«En Grèce, ils ne savent absolument rien de l'Islam» Mohamed Chalali est en train de se faire une bonne réputation en Grèce. Les supporteurs, tout comme les journalistes, le respectent et lui prédisent un avenir radieux. A seulement 21 ans, le capitaine des Olympiques a beaucoup gagné en maturité. Cela se voit dans son jeu, mais aussi dans ses réponses face aux journalistes. L'attaquant de Panionios est, certes, spontané, mais très réfléchi dans ses analyses de situations. Exactement comme il est sur le terrain. Appréciez ! Qu'est-ce que ça vous fait de revenir en Equipe nationale ? C'est toujours avec un immense plaisir que je reviens d'abord en Algérie. J'y retrouve les miens et la bonne ambiance du bled. De plus, je rentre au pays pour défendre le maillot national et c'est là toute ma fierté d'Algérien qui se met en avant. Je suis vraiment heureux d'aller en Equipe nationale. On jouera mercredi inch'Allah face au Sénégal et j'espère qu'on sera à la hauteur. Il faut gagner ce match. Une victoire nous renforcerait dans nos convictions et nous donnera encore plus d'envie pendant les éliminatoires aux Jeux Olympiques. Le coach Ait Djoudi est en train de réaliser un grand travail et l'équipe commence à gagner en crédibilité. Car je sais que beaucoup de gens attendent qu'on assure la relève. C'est à nous de faire en sorte à ce que la confiance placée en nous soit méritée. Le large public algérien s'étant focalisé essentiellement sur l'équipe A, il n'y avait pas beaucoup de place médiatiquement parlant pour les autres sélections. Aujourd'hui, les gens commencent à s'intéresser aux jeunes de votre génération qui sont l'avenir des Verts. Comment aviez-vous pris cette marginalisation ? Tout à fait normalement. C'est naturel que les A accaparent les esprits, notamment lorsque l'Algérie est qualifiée pour le Mondial. Ce n'est pas tout le temps qu'on est présents en phase finale de Coupe du monde. Nous sommes tous des supporteurs de l'Equipe nationale et de ce fait, on ne sentait pas cette marginalisation, même s'il est toujours agréable de voir les gens suivre ce qu'on fait. Cela nous permet d'avoir une idée externe sur notre rendement. Mais le fait de voir l'EN, pour les jeunes de notre âge, ça donne plus d'envie de travailler pour espérer un jour intégrer la composante des A. C'est notre objectif à tous. Contrairement à d'autres, vous n'avez pas trop tardé dans le championnat de France et vous vous êtes exilé assez tôt en Grèce. Comment cela s'est-il passé ? Je n'ai pas beaucoup hésité, après avoir senti l'engouement des dirigeants de Panionios à mon égard. Des émissaires grecs étaient présents au stade, en fin de saison passée, lors du match de Ligue 2 entre Châteauroux et Strasbourg pour superviser un autre joueur que moi. Et il se trouve que ce jour-là, j'avais fait un très bon match. Ils m'ont donc contacté aussitôt. Ils en ont fait part à mon agent Rachid Djaziri qui n'a rien à voir avec son homonyme qui s'occupe de Benzema. Par la suite, nous avons discuté et nous nous sommes mis d'accord pour visiter les installations, tout en sachant que j'avais commencé la nouvelle saison avec Châteauroux qui m'avait proposé un an de contrat pro. J'ai pesé le pour et le contre avec ma famille et j'ai décidé d'aller en Grèce pour voir comment ça se passait sur place. J'ai joué deux matchs amicaux avec Panionios et j'ai marqué un but. Au vu de mes prestations, les dirigeants de Panionios m'ont fait une bonne proposition que j'ai acceptée. J'ai alors signé pour trois ans. Je suis donc au club jusqu'en 2013. Comment a-t-on pris cela à Châteauroux ? Au début, ils ont un peu tiqué, puisqu'ils ne s'attendaient pas vraiment à ce que je leur annonce mon départ. Mais par la suite, ils ont vu que la proposition était sérieuse et que le challenge valait la peine d'être tenté. Comment aviez-vous fait en débarquant ici en Grèce, tout seul, à l'âge où on a besoin d'être entouré par ses proches et ses amis ? Ce n'était pas un peu dur pour vous ? C'est vrai que ça n'a pas été facile au début. Je changeais de pays où tout me paraissait différent. De plus, soubhan Allah, deux semaines plus tard, c'était le Ramadhan. Il avait commencé, en plus, au début août… Ce n'était vraiment pas la bonne période ni le bon contexte pour démarrer une carrière dans un club étranger. Et vous aviez fait le Ramadhan tout en vous entraînant au mois d'août ? Vous savez, pour moi, la religion passe avant tout. Je me suis dit dans ma tête que si Allah veut que je gagne ma place en faisant le Ramadhan, ce sera ainsi, quels que soient les pépins que j'allais rencontrer. Mais si Allah ne veut pas que je réussisse, eh bien qu'il en soit ainsi et c'est tout. J'ai donc décidé de faire le Ramadhan, quitte à mourir sur le terrain. Au fond de moi, j'étais persuadé que si je faisais un peu pour Dieu, IL allait m'en faire beaucoup. Je ne peux pas l'expliquer, mais c'est ma profonde conviction, c'est tout. J'ai donc fait le Ramadhan et je vous assure que j'étais complètement «kaputt» (cassé). Votre entraîneur le savait-il ? Non, personne ne savait que je faisais le Ramadhan. J'ai donc tenté de résister en cachette et je prenais sur moi, malgré la grosse fatigue qui se faisait sentir à chaque entraînement. Le premier match de championnat arrivait une semaine avant la fin du Ramadhan. Le coach m'a alors convoqué dans son bureau et m'a dit : «Qu'est-ce qui t'arrive depuis quelques jours ? Je sens que tu ne vas pas bien et que tu as baissé de régime ?» Il a bien vu que vous n'arriviez pas à tenir le coup, non ? Bien sûr ! Il l'a bien remarqué. Je lui ai donc répondu que c'était juste un coup de méforme passager et que ça allait revenir bientôt. Il a alors été très clair avec moi en me disant qu'il n'allait pas compter sur moi pour le premier match du championnat. Comment aviez-vous pris cette mise à l'écart ? Je lui ai dit : «D'accord, vous ne comptez pas sur moi pour ce match, mais on verra la semaine prochaine.» Pour le premier match, j'étais donc écarté même de la liste des 18. Tout cela, à cause de la fatigue ? Bien évidemment ! J'étais complètement cuit. J'étais déshydraté. Au bout de 20 minutes seulement, j'avais des crampes partout. Je m'entraînais aussi sous une température de 40 degrés C. Mais vous ne pensez pas que vous preniez un gros risque avec autant de fatigue ? J'en étais conscient, bien sûr. Je sais aussi que certains savants de l'Islam ont permis aux joueurs professionnels de ne pas jeûner dans de telles conditions. Mais que voulez-vous que je vous dise ? Dans ma tête, il n'était pas question que je mange pendant le Ramadhan. C'est une question de foi, mais aussi de culture familiale. On a toujours fait le Ramadhan. Mais avec tout cela, attention, je me sentais capable au fond de moi de le faire. Vous dites que vous étiez capable et vous aviez joué un peu avec votre santé, non ? C'est vrai que ça m'a un peu coûté et que tout cela était assez difficile à vivre ; mais je restais bien à l'écoute de mon corps et je savais parfaitement quelles étaient les limites à ne pas dépasser. Je ne sentais pas vraiment de gros problèmes. Après avoir vécu cela, quels conseils donneriez-vous à un jeune musulman qui serait dans la même situation ? Même mon père me disait de ne pas le faire, puisque l'Islam autorisait cela dans mon cas. Il avait, bien sûr peur pour son fils. C'est normal. Mais comme je suis un peu borné, je dirai qu'il faut faire de son mieux, en sachant qu'il y a un risque réel pour la santé, si on ne connaît pas bien son corps. Je dirai qu'il faut bien peser le pour et le contre. Le pour, c'est que c'est halal de manger et que les choses deviennent faciles pour un athlète. Le contre, c'est que tu ne vas pas vivre toute l'ambiance du mois sacré. Tu seras à l'écart de ce que vit toute la nation musulmane. Vous savez, le Ramadhan, c'est une grande fête pour les Musulmans. Il y a une grande joie qui nous anime. Vous allumez la télé, vous voyez les mosquées pleines à craquer et toute cette ambiance qui règne à travers le monde. Et si je ne fais pas le Ramadhan, pour moi, cela ressemblerait à une forme de trahison. Je me dis que même si c'est licite de manger dans mon cas, je ne me vois pas aller manger un sandwich ou boire un verre d'eau en pleine période de Ramadhan. Je pense aux gens qui sont dans le désert, dans le Sahara à des températures impossibles et qui le font fièrement, malgré tout dans leur tente, même s'ils ne s'entraînent pas comme moi. Je me dis aussi que je pourrais bien rattraper les jours plus tard, mais ça n'aura jamais la même saveur. Et comment aviez-vous donc surmonté tout cela ? Ce qui m'a rassuré un peu dans cette histoire, c'est que je me disais que ça n'allait pas durer toute l'année et que dans quelques jours, j'allais montrer que je pouvais reprendre mes forces et m'imposer. Je connais assez bien mes qualités et je savais que j'allais me ressaisir. Et là, par la suite, il y a eu le second match qu'on allait jouer contre Xanthi. Le coach m'a convoqué une deuxième fois dans son bureau. Et c'est moi qui lui ai demandé cette fois ce que j'avais encore fait de mauvais. Et là, il me dit avec un large sourire : «Détrompe-toi, je t'ai appelé pour te demander ce que tu as fait, car cette semaine, tu nous as éblouis à l'entraînement et je voulais juste savoir ce qui s'est passé entre-temps.» Il m'a aussi dit qu'il sentait que j'avais repris toutes mes forces et qu'il était vraiment content de ce que je faisais. Il m'a donc remis dans le groupe. Il n'a pas pensé au Ramadhan, comme le font souvent les entraîneurs en France ? Non, ici en Grèce, ils ne savent absolument rien de l'Islam. Ils ne se doutent même pas que le Ramadhan existe pour les Musulmans. Par exemple, je ne mange pas de viande en Grèce. Et même pour cela, ils ne comprennent pas pourquoi je refuse d'en manger. Ils ne savent pas ce que c'est le mot halal. Contrairement à la France où tout le monde peut désormais faire la différence. Pour eux, c'est tout simplement incroyable qu'on ne puisse pas manger de viande. Comment s'est fait votre retour dans l'équipe ? Contre Xanti, le coach m'avait mis remplaçant et m'a intégré en cours de match. On avait fait 1-1 et j'avais effectué une bonne rentrée. Depuis ce match, il m'a mis dans l'équipe-type. A Aris Salonique, comme lors d'un autre match, j'ai même été MVP (meilleur joueur du match). Et là, j'ai une petite anecdote à vous raconter. Vous savez, dans le championnat grec, on élit à chaque rencontre le MVP et à la fin, il y a encore un second suffrage pour élire les trois meilleurs joueurs de tous les matchs. Et ce jour-là, j'avais terminé deuxième meilleur joueur de toute la journée, et derrière qui ? Derrière Djamel Abdoun ! On a été les deux meilleurs joueurs de la journée.