«Il a manqué à Djebbour et à Matmour le geste du tueur» Les téléspectateurs qui suivent les programmes de football de Canal+ admirent Olivier Rouyer pour deux choses : il est toujours enjoué et de bonne humeur et il ne manie pas du tout la langue de bois. Ses critiques sans complaisance sont toujours argumentées et il a le mérite de proposer des alternatives. C'est avec sa franchise coutumière qu'il analyse le fossé qui s'est creusé en matière de football entre l'Italie, la France et l'Angleterre d'un côté, et l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas de l'autre. Il apporte aussi son appréciation sur les prestations de la sélection algérienne. Au soir du premier tour de cette Coupe du monde, le football européen faisait l'objet de critiques puisque le nombre de sélections européennes qualifiées pour les huitièmes de finale (6, ndlr) était le plus faible depuis que le Mondial est passé à 32 participants. Or, non seulement on se retrouve avec trois sélections européennes en quarts de finale, mais il y aura même une finale 100 % européenne. Comment expliquez-vous cette évolution ? Déjà que l'Allemagne soit en demi-finale n'est pas une surprise car j'estime que c'est la sélection qui produit le plus beau football dans ce Mondial. Même si les Allemands n'étaient pas donnés favoris avant le début du tournoi, leur football a fait la différence. Concernant les Pays-Bas, j'ai envie de dire qu'ils ont eu un tournoi presque tranquille avec des buts heureux contre le Danemark et le Japon. Dans leur quart de finale face au Brésil, il y a eu cette faute du gardien de but brésilien, Julio Cesar, et le but contre son camp de Felipe Melo qui ont complètement changé le cours du match. Est-ce à dire que les Pays-Bas ont toujours fourni juste assez d'efforts pour gagner, sans se donner à fond ? C'est ce que je suis en train de dire. Les Pays-Bas ont fait leur tournoi en nous laissant un peu sur notre faim. On n'a pas encore vu leur vrai visage. Certes, on a vu lors de la deuxième mi-temps de leur match contre le Brésil que cette équipe était tout à fait capable de réussir des exploits, notamment lorsqu'il y a eu des problèmes dans la tête des Brésiliens, ce qui leur avait permis de faire la différence. Pour ce qui est de l'Espagne, j'ai presque envie de vous tenir le même discours, à savoir que cette équipe, qu'on présentait comme favorite pour gagner le Mondial, a fait une première manche assez tranquille où elle n'a rien montré d'extraordinaire. Cela a été compliqué au départ contre la Suisse avec une défaite inattendue, mais ils ont eu ensuite le Honduras et le Chili contre lesquels ils se sont bien sortis. En huitième de finale et en quart de finale face au Portugal et au Paraguay, cela n'a pas été facile pour l'Espagne. On n'a pas vu son vrai visage jusqu'à maintenant, sauf que, contrairement à la sélection des Pays-Bas, l'équipe espagnole a montré les qualités de football qu'on lui connaît et qui avaient été montrées en 2008 lors de l'Euro qu'elle avait remporté. N'y a-t-il pas désormais un fossé entre les sélections européennes qui n'ont pas réussi à passer le premier tour, notamment la France, l'Italie, et les trois formations européennes demi-finalistes qui ont quand même éliminé des équipes coriaces d'Amérique latine ? Sans aller jusqu'à dire qu'il y a un fossé, je pense toutefois qu'il y a une différence dans la qualité. En Allemagne, en Espagne, la qualité est là. Aux Pays-Bas, il y a eu de tous temps des talents individuels et c'est le cas encore actuellement avec les Van Persie, Sneijder et autres Robben. En France, en Italie, en Angleterre et même en Suisse, dont la sélection n'a même pas été capable de battre le Honduras, on s'aperçoit qu'il y a quelque chose qui ne va pas car la qualité des joueurs dans ces équipes n'est pas très grande. De plus, chez nous, en équipe de France, il y avait un état d'esprit qui n'était pas bon. On ne peut pas reprocher aux Anglais leur état d'esprit parce que, eux, ils vont au charbon tout le temps, mais ce n'est pas le cas des Français. Oui, je pense que pour l'Italie, la France et l'Angleterre, il y a une remise en question obligatoire à faire. Il leur faut s'inspirer de ce que font les meilleurs aujourd'hui. C'est ce que les Allemands ont parfaitement fait. En 1998, la France avait été championne du monde et cela leur a donné à réfléchir pour se remettre en question. Aujourd'hui, il y a de jeunes joueurs comme Ozil, Müller, Badstuber et Schweinsteiger qui sont issus des centres de formation allemands et qui sont là, bien présents dans cette Coupe du monde. La nouvelle réflexion faite par l'Allemagne il y a quelques années porte ses fruits à présent et des pays comme la France, l'Italie et l'Angleterre ont besoin de revoir leurs copies. Il y a quelques années, Franz Beckenbauer avait eu l'humilité de reconnaître que le système de formation français était le meilleur et qu'il fallait le prendre comme modèle, ce que les Allemands ont fait… Tout à fait ! Les Allemands se sont inspirés du modèle français et ils forment et produisent aujourd'hui des joueurs performants, alors que le système français a connu un recul. Il y a une chose que je trouve étrange chez nous, en France : après le sacre de l'Espagne à l'Euro-2008, j'ai entendu des gens en France, y compris des personnes travaillant à la DTN, qu'il faut que la France joue comme les Espagnols. Le problème, c'est qu'on ne peut pas jouer comme l'Espagne si on n'a pas des joueurs de la même qualité qu'elle. Les Espagnols ne ressemblent pas aux Français, que ce soit par la taille ou par le talent. Il faudrait peut-être nous inspirer de ce que font les Allemands, mais puisque ces derniers nous ont copiés, il faudrait faire preuve de plus d'intelligence et de réflexion. Selon vous, le football français doit retrouver les valeurs qui lui avaient permis de s'imposer par le passé ? Oui. Je trouve, par exemple, que le football en France est trop athlétique, qu'on compte plus sur les joueurs de grand gabarit. Or, la technique peut aussi être pratiquée avec efficacité par des joueurs de petite taille. Et c'est un ancien joueur petit qui le dit (rire) ! Prenez Alain Giresse. C'était un joueur extraordinaire à son époque, qui était encore plus petit que moi, avec son 1,68m. Il était hyperdoué en dépit de sa petite taille. Il faut comprendre que les joueurs petits font de grands footballeurs. En 1990, l'Allemagne avait remporté la Coupe du monde avec un milieu dit de «nains» avec les Matthäus, Hässler et Thon… Voilà ! Mais en France, on pense qu'on ne peut pas être grand joueur en étant de petite taille. On se trompe. On a besoin de retrouver des valeurs, comme vous dites. Je crois aussi sincèrement que même les entraîneurs doivent tenir un autre discours. Ce qui est fabuleux chez les Espagnols et chez les Allemands, c'est le jeu. Le jeu, le jeu et toujours le jeu ! On joue au football, on avance par petites passes, on prépare d'un côté, on va de l'autre côté, il y a du jeu à une touche de balle et du jeu sans ballon… Tout cela est génial ! Etes-vous plus optimiste après les déclarations du nouveau sélectionneur de l'équipe de France, Laurent Blanc, qui prône, entre autres, un retour au jeu ? Oui, je le suis. On connaît Laurent : il a déjà pratiqué cette philosophie avec Bordeaux ces deux dernières saisons. Un peu moins cette saison, mais il l'a très bien fait l'année d'avant. Quand j'entends un entraîneur ou un sélectionneur parler de jeu, je suis heureux comme tout. Encore faut-il que les clubs et dans le système de formation, on fasse la même chose ! Il faut changer les idées reçues et passer vers le jeu. C'est ce qui serait intéressant. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la participation algérienne à cette Coupe du monde ? Je pense que les Algériens ont raté leur premier match. Je n'étonnerai personne en disant cela. Ça a été nettement mieux contre les Anglais où ils ont hissé leur niveau de jeu. Contre les Etats-Unis (j'ai commenté le match), j'ai juste envie de dire que la seule différence qui existait entre les deux équipes était le réalisme offensif. L'Algérie a eu des occasions, mais à part la frappe de Djebbour sur la balle transversale, il n'y a pas eu vraiment de danger pour le gardien de but adverse. Matmour avait fait un bon match, mais il lui manquait ce qu'on appelle le geste du tueur. Quand on est dans un tournoi aussi important que la Coupe du monde, il faut marquer des buts. Un grand joueur comme Lionel Messi n'a marqué aucun but et c'est une grosse lacune pour lui. Un mot pour conclure cet entretien ? Ce qui m'enchante dans ce tournoi dans son ensemble, c'est qu'on est dans le jeu collectif, à tel point que les stars comme Messi, Cristiano Ronaldo et Rooney sont passés à côté. On est passé du «je» de «je suis le meilleur, je joue tout seul» au «jeu». Je trouve cela absolument génial. Même pour vous en Algérie, pour le continent africain et pour tout le football, il faut aller vers le jeu, toujours vers le jeu. C'est comme ça qu'on progressera et qu'on s'en sortira. C'est du moins mon avis.