Pourquoi vouloir le punir d'un crime qu'il n'a pas commis ? Mehdi Lacen… Le fait d'évoquer le nom de ce joueur provoque chez les Algériens un sentiment d'extrême frustration, mais aussi de grand espoir. Viendra, viendra pas ? Personne à ce jour ne peut dire avec certitude si l'Algérie bénéficiera des services du milieu défensif du Racing de Santander. La gêne s'empare aussitôt de celui qui veut débattre de son cas. Doit-on lui faire appel, aujourd'hui que la guerre est terminée et laisser les soldats qui l'ont vécue de l'intérieur de côté ? Doit-on imposer Lacen à ce groupe qui a appris à gagner sans lui, au risque de provoquer un soulèvement contre celui qui les a ignorés, au moment où les joueurs demandaient du renfort sur le champ de bataille ? Difficile de répondre à ces questions embarrassantes, sans brusquer les partisans et les détracteurs de Lacen. Mais Saâdane peut-il se passer d'un joueur aussi talentueux et utile que Mehdi Lacen ? Pourquoi vouloir le punir d'un crime qu'il n'a pas commis ? La question est, en effet, délicate à poser, aujourd'hui que la guerre des éliminatoires a été héroïquement gagnée par l'Equipe nationale. Mais que faire devant le cas de Mehdi Lacen ? Abdiquer et laisser un tel joueur de côté, juste parce qu'il ne s'est pas décidé à temps ? Pourquoi donc vouloir punir un jeune joueur pour un crime qu'il n'a jamais commis ? Pourquoi refuser de comprendre la situation d'un homme qui se retrouve du jour au lendemain confronté à une histoire lointaine qu'il n'a pas provoquée et qui le rattrape soudainement, le jour où les lumières ont été posées sur lui ? Son grand-père est allé en France dans les années 40… Il faut d'abord connaître la vie de Lacen avant de le juger. Il faut remonter un peu en arrière, dans les années 1940, pour comprendre un peu mieux les réticences de Lacen envers l'Equipe nationale l'été dernier. Retour sur le passé de sa famille. Avant le déclenchement de la Guerre de libération, lorsque l'Algérie était encore française, le grand-père de Mehdi Lacen, originaire de la banlieue d'Alger, avait pris la décision de quitter le département 99 avec femme et enfants, pour s'installer dans l'Hexagone. La vie étant bien meilleure, Lacen construisit sa vie peu à peu, en cachette et sans faire de bruit, comme le faisaient tous les Musulmans algériens de l'époque, afin de ne pas se faire remarquer. Son papa aurait bien pu lui donner un prénom non musulman, mais il a choisi Mehdi ! Un des enfants Lacen épousera une belle Italienne qui lui donnera l'enfant Mehdi. L'origine du prénom donne déjà un bel aperçu sur la fiabilité du cordon ombilical des Lacen avec leur culture d'origine. On est le 15 mai 1984 lorsque naquit Mehdi Lacen à Versailles. Son papa aurait très bien pu lui donner un prénom à consonnance italienne ou européenne, s'il avait honte de ses racines. Mais il choisira Mehdi, comme une prédilection de celui que tout le monde attend aujourd'hui en Algérie… Ceci, pour dire que la famille Lacen n'est pas si éloignée que cela de l'Algérie. C'est l'Algérie des années 90 qui a fait fuir les jeunes comme Benzema, Nasri et Meriem Mais est-ce suffisant pour un enfant qui choisira très jeune de devenir footballeur ? Mehdi n'a pas eu assez de temps pour s'imprégner de la culture algérienne, surtout que son papa avait pris l'habitude de passer ses vacances d'été loin de cette Algérie devenue pour tous les siens hostile et moins accueillante que par le passé. C'est ce qui a fait que beaucoup de jeunes issus de la diaspora algérienne comme Benzema, Meriem, Nasri et bien d'autres se soient éloignés de leur pays d'origine, au point de ne plus avoir d'attache avec leurs racines. Pourquoi donc incriminer les jeunes, alors que l'erreur a été commise par d'autres ? C'est le cas justement de Mehdi Lacen comme des milliers de ses semblables qui se sont retrouvés perdus dans cette France qu'il fallait ouvrir de ses propres mains, si on voulait se faire une place. Adjaoud : «Mehdi Lacen est algérien à 100% !» Mais dans les centres de formation et les clubs qu'il a fréquentés, Mehdi avait la chance de croiser d'autres adolescents qui partageaient la même histoire que la sienne. A Valence, par exemple, ils étaient quatre ou cinq Maghrébins à partager cette complicité identitaire. Madjid Adjaoud, l'un de ses amis de l'époque et ex-international, en témoigne : «On était un groupe de potes algériens et marocains. On avait une table à part au club et Mehdi Lacen était avec nous. Je ne l'ai jamais vu manger de hallouf ni boire du vin. C'est un Algérien authentique, comme vous et moi. Il a juste eu moins de chance que nous d'aller au bled en vacances. Mais il n'y a aucun doute quant à son origine. Mehdi est algérien à 100% », nous a confié l'ancien international algérien qui l'a connu de près. Lacen : «Mais je n'ai jamais dit non à l'Algérie !» D'autres amis de Lacen nous ont tous confirmé son attachement pour l'Algérie. Mais comment se fait-il qu'il ait hésité à venir jouer pour l'EN ? L'incompréhension est totale, dès lors qu'on pose ce problème. Mais les réponses de l'intéressé en lèvent un bout du voile. «Mais je n'ai jamais dit non à l'Algérie ! J'ai juste demandé un temps pour découvrir ce pays que je n'ai jamais visité depuis ma naissance. Je voulais me rapprocher de la famille de mon père. Malheureusement, ce voyage en Algérie, je n'ai jamais pu le faire. Je le dis très clairement, je suis toujours intéressé par l'Equipe d'Algérie, mais je ne voulais pas venir pour jouer un ou deux matchs pour soigner mon CV. Je veux durer en sélection.» Voilà qui est clair. Saâdane ne lui a jamais fermé la porte de l'EN et veut le récupérer pour le Mondial Mais est-ce suffisant pour récupérer le joueur avant la Coupe du monde ? «Je préfère rater le Mondial que prendre la place d'un joueur qui a lutté pendant des mois pour y être», a-t-il dit. L'avis de Lacen, bien que très élégant et l'honorant au plus haut degré, ne devrait pas freiner l'élan de Saâdane qui voudrait l'intégrer dans son groupe. Car le dernier mot revient exclusivement au sélectionneur, malgré les réticences de certains joueurs. Si le patron des Verts n'a jamais fermé la porte à Lacen, c'est que la discussion qu'il a eue avec le joueur de Santander l'a convaincu du bien fondé de sa décision. «C'est un garçon très bien élevé qui voudrait se préparer dans sa tête, avant de vêtir le maillot de l'EN. Il faut lui accorder du temps pour le gagner sur la durée. On en reparlera après la CAN», nous a-t-il expliqué dans un ancien entretien. Raouraoua aussi veut de Lacen La meilleure preuve que le dossier Lacen n'a jamais été fermé au niveau de la FAF vient de l'appel téléphonique raté de Walid Sadi qui est souvent envoyé en éclaireur par Raouraoua pour sonder les joueurs. Cela rassure bien les amoureux de l'EN qui avaient craint un moment que le président de la FAF ne soit blasé, à force d'insister à le faire venir. Cela prouve aussi que l'EN a pris sa véritable place dans le cœur des décideurs, c'est-à-dire bien plus haut que les egos personnels. Et c'est là, peut-être, la meilleure nouvelle qui nous soit arrivée après la qualification historique contre l'Egypte. Car on est aujourd'hui certain que Saâdane a l'intention de renforcer son effectif pour le Mondial. Matmour : «Bienvenue à tous ceux qui ne veulent pas perturber l'équipe» Mais comment faire pour intégrer Lacen dans ce groupe qui a pris l'habitude de gagner sans lui ? La question a été posée à l'un des grands artisans de la qualification, Karim Matmour en l'occurrence. «Personne n'est contre la venue de Lacen, bien au contraire. Mais il faut que Lacen et les autres joueurs susceptibles de renforcer l'équipe viennent en pensant à ne pas chambouler l'ambiance qui règne au sein du groupe. Aujourd'hui, même si on est conscient que la place doit être arrachée sur le terrain, il faut tout faire aussi pour maintenir cette unité qui nous a aidés à nous qualifier pour le Mondial. Nous sommes devenus de vrais frères dans cette EN. Nous avons gagné un groupe très sain. Que celui qui veut venir fasse en sorte de ne pas gâcher cette formidable entente qu'il y a entre nous. Sinon, tout le monde est le bienvenu en EN», a averti sagement l'un des meilleurs joueurs des Verts. Et si d'autres joueurs se blessent avant le Mondial ? Pourquoi donc se passer d'un joueur comme Lacen, sachant que ce dernier acceptera volontiers un statut de remplaçant si on voulait bien de lui ? Il serait vraiment stupide de se laisser griser par la qualification et ne pas garder la lucidité qu'il faut avant le Mondial. Imaginons un instant que quelques cadres de l'EN se blessent à une semaine de la Coupe du monde et qu'ils viennent à déclarer forfait. La situation ubuesque qu'on a vécue avant le match du Caire est bien une réalité. Huit titulaires qui boitent d'un seul coup, cela relève bien du surnaturel. Et pourtant, les Verts l'ont bien vécue, non ? Que va-t-on faire alors si cela venait à se reproduire avant le Mondial ? Faire appel à Lacen, Boudebbouz, Feghouli, Fabre, Soltani, Benyamina ou alors se contenter de ces locaux qui ont montré leurs limites ? C'est dire donc si Lacen et les autres deviennent une nécessité aujourd'hui. Même si une convocation parmi les Verts ne leur garantira pas une place de titulaire de fait. Avec eux, l'équipe aura plus de poids, Saâdane plus de choix et les supporteurs plus de foi. Pourquoi donc s'en priver ? Nacym Djender