«Ne laissez pas les parasites semer le doute entre nous !» Comment avez-vous vécu l'aventure de l'Algérie lors des éliminatoires de la CAN-CM 2010 ? Depuis l'élimination du Maroc, tous les Marocains se sont rabattus sur l'Equipe nationale d'Algérie. Nous avons donc suivi le parcours des Algériens comme si c'était notre propre équipe qui était sur le terrain. En plus des affinités culturelles et les ressemblances linguistiques dont je vous ai parlé, il y avait le fait que l'Algérie retrouvait pendant ces éliminatoires son beau football. C'était une équipe qui donnait envie d'être suivie. On l'a aimée spontanément. Surtout que cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu l'Algérie si près de la qualification. Après le match du Caire, on avait assisté à un élan de solidarité extraordinaire de la part des Marocains envers l'Algérie. On a également appris qu'il y avait de la joie aussi chez les Marocains, après la qualification de l'Algérie… Oui, c'était extraordinaire ! On aurait dit que c'était le Maroc qui s'était qualifié pour le Mondial. Les jeunes avaient envahi spontanément les rues des grandes villes pour manifester leur solidarité envers le peuple algérien. On n'avait jamais vu cela auparavant. N'est-ce pas là une preuve réelle d'amour sincère et de fraternité entre nos deux peuples ? C'était magnifique de voir comment le cœur des Marocains avait vibré pour l'équipe d'Algérie. Je vous l'ai bien dit et je ne le répèterai jamais assez : ce que la politique a détruit, le football peut le reconstruire en un seul jour. C'est cette relation que j'aimerais garder entre nos deux pays et j'espère qu'elle va durer pour toujours. Certains craignent les dérapages lors de la double confrontation entre le Maroc et l'Algérie lors des éliminatoires de la CAN 2012. N'avez-vous pas quelques appréhensions ? Franchement, je ne me fais aucun souci dans ce sens. Ce n'est pas parce que vous avez vécu ces tensions avec les Egyptiens qu'on va se dire que ça va recommencer avec nous. Je pense que nous avons trop de facteurs communs pour verser dans ces bassesses. Nos deux peuples se respectent et s'aiment à tel point qu'il m'est impossible de prévoir un tel scénario. Nous avons beaucoup d'admiration les uns pour les autres et puis surtout, nos publics sont de vrais connaisseurs qui vont applaudir le beau jeu. Ce que l'Algérie a vécu avec l'Egypte, l'équipe du Maroc de votre époque aussi l'a vécu au Caire, avec cette simulation de Ibrahim Hassan qui avait donné un coup de tête à Naybet avant de faire semblant de s'effondrer, non ? Oui, je m'en rappelle très bien. C'est lui qui avait provoqué Naybet, mais c'est notre joueur qui avait été expulsé du terrain. Mais je n'en veux pas aux Egyptiens de faire leur comédie. C'est une stratégie très ancienne qu'ils utilisent à chaque fois qu'ils affrontent les équipes maghrébines et, ma foi, je dois reconnaître que ça marche à tous les coups. Ils sont malins et ils nous connaissent parfaitement. Avant chaque match, ils gonflent leurs joueurs en leur faisant rappeler que «Misr, c'est Oum Addounya», histoire de leur faire croire qu'ils sont supérieurs et donc invincibles. Ce n'est pas péjoratif ce que je dis. C'est à nous de faire en sorte de ne pas tomber dans ce même piège qu'ils nous tendent depuis des années. Au risque de choquer certains, je dois dire qu'ils ont raison de faire leur comédie. Ce sont des pratiques normales sur un terrain de football. Tout le monde en fait, pourquoi pas eux ? Pensez-vous que c'est cela qui a aidé les Algériens à gagner leur match à Oum Dorman ? Au Soudan, les Algériens avaient sorti leurs griffes et avaient sorti un match de héros. Ils étaient trop féroces pour lâcher prise. De l'autre côté, les Egyptiens avaient perdu leur match à cause de toutes les provocations qui avaient précédé le dernier match. Ça ne les avait pas servis, bien au contraire. Mais je reste sur la première idée pour saluer la volonté et la détermination des joueurs algériens. Il y avait un vrai esprit de guerriers chez les Algériens. Ça s'est joué au mental ? Oui, surtout au mental ! Je vous parle en connaissance de cause. J'étais joueur et je connais ce genre de sensation. C'est comme un malade qui ne sent plus la force de se lever et qui retrouve toutes ses forces à la suite d'un déclic. Il peut se passer un événement, une situation ou une simple parole pour que le corps se réveille de manière extraordinaire. Si le mental est bien fouetté, les joueurs deviennent comme des bêtes féroces et plus rien ne pourra les arrêter. D'où l'importance de la préparation mentale avant un match. C'est ce qui s'est produit dans la tête des Algériens ce jour-là. Comment voyez-vous le match entre l'Algérie et le Maroc ? Je ne peux pas vous dire qui va gagner ce match, pour la simple raison que, à mes yeux, les deux équipes sont faibles actuellement. Il n'y a pas de données crédibles qui pourraient nous renseigner là-dessus. Les joueurs des deux équipes sont souvent remplaçants dans leurs clubs respectifs, sans parler des blessés des deux côtés. Il n'y a donc pas lieu de s'en réjouir. Je dirai que le moins mauvais l'emportera. Le Maroc et l'Algérie ont très mal démarré les éliminatoires en se faisant accrocher à domicile contre des équipes très modestes. Voyez le classement FIFA et comparez. Ce n'est vraiment pas une bonne entame. C'est pour cela qu'il est difficile de se prononcer sur ce match. C'est très regrettable pour nous comme pour vous. Comment jugez-vous la prestation de l'équipe d'Algérie au Mondial ? Dans l'ensemble, je dirai que l'Algérie a montré un visage assez honorable. Mais peut-on se contenter encore de cela indéfiniment ? Je ne le pense pas. Le peuple ne le veut plus et réclame désormais beaucoup plus d'ambition de la part de ses représentants. Ce qui est regrettable dans cette participation, c'est que l'équipe d'Algérie avait le potentiel pour faire beaucoup mieux. Vous avez de bons joueurs… Comme qui ? Je ne me rappelle pas très bien des noms, malheureusement, tout comme je ne me souviens pas des noms des joueurs du Maroc. Citez-moi quelques-uns et ça va me revenir. Ziani ? Ah, oui, Ziani ! C'est un bon joueur, lui. Mais je pense, par exemple, qu'il n'était pas bien utilisé dans l'équipe. C'est l'un des rares joueurs qui percutent dans l'équipe d'Algérie, mais j'ai vu qu'on lui donnait des tâches qui ne lui convenaient pas. Ce n'est pas un meneur de jeu, à proprement dire. Il y a aussi le défenseur central, le grand là… Bougherra ? Oui, Abdelmadjid Bougherra. Lui, c'est un très bon défenseur qui a réalisé une belle Coupe du monde, bien qu'il ait pu gagner à rester un peu plus dans l'axe et ne pas se perdre sur le côté. Mais je crois que c'est le système de jeu qui le voulait. Vous avez aussi l'arrière latéral gauche (Nadir Belhadj, ndlr) qui a beaucoup d'atouts. Il aurait pu faire nettement mieux. Dans l'ensemble, je dirai que l'Algérie a fait une belle Coupe du monde. L'équipe du Maroc attend la venue d'Eric Gerets. Comment allez-vous l'accueillir, vous les anciens joueurs que la Fédération a écartés ? Il faut d'abord qu'il vienne ! Allez savoir quand il va se décider à venir. Franchement, c'est insensé. L'équipe du Maroc est devenue la risée de tous. On a fait signer un sélectionneur qui va venir des mois plus tard. C'est du jamais vu ! Comment peut-on admettre une telle situation sans réagir ? Tout citoyen jaloux des couleurs de son pays se sent victime d'une injustice. Si on a ramené un sélectionneur étranger qui va faire le tour des clubs européens pour composer son équipe, moi je veux bien savoir pourquoi on a engagé des joueurs et des clubs pour disputer la Botola. A quoi va servir le championnat du Maroc dans ce cas ? A rien ! Puisque la sélection nationale ne les concerne plus. On veut marginaliser les joueurs locaux et c'est ce qui me révolte. D'autre part, le championnat du Maroc, comme celui de l'Algérie, n'est pas aussi terrible que ça, non ? Je partage votre avis parfaitement. Mais cela est dû aux invasions que subissent nos clubs. Beaucoup de gens ont profité de la réglementation pour se faire une place dorée au sein des clubs phares. Ils ne viennent que pour se faire un nom dans les journaux. Par le passé, il y avait des dirigeants qui mettaient la main à la poche pour servir le club. Aujourd'hui, au Maroc, un simple adhérent qui ramène des miettes peut prétendre au bout de 3 ans à postuler à la présidence du club. C'est comme ça qu'on a ouvert portes et fenêtres aux intrus. Ils ne sont même pas actionnaires. Et c'est malheureusement ces gens qui font le plus de mal au football marocain. Les gens du métier ont été écartés injustement. Comme on l'a fait avec Badou Zaki et vous, après la belle aventure de 2005 ? En 2005, en revenant à la tête de l'équipe nationale, Badou Zaki avait fait appel à des locaux et aux joueurs issus de l'émigration. Mais avec sa poigne et son franc-parler, il a réussi à maintenir un équilibre réel au sein de l'équipe. Tout le monde était placé sur un même pied d'égalité. Les joueurs ont tous adhéré à son discours. Et c'est comme cela qu'il a réussi à donner une âme à l'équipe. Il y avait une ambiance saine. Zaki avait réussi à imprimer sa griffe. Vous qui aviez joué à l'Olympique de Lyon au début de l'avènement de Jean-Michel Aulas, vous avez forcément assisté au vrai démarrage de ce club. Qu'en retenez-vous aujourd'hui ? Lorsque je suis arrivé à Lyon en 1990, Jean-Michel Aulas était à ses débuts à la présidence du club (1987, ndlr). Je me rappelle qu'il avait dit un jour qu'il voulait faire de l'OL l'un des plus grands clubs d'Europe. On lui avait ri au nez, le prenant pour un fou. Comme il ne vient pas du milieu du football, il s'était appuyé sur un ancien joueur du club, en l'occurrence Bernard Lacombe. Les deux hommes sont encore en poste et l'OL est devenu l'un des plus grands clubs d'Europe comme il l'avait rêvé. Pourquoi ? Tout simplement parce que Jean-Michel Aulas a ramené son savoir, son argent, mais sans avoir écarté les gens du métier, ceux qui avaient mouillé le maillot sur les terrains. Ils y sont aussi avec la même composante, et ce, depuis plus de 20 ans. Qui pourrait en faire autant dans nos clubs ? Hélas, aucun ! Avant de clore cet entretien, on va oser vous demander si c'est vrai que vous descendez d'une lignée de nobles (cherfa) ? (Il sourit et baisse les yeux). C'est vrai, mon vrai nom est Al Idrissi. Je descends de la région berbère de Tamegrout. J'appartiens à la zaouïa Naciria que je fréquente régulièrement. C'est une confrérie qui est reconnue pour son savoir et surtout pour les livres anciens que renferment ses bibliothèques. Il y en a qui datent de plus de 500 ans ! C'est pour cela que vous avez ce chapelet autour du coude ? (Il sourit une fois de plus). Non, ce chapelet est comme un bracelet. Mais la bague que je porte a un rapport avec la zaouïa Naciria. C'est une bague qui prouve mon appartenance à cette confrérie religieuse. C'est ma mère qui me l'a ramenée. Elle a été faite spécialement pour moi. Je la porte depuis très longtemps. Un dernier mot Aziz ? Je voudrais insister auprès des supporteurs marocains et algériens pour les prévenir contre ceux qui voudraient appeler à la haine lors des deux matchs opposant nos sélections. Qu'on ne permette pas aux perturbateurs de semer la zizanie entre nous. Car dans ce genre de situation, une minorité de parasites pourrait semer le doute dans le cœur de la grande majorité. Mon souhait est que ces deux matchs se passent dans le fair-play total. Comme ça s'est déroulé en 1979. L'Algérie nous avait battus 5-1 sur notre terrain et le public marocain a longuement applaudi les Algériens. C'est cela le vrai visage des supporteurs des deux pays.