peut-on connaître votre favori pour le sacre final ? Mon favori ? C'est plutôt difficile à dire. Sur un plan sentimental, j'ai un faible pour l'Espagne. Mon cœur penche pour les Espagnols. Cependant, ma tête voit l'Allemagne triompher car les Allemands sont vraiment très forts. Donc, j'aimerais que ce soit les Espagnols qui soient sacrés champions du monde, mais les Allemands seront logiquement, compte tenu de ce qu'ils ont montré jusque-là, les grands favoris.