Mohamed Abou Trika, guide suprême malgré lui Star incontestée du football égyptien et du football arabe de manière générale, Mohammed Abou Trika n'en demeure pas moins d'une humilité et d'une modestie extraordinaires. Homme discret dans la vie, il fascine autant par son immense talent que par sa simplicité et sa piété et c'est ce qui explique sa popularité toujours grandissante. En Egypte, c'est l'icône de tout un peuple, le repère par lequel il s'affirme et affirme son panarabisme, une constante inamovible au pays des Pharaons. Ce nouveau statut en a fait de lui une des stars privilégiées des médias égyptiens et du Moyen-Orient, avec souvent des excès de la presse dite «people» Agacé par les manipulations, il boycotte les médias Ces excès, caractérisés par de fausses interviews, des interprétations tendancieuses de certaines de ses déclarations et parfois même des tentatives de récupération politiciennes, ont fini par l'agacer au point de refuser d'accorder des entretiens. Irrité qu'on lui parle souvent de politique suite à son soutien public et inconditionnel au peuple palestinien exprimé lors de la CAN-2008, il s'est recroquevillé dans son coin préférant user du seul langage qui soit compris par tous et qu'on ne peut pas manipuler : le terrain. Son action éclatante a tellement marqué les esprits que les CAF, sous la pression de lobbies sionistes, veut interdire tout geste qu'elle juge porteur d'un message politique et religieux, y compris la "sajda" que font les joueurs égyptiens, Abou Trika en tête, après chaque but et à la fin de chaque match. C'est dire que «cheïkh Abou Trika», comme le surnomment affectueusement ses coéquipiers, a dépassé le statut de joueur pour prendre celui de «guide suprême». C'est à son corps défendant, car il n'a jamais eu pour ambition d'être un meneur d'opinion. Il est mû seulement par le désir personnel de s'impliquer dans les causes justes, sans en attendre ni éloges ni lauriers. C'est pour cela qu'il boycotte les médias depuis plus de deux mois. Le Buteur, l'exception du cur C'est donc un Mohamed Abou Trika «insaisissable» que Le Buteur a réussi à accrocher. Il est vrai qu'il tient en estime notre journal depuis la rencontre que son envoyé spécial a eue avec lui au Ghana, à l'occasion de la Coupe d'Afrique des nations, et aussi depuis qu'il a été élu, suite à un sondage organisé par nos soins, meilleur joueur arabe de l'année 2007. Il a ainsi bien voulu faire une exception et accorder un entretien au Buteur au moment où les médias égyptiens essuient refus sur refus. Aux lecteurs algériens, qu'il dit aimer avec beaucoup de sincérité, il a ouvert son cur. F. A-S. «Les Egyptiens nous voient déjà au Mondial, moi pas» l «La sélection algérienne est plus forte qu'on le pense» l «Non, il n'y a pas un complexe Coupe du monde» l «Je veux effacer la mauvaise image que traînent les Arabes» l «Sincèrement, j'aime beaucoup les Algériens» * Tout d'abord, félicitations à Al Ahly pour sa sixième victoire en Ligue des champions africaine, un record absolu... * Je vous en remercie. Ce n'est pas seulement la victoire pour Al Ahly ou du peuple égyptien, mais celle de toute la Nation arabe. De plus, nous décrochons le droit de participer à la Coupe du monde des clubs pour la troisième fois, ce qu'aucun club au monde n'a réalisé jusqu'à présent. * Beaucoup d'Algériens considèrent que le sacre africain d'Al Ahly est naturel, voire banal et que le plus grand défi est de faire passer au club un palier supérieur à travers une participation conquérante en Coupe du monde des clubs ; partagez-vous cet avis ? * Oui, mais il faut prendre les choses avec simplicité et sans passion ou pression. Il ne faut pas se leurrer, il y a un écart entre le niveau du football européen et celui du football africain. On peut le combler avec le temps. Cependant, il ne faudrait pas exercer des pressions sur nos joueurs en leur exigeant beaucoup de choses. Je me rappelle qu'avant notre première participation à cette compétition, les médias et les supporters s'étaient enflammés en nous demandant la victoire finale, mais nous avons complètement raté le tournoi. Lors de notre deuxième participation, notre prestation a été meilleure et nous avons acquis de l'expérience. Cette fois-ci, nous essayerons de faire mieux, mais il est inutile de faire porter aux joueurs plus de responsabilités qu'ils ne peuvent en supporter. * Sur un plan personnel, le journal El Heddaf, sur la base d'un sondage mené auprès de grands médias de 21 pays arabes, vous avait élu meilleur joueur arabe de l'année 2007... * Oui, je suis au courant. Vos envoyés spéciaux au Ghana à l'occasion de la CAN-2008 me l'avaient appris au cours de l'entretien que je leur avais accordé. C'est un immense honneur pour moi. C'est toute la sélection égyptienne qui est primée à travers moi. Par ailleurs, je me réjouis d'être ainsi honoré par un journal algérien. Cela ne peut que renforcer les liens entre l'Egypte et l'Algérie qui, quoi qu'on dise, sont des pays frères. Bientôt, nos deux sélections s'affronteront et j'espère que les matches se dérouleront dans un esprit fraternel et dans le fair-play. Je souhaite qu'il n'y ait pas de tensions, quel que soit le vainqueur, surtout que les conditions de jeu pour les deux équipes seront similaires. * Vous jouissez d'un immense respect auprès du peuple algérien et votre voix est très écoutée. Avez-vous un appel à lancer aux supporters algériens en perspective de cette double confrontation ? * Je lance un appel pour que les deux matches soient un spectacle et un festival sportifs, loin de tout extrémisme, qu'il y ait un respect de l'adversaire. Contrairement à ce qui se dit généralement ici en Egypte, l'Algérie possède une bonne équipe. Je pense sincèrement qu'elle est performante et qu'elle peut nous causer des problèmes, surtout qu'elle renferme en son sein des jeunes professionnels prometteurs. La mission de l'Egypte semble facile en théorie, mais je suis convaincu que ce sera très dur dans la pratique. Affronter la Zambie, l'Algérie et le Rwanda chez eux ne sera pas de tout repos car chacune de ces équipes nourrit des ambitions et c'est légitime. De plus, pour chacun de nos adversaires, battre le champion d'Afrique est un challenge motivant. Au sein de l'opinion publique égyptienne, l'idée que l'Egypte est déjà en Coupe du monde s'est ancrée et cela ne fera que compliquer notre tâche. Se projeter déjà vers la fin du parcours alors que nous ne l'avons même pas encore entamé est un réel problème. Cela dit, nous tâcherons de bien nous préparer pour ces éliminatoires. Nous avons encore trois matches de préparation avec notre premier rendez-vous. Nous avons de grandes chances de nous qualifier pour la CAN-2010, mais les sélectionnés veulent encore davantage avec une qualification pour le Mondial-2010 en Afrique du Sud. Nous espérons fortement donner cette joie au peuple égyptien. * Vous, joueurs, êtes-vous conscients de la difficulté de la tâche et du fait que la qualification se jouera sur le terrain et nos pas dans les médias ? * Absolument. Ce sera très, très dur. Je dirai même que notre groupe est parmi les plus difficiles et les plus relevés. Ce sera indécis jusqu'au bout et toutes les rencontres seront ouvertes. Personnellement, je suis concentré sur ces rendez-vous et je ne me mets pas de pression inutile, mais la conviction du peuple égyptien que c'est déjà gagné est une très mauvaise chose et cela met une pression parfois insupportable sur les épaules des joueurs. Un proverbe arabe dit : «Les excès se retournent contre leurs auteurs». Il est primordial qu'il y ait une bonne préparation et que les joueurs soient pleinement concentrés. Le fait que notre premier match se déroule à domicile face à la Zambie est un avantage dont il faudra profiter afin de réaliser un bon départ. * Autant la sélection égyptienne brille en Coupe d'Afrique des nations, autant elle peine lors des éliminatoires de la Coupe du monde, avec deux échecs aux deux dernières éditions. Peut-on dire que l'Egypte a un complexe vis-à-vis des éliminatoires de la Coupe du monde ? * Non, je ne crois pas qu'il y ait un complexe. La tendance est à l'optimisme cette fois-ci et l'opinion publique croit fermement en une qualification au Mondial-2010. Si vous croisez n'importe qui dans la rue et que vous lui demandiez de faire un vu, il vous répondra que son vu est que l'Egypte aille en Coupe du monde. On ne trouvait pas une telle confiance parmi la population ces dernières années, du moins pas de cette ampleur. Même l'équipe est confiante en ses capacités et est motivée pour atteindre le but car il serait cruel de décevoir tous ces gens-là. Je le répète, ce sera dur, mais nous pouvons le faire. * Recevez-vous des messages et des encouragements émanant de l'Algérie ? * Sincèrement, j'aime beaucoup les Algériens. C'est un peuple très bon, très généreux et il adore le football, comme beaucoup d'autres peuples arabes. Après le sacre de l'Egypte lors de la CAN au Ghana, beaucoup de gens du monde arabe, dont l'Algérie, se sont fait un devoir de féliciter la sélection égyptienne. C'est vraiment très gentil de leur part. * Savez-vous que vous êtes devenu une idole en Algérie après votre position courageuse en faveur des Palestiniens (il avait exhibé un maillot sur le quel était écrit «Solidarité avec la population de Ghaza» après avoir inscrit un but lors de la CAN-2008, ndlr) ? * Je les remercie pour leur estime et leur confiance et j'espère en être toujours digne. Lorsque je joue en sélection, je ne joue pas pour l'Egypte seulement. Je joue aussi au nom de tous les Arabes et de tous les musulmans pour donner une bonne image d'eux. A cause de leurs divisions, les Arabes sont mal vus dans le monde et je veux contribuer à effacer la mauvaise image qu'ils traînent. * Lors du match Algérie-Egypte, les joueurs seront certainement sifflés par les supporters algériens et c'est normal, mais il est fort probable que vous serez le seul à être applaudi avant le match... * Je le sais et c'est pour ça que je suis vraiment impatient de rencontrer le public algérien qui, j'en suis convaincu, est très sportif. Comme je l'ai dit plus haut, j'espère qu'il n'y aura pas de dépassements et que le match se déroulera dans de bonnes conditions. * Cette année, vous avez réalisé plusieurs performances individuelles, en inscrivant votre 100e but avec la sélection et en intégrant le Top 10 des meilleurs buteurs au monde dans les compétitions internationales avec 11 buts jusqu'à présent et peut-être plus si vous marquez lors de la Coupe du monde des clubs. Aspirez-vous à passer à une étape supérieure en essayant, dans le cas où l'Egypte se qualifiait pour le Mondial, d'en être le meilleur buteur ? * En vérité, il y a beaucoup de défis à relever, que ce soit avec Al Ahly ou avec la sélection, avec des compétitions au plus haut niveau. C'est un grand honneur pour moi d'y prendre part. Cependant, je suis de ceux qui pensent que les performances se mesurent à l'aune des prestations collectives. A quoi cela servirait d'être le meilleur buteur au monde alors que le club échoue à remporter le titre africain ? La plus belle saveur et le plus grand bonheur est dans les réalisations collectives. Le titre individuel fait le bonheur d'une seule personne, alors qu'un titre gagné par l'équipe fait le bonheur de milliers de supporters et parfois de tout un peuple. * Pour la Coupe des Confédération qui aura lieu l'été prochain en Afrique du Sud, l'Egypte affrontera notamment le Brésil, une équipe que tout joueur égyptien et africain en général rêve d'affronter. Est-ce que vous y pensez déjà ? * Personnellement, je considère la participation à la Coupe des Confédérations comme un hommage à la régularité de la sélection. C'est un tournoi honorifique et il ne faut pas en faire un objectif, au risque de mettre les joueurs sous pression. Je le considère davantage comme une occasion d'apprendre au contact du champion du monde et des champions de chaque continent et, par là même, donner une bonne image du football égyptien et du football africain de manière générale. Ce sera aussi une bonne préparation pour ce qui restera des matches des éliminatoires pour la CAN-2010 et le Mondial-2010. Nous espérons également donner une belle image aux plans disciplinaire et comportemental. * En toute franchise, nourrissez-vous l'ambition d'atteindre la finale de la Coupe du monde des clubs au Japon et d'affronter Manchester United, surtout que le tirage au sort vous a été plus ou moins favorable ? * Là aussi, il ne faut pas demander l'impossible. Lors de notre participation, on nous avait exigé de revenir avec la coupe et cela nous avait saqués. Un match n'est jamais gagné d'avance. Certes, nous ne pénétrerons pas sur le terrain en perdants. Nous ferons le maximum pour aller le plus loin possible. Ce ne sera pas facile car il y a plusieurs contraintes, comme par exemple le décalage horaire qui aura une influence au plan physiologique sur le corps, ainsi que le climat. Nous tâcherons de gérer tout ça. * Un dernier mot pour les Algériens ? * J'ai hâte de les rencontrer. J'espère que le match Algérie-Egypte sera un spectacle sur le terrain avant tout et que le meilleur gagne ! J'ai été très content de m'adresser au public algérien à travers vos colonnes. Entretien réalisé au Caire par Farid Aït Saâda