« Tous les trophées octroyés durant la décennie noire doivent être supprimés du palmarès des clubs » Mahmoud Guendouz, l'entraîneur actuel du Nejmeh SC, nous ouvre son cœur à partir du Liban. Il ne déroge pas à ses habitudes. Sans concession aucune, il dit ce qu'il pense. «Si je ne parle pas du marasme que connaît le football, qui le fera ?» Bonjour Mahmoud, comment cela se passe pour vous au Liban ? Bonjour, ça va très bien ici, au Liban. Je voudrais que vous me disiez, à votre tour, comment évolue la situation dans le pays ? La situation s'est calmée. Voulez-vous nous expliquer le regain de forme du Nejmeh, après un début de saison laborieux ? Le club d'Al Nejmeh est passé par la pire période depuis qu'il a vu le jour. Tous les observateurs ont pronostiqué une relégation en Division 2 à la fin de la saison. Comme c'était le cas en 2006, pour le NAHD. La majorité des titulaires avaient décidé de quitter le club à la fin du championnat. D'anciens joueurs et certains entraîneurs avaient déclaré en ce temps que je pouvais être l'homme de la situation, à l'image de ce que fait Abdelaziz Abdeshafi, coach égyptien, plus connu sous le pseudo de Zizou. Pour revenir au club d'Al Nejmeh, je dois dire que cette équipe avait très mal entamé le championnat suite au départ de ses nombreuses vedettes à cause de la crise financière. On avait mis dans le bain des jeunes dont la moyenne d'âge ne dépasse pas les 21 ans. Aujourd'hui, le club va beaucoup mieux. On est classés à la 4e place en championnat. La Ligue 1 en Algérie vient de connaître une trêve… (Il nous coupe). Croyez-moi, je ne suis pas le championnat d'Algérie, depuis au moins 5 ans. Je pars du principe que celui qui me déteste, je lui claque la porte au nez. Que voulez-vous insinuer ? Les présidents de club détestent les anciens joueurs. Montrez-moi un seul ancien joueur de ma génération qui a fait au moins un Mondial et des phases finales de la CAN et qui drive actuellement un club huppé en Algérie. Ne réfléchissez pas, vous n'en trouverez pas. Nous ne savons pas profiter des expériences des pays plus avancés que nous. Dites-moi comment le Qatar a réussi à se voir confier l'organisation de la Coupe du monde 2022, si ce n'est pas en s'appuyant sur d'anciens joueurs. Pourquoi voulez-vous que je m'intéresse à un championnat où continue à sévir Serrar. D'où est sorti ce Serrar, et qu'a-t-il ramené à notre football, si ce n'est la corruption et la violence dans les stades ? Vos accusations sont très graves… La majorité des présidents de club combinent leurs matchs et je ne pense pas que je vais choquer certains d'entre eux, c'est un secret de polichinelle. Si on parlait de l'Equipe nationale, qui va disputer un seul match avant celui contre le Maroc. Pensez-vous que cela soit suffisant ? Il est évident que cela n'est pas suffisant. Le Maroc a raté le dernier Mondial et deux CAN, il est motivé pour revenir au devant de la scène internationale. Au moment où il est allé jouer en amical face à l'Irlande et avait laissé une bonne impression, nous sommes partis à la rencontre du Liechtenstein, un inconnu au bataillon. Je conclurais ce registre en disant que les professionnels marocains évoluent dans des championnats assez relevés et même dans de grands clubs, ce qui n'est pas le cas des nôtres qui sont tous justes moyens. Les Verts ont joué contre le Luxembourg en amical. C'est kif-kif, pareil. Il n'y a pas une grande différence de niveau entre les deux pays. Si on vous suit, on peut imaginer que la différence de niveau entre les professionnels marocains et les nôtres va être déterminante, n'est-ce pas ? Comment voulez-vous battre le Maroc avec un bon moral puisqu'il occupe la première place. On n'a même pas réussi à vernir à bout d'équipes comme la RCA ou la Tanzanie. Après deux matchs, on s'est mis dans une situation inextricable. Il faut être réaliste, voulez-vous que je tape du bendir et que je vous dise que tout va bien et que nous sommes sur la bonne voie, que la qualification est au bout du pied, pour plaire ? Il reste quatre matchs à jouer, pourquoi ne pas rester optimiste ? Nous ne sommes pas la seule équipe qui va jouer 4 matchs, les autres ont autant de matchs à jouer. Avec une différence de taille, le Maroc a une avance de 3 points. Vous aviez parlé d'une situation qui ressemblerait à celle que connaît l'EN. Les gens qui ne vous suivent pas souvent laissent entendre que vous avez pris l'habitude de noircir le tableau. Je regrette, je ne suis pas un homme qui se plait à noircir la situation de notre football, je suis réaliste, je suis un homme de terrain. C'est trop tard pour parler de catastrophe quand on ne l'a pas prévue. Je dis ce que je pense en toute sincérité. Cela m'a engendré des ennuis, comme les insultes au téléphone. On a voulu à tout prix m'empêcher de m'exprimer. Je ne fais pas de critiques pour le plaisir de les faire, je mets le doigt dans la plaie. Je le dis et je le répète, notre championnat est très faible, et si nous avons une petite sélection, c'est parce que le niveau de notre football est tombé bien bas. Pour espérer posséder une grande équipe, il faut un championnat assez fort. L'Espagne est devenue champion du monde, elle possède le plus fort championnat de la planète. Savez-vous comment nous nous sommes qualifiés au Mondial ? On voudrait bien vous l'entendre dire… On n'est pas partis en Afrique du Sud grâce aux joueurs locaux. On s'est qualifiés en nous appuyant sur des joueurs qui évoluaient, pour la plupart, dans les différents championnats de France. On les a formés pour nous. Mais, on a payé le prix fort pour pouvoir en bénéficier. On a loué une sélection. Et laissez-moi vous dire que le niveau de la majorité de ces joueurs n'atteint pas les sommets. J'avais fait des déclarations dans ce sens avant le Mondial et le temps m'a donné raison. Comment expliquer qu'après le Mondial aucun de ces joueurs n'a été sollicité pour un transfert digne de ce nom. Walou ! Rien ! On n'est pas en présence de foudres de guerre… Le malheur, c'est que nous réagissons avec les sentiments. Je ne nie pas qu'ils sont algériens, mais ils sont sortis de l'école française. On doit encourager le produit algérien. Il faut des joueurs qui sortent de nos centres de formation. Cela est envisageable. Ce n'est pas avec les présidents de club actuels qu'on pourrait bâtir sur du solide. Je suis au regret de dire que la politique que je prône est quasi impossible. Les présidents de club ne pensent même pas aux petites catégories. Le plus grave, c'est qu'ils ont le toupet de recruter des entraîneurs qui se font refuser dans les championnats de Tunisie et du Maroc. Des entraîneurs qui viennent des dernières divisions de France. Le plus beau, c'est que les présidents ignares combinent en parallèle des matchs. On va dire que je suis jaloux, je réponds que n'importe quel Algérien, qui a du cran et qui aime son pays, réagirait de la sorte ou un peu plus. Certains managers ont réussi à imposer ces entraîneurs, pour améliorer le CV de ces coachs et pouvoir les proposer à d'autres championnats. Y a-t-il une lueur d'espoir en ce qui concerne notre sélection ? Si vous voulez une lueur d'espoir, il faut songer à former la base. C'est ce que je m'efforce de répéter tout au long de notre discussion. Vous voulez que je sois optimiste quand des coachs, pour se faire un nom, acceptent de participer à la combine des matchs et à la corruption d'une manière générale ! Vous voulez que je sois optimiste quand je constate qu'il n'est pas difficile de passer du statut de voleur à celui de président de club ! Désolé, mais, je ne suis pas du tout optimiste. Le championnat local n'engendre plus des joueurs de qualité et c'est avec les professionnels que nous avons eu les derniers résultats. On est en mesure d'en réaliser d'autres avec ces piliers de l'EN, puisqu'ils sont toujours jeunes. Puisque nous y sommes, on peut engager dès demain des Egyptiens ou, pourquoi pas, des Ethiopiens ou de je ne sais quel pays sous prétexte. Non, désolé ! Je ne suis pas d'accord. On veut des joueurs « dialna », les nôtres. Du sang algérien coule dans leurs veines. Je ne refuse pas catégoriquement les professionnels, à la seule condition qu'ils soient en mesure de ramener le plus. Encore une fois, je suis au regret de dire que les piliers de l'EN, comme vous dites, les Ziani, Yahia et autre Bougherra sont issus de la Ligue 2 française. Et n'était l'EN, personne n'aurait entendu parler d'eux. C'est l'Algérie qui les a faits. Sans l'Equipe nationale, ces joueurs seraient actuellement hors circuit. Il est de mon droit de me demander ce qu'est devenu mon pays. J'ai mal pour mon pays. Cette situation ne me réjouit pas. Si je ne dis pas toute ma douleur devant tant de gâchis, qui le fera ? Le silence n'est plus d'or quand on voit les choses se passer mal et que l‘on se tait. On va dire que vous en avez gros sur le cœur. Pour qui vous connaît, vous ne faites pas de cadeau, comme à votre habitude… Il faut qu'on arrête de prendre des vessies pour des lanternes. J'aimerais bien qu'un jour notre championnat soit réellement professionnel et que nous formions des jeunes capables de postuler à une place en EN, Enfin de l'optimisme, il fallait bien qu'on y arrive ! Mais, attendez, il faudrait que nous nous regardions dans un miroir et que nous ne nous cachions pas la vérité. Tous les titres gagnés lors de la décennie noire doivent être annulés. Quand on jette un coup d'œil sur les CV de certains coachs liés à cette période, on y lit : doublé tel saison, titre à une telle autre. Je propose que l'on annule tous les titres mal acquis durant cette période. L'Algérie était meurtrie dans sa chair et personne ne s'occupait de titre. Les intrus du football en ont profité pour se faire un nom dans un monde qui ne leur appartiendra jamais. Il faut supprimer ces titres du palmarès des équipes qui ont remporté un quelconque trophée dans les années de braises. Vous n'allez pas vous faire que des amis… Je le sais, je n'en ai cure. Pour aimer son pays, il faut mettre le prix. Je sais que je vais m'attirer des animosités. Je ne suis pas le genre de personne qui s'exprime après la catastrophe. J'avais averti que la situation n'était pas des meilleures au moment où les Verts étaient en Angola et en Afrique du Sud. Ces participations étaient, en fait, comme cet arbre qui cache la forêt. On vous laisse le soin de conclure… Si je m'exprime, c'est par amour pour le pays. Je n'avais pas de quoi me payer une paire de souliers de foot. Je traînais à longueur de journée avec des savates usées. Si, aujourd'hui, je travaille au Liban et si vous m'avez sollicité pour vous donner mon avis, c'est grâce à mon pays. Il m'a tout donné, comment pourrais-je m'empêcher de le défendre. Merci pour votre hospitalité. Pour mon pays, je suis prêt à répondre 20 fois par jour à vos sollicitations.