Devant le but, dans la surface, il était phénoménal. Pour l'ancien maître à jouer du Real Madrid, Ronaldo a été l'attaquant le plus fantastique qu'il ait vu à l'œuvre. Et jouer à ses côtés a constitué un grand moment de sa carrière. A Madrid, comme un peu dans tous les clubs du monde, l'entraînement débute par un «toro», sorte d'échauffement ludique mais très technique. Le but du jeu? Les joueurs font une ronde et l'un d'entre eux se met au milieu pour intercepter le ballon pendant que les autres se le passent et se le repassent, à une touche seulement. Un jeu universel. Sauf qu'au Real, lorsque Zidane et Ronaldo y jouaient, ce fameux «toro» durait un peu plus longtemps que prévu. Un vrai régal pour les spectateurs, qui ne voulaient surtout pas manquer ce moment de pur bonheur. «Souvent, le gars du milieu n'en touchait pas une», se marre Zizou. Avec ces deux-là, accompagnés de Roberto Carlos et de bien d'autres, l'exercice devenait diabolique. Eclats de rire et sourires d'enfant garantis. Le jeu pour le jeu, voilà ce qui a forgé l'amitié entre ZZ et le «Fenomeno» brésilien. Quand Claude Makelele est parti, Ronaldo est devenu le meilleur ami du Français. Deux personnalités différentes mais, à l'arrivée, complémentaires. «Zizou a toujours la gagne», nous a avoué le buteur sud-américain un jour d'hiver 2004 où rien ne tournait rond au Real. Et si le Français ne peut pas s'empêcher d'avoir le masque à la moindre contrariété — et elles étaient nombreuses à l'époque —, Ronaldo, lui, est tout autre. Quoi qu'il arrive, il reste décontracté, loin de l'actualité brûlante. Il le résumait ainsi quand on l'interrogeait, avec ZZ comme interprète : «C'est simple, j'ai une recette. Quand les choses vont bien, je reste tranquille. Et quand elles vont mal, je reste très tranquille.» On se souvient alors de la joie presque enfantine qui a inondé son visage une fois qu'il nous eut fait cet aveu. Ces deux façons d'envisager la vie n'ont pas empêché les deux hommes de sympathiser. A tel point que Ronaldo a demandé à Zidane de l'accompagner dans le rôle d'ambassadeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et dans l'organisation de matches pour la lutte contre la pauvreté dans le monde. «Il n'y a que le dernier, à Athènes, le 15 décembre, qu'il n'a pas joué, car il était blessé», regrette Zizou. Mais le Brésilien était tout de même présent. Ainsi, les chemins des deux hommes se sont souvent croisés avant qu'ils ne soient réunis durant quatre ans au Real (2002 à 2006). Hélas, sans le résultat escompté, à l'exception d'un titre de champion d'Espagne en 2003 ! Zinédine, quel souvenir garderez-vous du “Fenomeno”, que vous avez donc côtoyé au Real Madrid, notamment ? Il a été le meilleur joueur de sa génération, et de loin ! Et pourtant, à l'heure de sa retraite, je me dis qu'il n'a pas tout donné. Je connais bien Ronnie et je me dis qu'il aurait pu faire tellement mieux. Vous restez sur votre faim ? Ah non, surtout pas ! Je me dis simplement que ce footballeur magnifique aurait pu atteindre des sommets que personne n'imagine. Mais c'est sa personnalité probablement qui l'en a empêché. Il avait des moments d'absence qui, justement, ne l'ont pas aidé à aller plus haut, plus loin. J'arrivais avant lui aux entraînements et j'en repartais après lui. Il n'était pas toujours bien concentré sur son football, pas à 200 % sur ce qu'il entreprenait, mais cela faisait partie de son charme. Pourtant, quel joueur ! Je le répète, le plus fort de nous tous. C'est rare que vous soyez aussi impressionné par un de vos contemporains ! Justement, il était impressionnant. En quoi ? Un geste, un dribble ? Pfff… Il en faisait tellement. Non, ce n'est pas un geste en particulier mais plutôt sa faculté, sa facilité à transformer une moitié d'occasion en but incroyable. Ou à se construire un but tout seul. Devant le but, dans la surface, il était phénoménal. Les gens qui l'ont vu jouer, qui l'ont regardé s'entraîner, savent de quoi je parle. C'est difficile à traduire par des mots car on pense que j'exagère, mais pas du tout. C'était un joueur d'une efficacité incroyable. Quelle était sa grande force ? Son accélération en pleine course, sa double accélération, devrais-je dire. Il était capable en quelques mètres de créer des différences gigantesques. Tous les défenseurs qui l'ont eu en face d'eux vous le confirmeront. Ronaldo n'avait pas besoin de beaucoup d'espaces pour faire cette différence, car il possédait tous les gestes du footballeur techniquement supérieur aux autres et il les effectuait à une vitesse folle. Ce n'était pourtant pas un forcené de l'entraînement… Non, fausse idée. A l'entraînement, il était tout aussi incroyable, à la limite de l'insolence, parfois. Tout était facile pour lui. Moi, je le regardais faire, ébloui. C'est définitivement un joueur qui vous a marqué… J'étais un fan de Ronaldo. Je l'observais, toujours à l'affût du geste qui tue l'adversaire. Mais j'en parle, j'en parle… On ne se rend pas compte de ce qu'il était, et c'est dommage ! Il est arrivé au Real Madrid en 2002, soit un an après vous… Exact. Et je le regrette. Qu'entendez-vous par là ? J'aurais aimé le connaître et jouer avec lui quelques saisons auparavant, quand il était au sommet de sa forme. Je l'ai connu trop tard, même s'il était encore très costaud. Regardez les images quand il jouait à Barcelone et vous comprendrez mieux ce que je veux dire. Ce n'est pas lui faire injure que de rappeler que le meilleur Ronaldo, c'était avant Madrid. Et pourtant, en 2002, il devient champion du monde en Asie et va remporter, cette année-là, son deuxième Ballon d'Or. C'est dire ! Il finit meilleur buteur du Mondial (8 buts) et emmène le Brésil à la victoire, alors qu'il a été blessé auparavant et qu'on ne lui donnait pas beaucoup d'espoir de revenir à un tel niveau. Il a réussi l'incroyable en faisant la différence dans un tout autre registre. C'était un phénomène ! Et comment était-il dans la vie ? C'est un Brésilien qui possédait une grosse confiance en lui pour tout ce qui touchait à son sport. Même quand il était critiqué pour son jeu ou moqué pour son physique, il relevait les défis qui se présentaient. Il ne donnait pas l'impression d'être marqué par tout ce qui se disait ou s'écrivait à son propos. Il était imperméable, presque indifférent à ce type de pression. Il était exactement le même, qu'il marque trois buts ou qu'il rate son match. Il a souvent été sifflé à Bernabeu, mais j'ai toujours eu la sensation que ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Il avait une telle confiance en lui qu'il était capable de passer à autre chose, très vite. Je lui enviais cette sérénité incroyable. En fait, il faisait abstraction de tout ce qui l'entourait, bon ou mauvais. Tout dépendait de lui, et que de lui. Les Brésiliens, en général, sont un peu comme ça, mais lui encore davantage. Comment vivait-il son métier ? Encore une fois, comme un Brésilien. Sérieusement, mais, au bout du compte, le foot reste un jeu. C'est avant tout un divertissement qui se joue sur un terrain. Et en dehors ? J'ai partagé quelques bons moments avec lui. Franchement, là aussi, il était magnifique. Même dans la difficulté, même quand ça partait dans tous les sens, c'était un gentleman. Toujours digne. Il aurait pu charger tel ou tel coéquipier, voire l'équipe, or il n'a jamais dit un mot plus haut que l'autre. Pareil dans les vestiaires. Autrement dit, j'ai apprécié l'homme et le joueur. C'est quelqu'un qui m'a fait du bien dans ma carrière et il fait partie des trois ou quatre partenaires qui resteront dans ma mémoire. Vous étiez potes aussi ! Evidemment. Et on l'est toujours. En décembre dernier, à l'occasion d'un match de bienfaisance contre la pauvreté, organisé par l'ONU et sa fondation, à Athènes, on a discuté. Il me disait qu'il n'allait pas s'arrêter tout de suite. Il voulait au moins finir la saison, voire continuer jusqu'en décembre 2011, tellement il aimait encore le foot, tellement il était motivé. J'ai donc été surpris par sa décision. J'imagine qu'il souffrait physiquement beaucoup. On se souvient enfin que vous êtes allé à deux reprises, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, lui rendre visite après ses opérations au genou. Oui, et ça ne m'est pas arrivé souvent d'aller voir un joueur blessé. C'était ma façon à moi de lui rendre hommage, surtout à un moment pénible de sa vie de sportif. Je me rappelle qu'à chaque fois je lui ai dit qu'il manquerait au football durant tout le temps où il serait absent.