«En 20 ans, il n'a construit ni base d'entraînement ni hôtel» «Il y a des mécènes qui sont prêts à prendre le club» «Toutes proportions gardées, la JSK devrait être le Barça» Nous avons donné, avant-hier, la parole à quelques-uns des joueurs historiques de la JS Kabylie. Ali Fergani ne s'était pas exprimé, mais il fait partie du premier cercle des icones de ce club dont il a été joueur, capitaine d'équipe, dirigeant et entraîneur. Après une longue période de silence sur ce sujet sensible qu'est la JSK, il a accepté enfin de livrer son opinion sur le conflit qui oppose son président actuel, Mohand-Cherif Hannachi, à ses opposants. Vous êtes ancien joueur, ancien capitaine, ancien dirigeant et ancien entraîneur de la JS Kabylie, ayant remporté de nombreux titres avec le club. Cette qualité d'ancien vous donne certainement un certain regard sur la situation que vit actuellement la JSK où l'on parle plus de la nécessité ou non du maintien du président actuel que des résultats. Quelle est votre opinion sur la question ? J'ai vu qu'il y a une grande polémique actuellement au niveau de la JSK. Je ne peux pas rester insensible par rapport à tout ce qui se passe au niveau de ce grand club. Je suis vraiment déçu par tout ce qui lui arrive actuellement, dans la mesure où ça devenait inévitable. Un club qui représente beaucoup pour le football algérien par rapport à tous ses résultats. Globalement, il y a eu des résultats. Ce n'est pas une nouveauté, car la JSK a de tout temps obtenu des résultats. Seulement, là où le bât blesse, c'est au niveau des infrastructures. Sur ce plan-là, nous n'avons pas en Algérie de grands clubs. Nous avons eu de grandes équipes, comme le grand CRB des années 60, le grand MCA des années 70, la grande JSK des années 80, sans oublier l'ESS, autant d'équipes qui avaient collectionné des titres et s'étaient imposées au plan international, mais un grand club, ce n'est pas uniquement des titres. Un grand club, c'est tout ce qui permet de le pérenniser, à savoir l'infrastructure. En Algérie, les dirigeants n'ont pas pensé à laisser des choses derrière eux. Il y a des clubs qui peuvent laisser 1 titre, 2 titres, 3, 10, 15 titres même, mais ils ne laissent pas une base d'entraînement ou un hôtel. On ne parle pas de stade, car c'est beaucoup dire, mais une base d'entraînement est la moindre des choses. Cela est valable plus particulièrement pour la JSK qui est mon club de cœur, où tous les moyens existaient pour pallier ces insuffisances. Dites-vous cela en comparaison avec ce que vous avez trouvé lors de votre passage à l'Espérance de Tunis où il existe des infrastructures qui permettent au club de résister au passage des hommes ? Justement, prenez les clubs les plus titrés au Maghreb, à savoir l'Espérance de Tunis en Tunisie, le WA Casablanca au Maroc et la JS Kabylie en Algérie, et faites la comparaison. Le Wydad a son infrastructure propre : des terrains d'entraînement, une salle couverte, une salle de musculation, un bloc administratif… L'ES Tunis a son propre hôtel, un centre d'entraînement au centre-ville, un centre de musculation, une salle pour la restauration… Et la JSK, elle a quoi ? Elle n'a pratiquement rien, alors qu'elle peut tout avoir, pour peu qu'on pense à investir et laisser des choses derrière soi, mais je pense que ça n'a pas été le cas. Pour vous, y a-t-il aujourd'hui à la JSK un problème de personnes ou bien de gestion ? Quand on juge une période ou un bien, en l'occurrence celui de la JSK, on juge la gestion de manière globale, à savoir les titres gagnés et aussi les investissements qui ont été faits. Cela fait 19 ans que Hannachi est président de la JSK et il a eu des titres… Il en a eu 11… Oui, mais la JSK a toujours eu des titres. Moi, j'ai joué à la JSK de 1979 à 1991, d'abord en tant que joueur, puis en tant que dirigeant et entraîneur. Si je peux parler juste de ma personne, j'ai remporté 5 titres de champion d'Algérie, 1 Coupe d'Afrique des clubs champions, 1 Supercoupe d'Afrique, sans oublier 1 Coupe d'Afrique des clubs champions en tant qu'entraîneur, cela fait 8 ou 9 titres remportés… Vous oubliez la Coupe d'Algérie remportée en tant que joueur… Oui, 1 Coupe d'Algérie en 1986. Donc, moi aussi j'ai eu des titres. C'est bien pour un président d'avoir des titres, mais ce n'est pas tout ! Chez nous, on n'a pas cette culture de construire un club pour laisser des choses à augmenter et à améliorer par la suite. Normalement, quand on passe dans un club, c'est comme dans une entreprise : on est là pour construire, mettre une pierre à l'édifice, pour que celui qui viendra après ajoute une autre pierre à l'édifice et ainsi de suite. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Chez nous, on voudrait que lorsqu'on quitte le club, on soit toujours regretté, que les gens disent : «Quand il était là, c'était mieux… ». Ce n'est pas ainsi qu'on construit un grand club. Vous connaissez comme moi la JSK : le siège du club et l'administration sont au sein du stade du 1er-Novembre (c'est sûrement en location), alors qu'il était avant à la cité des 145 Logements ; dans les années 80, la JSK avait un vestiaire flambant neuf, une salle de musculation flambant neuve, une salle de soins flambant neuve… Maintenant, je suppose que tout s'est dégradé… La JSK devrait avoir sa base d'entraînement. Un club de province n'est pas comme un club d'Alger. En province, il y a généralement un seul club. C'est le cas en Kabylie où il y a un seul club, et quel club ! C'est le club de toute une région ! Si la JSK envisage de créer un centre de formation, je suppose qu'il n'y aura aucun wali qui refuserait de lui octroyer une assiette de terrain pour elle. Cela aurait dû être déjà fait. Au début des années 90, nous avions justement envisagé d'avoir ce terrain à l'entrée de Tizi Ouzou, mais rien n'a été fait par la suite. La JSK devrait avoir sa base d'entraînement, éventuellement un hôtel, puisqu'il s'emblerait qu'elle a un hôtel au centre-ville. Elle devrait avoir de grands sponsors, surtout que c'est un club très porteur, mais ce n'est malheureusement pas le cas. C'est là où, du point de vue gestion, ça laisse à désirer. Je me pose des questions : pourquoi, alors que tout est possible ? Une question directe : faut-il que Hannachi parte en ce moment ? En dehors de mes rapports avec Hannachi (je n'ai plus aucune relation avec lui, on ne se parle plus depuis 1991), rien que le fait qu'en 20 ans, il n'aie pas pensé à pérenniser la JSK par un centre d'entraînement, un hôtel, un cercle fonctionnel ou tout autre infrastructure, il doit céder sa place. Cela dit, laissons la saison se terminer et qu'il y ait une élection après. Je ne veux pas entrer dans le détail de la composante de l'assemblée. Il y a beaucoup à dire à ce sujet. Dernièrement, par le biais de l'Amicale des anciens internationaux de football, nous avions demandé à l'AG de la FAF à ce que les internationaux ayant eu plus de 70 sélections soient membres de l'AG. La demande n'a pas été acceptée, mais elle sera réitérée. Ces gens-là ont donné pour le football et il n'est pas normal qu'ils ne soient pas membres de l'assemblée générale. Pour les assemblées générales des clubs, c'est la même chose : comment se fait-il que des joueurs ayant joué pendant 10 ans dans un club ou ayant plus de 50 sélections internationales, en ayant porté le maillot de ce club, ne soient pas membres de l'assemblée générale ? C'est anormal et je pense que ça doit changer. Je pense qu'il y a des choses à revoir dans la composante de l'AG de la JSK. A supposer que Hannachi accepte de partir, existe-il actuellement des alternatives crédibles pour prendre le relais ? Comme alternative, il faut que ce soit un mécène. C'est très bien pour l'USMA que Ali Haddad ait pris ce club, mais c'est dommage pour la JSK parce que, d'après ce qui a été dit, Haddad voulait au départ prendre la JSK. Moi, qui ai eu le plaisir de travailler durant une année sous l'ère Haddad à l'USMA, un club que je respecte beaucoup, je peux dire que ce qui se passe dans ce club est la solution pour le véritable futur professionnalisme. Cela fait bientôt deux ans que Haddad est arrivé, mais je peux vous assurer que beaucoup, beaucoup de choses ont été faites, ne serait-ce qu'au niveau du stade de Bologhine, complètement transformé, sans compter le projet de centre de formation à Baïnem et divers autres projets afin de passer de l'amateurisme au professionnalisme. Je suis certain qu'il existe des mécènes qui sont intéressés de prendre la JSK. C'est vrai que ce ne sera pas facile, car quand on voit la composante actuelle, on s'aperçoit que beaucoup de joueurs seront en fin de contrat en juin -c'est la mode actuellement-. Il faut donc que le preneur ait les reins solides pour garder les meilleurs joueurs, car la JSK risque d'être vidée en fin de saison. Je ne citerai pas de noms, mais il y a certainement des mécènes intéressés, car c'est un club porteur. Toutes proportions gardées, la JSK, c'est le Barca. C'est un club lié à une identité sans tomber dans le régionalisme. Il y a bien eu des joueurs venus de Sidi Meghiche (Boukadoum), de Chelghoum Laïb (Douadi) et de Biskra (Aouis Allah yerrahmou) qui ont joué à la JSK, mais il y a eu aussi des joueurs issus de toute la Kabylie. Le club ne se résume pas à Tizi Ouzou, mais c'est toute la Kabylie. Aujourd'hui, il y a la JSM Béjaïa qui empiète un peu sur ses plates-bandes, mais c'est normal. Il y a des jeunes dans la région qui ont besoin d'être bien pris en charge, et c'est le cas dans toutes les régions d'Algérie. On dit qu'il n'y a pas de jeunes talentueux en Kabylie. Non, il y a des jeunes, mais ils ne sont pas pris en charge. On remarque qu'il y a actuellement 10 à 15 joueurs qui font la tournée de tous les clubs du pays. Ce n'est pas normal ! Je ne suis pas contre le fait qu'un jeune de Tlemcen aille jouer à Annaba, mais qu'il joue dans sa région d'abord. On constate que beaucoup de clubs ont perdu leur identité. L'identité d'un club, c'est les joueurs qui y font leurs classes. C'est le cas du NAHD, mon autre club de cœur avec la JSK. Où est-il aujourd'hui, lui qui avait formé 4 des joueurs titularisés face à la RFA au Mondial-82 ? Qu'on ne me dise pas qu'il n'y a plus de jeunes talents à Hussein-Dey. La JSK a formé des joueurs qui ont été champions d'Afrique : Sadmi, Adghigh, «Tchipalo», Meftah, Adane, et j'en passe. Pourquoi ne plus le faire à présent ? Si un projet crédible se faisait la saison prochaine à la JSK, seriez-vous prêt à vous y inscrire ? J'étais au Bureau fédéral de la FAF et je n'y suis plus. C'est pour ça que je peux à présent m'exprimer sur tout. J'avais déclaré, lors de mon retrait, qu'il y avait 99 % de chances que je reprenne le terrain la saison prochaine. Cela manque. Depuis, el hamdoulah, je suis en assez bonne santé. Serait-ce à la JSK ? Tout est possible. Même avec Hannachi ? Non, pas avec lui. Etes-vous pour l'idée d'attendre la fin de la saison afin de ne pas perturber les joueurs ? Les joueurs sont déjà perturbés. Ils jouent déjà devant des gradins vides et c'est très choquant. Ils doivent toutefois agir en responsables et jouer jusqu'au bout. La JSK ferait bien de regarder dans le rétroviseur, car on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise.