«J'ai une relation particulière avec Alger» «Celui qui n'aime pas la philosophie du Barça doit changer de sport» Samedi vers 16h, les 200 journalistes couvrant le tournoi The Chance Nike qui se déroule depuis une semaine à Barcelone ont été destinataires de sms leur annonçant l'arrivée à l'hôtel de Laurent Blanc. Cinq minutes après, l'une des nombreuses salles de conférences qui devait accueillir Blanc était déjà bondée de monde. C'est dire la popularité de l'ancien capitaine de l'équipe de France auprès des journalistes du monde entier. Quelques journalistes seulement ont pu avoir l'autorisation de poser une seule question. Le Buteur en a posé deux, celles qui intéressent le plus les lecteurs algériens. Appréciez l'échange ! M. Blanc, que pensez-vous de l'initiative de Nike qui donne chaque année la chance à 100 joueurs du monde entier d'embrasser une carrière professionnelle ? J'aurais aimé avoir la même chance quand j'avais l'âge de ces joueurs. Ç'aurait été plus simple. J'ai suivi la prospection en France et je peux vous dire que beaucoup de joueurs pouvaient aussi être ici, mais il fallait faire des choix et on les a faits. C'est vous dire que les 100 joueurs présents, ceux qui ont été choisis pour le dernier stage aux Etats-Unis et ceux qui ne l'ont pas été doivent être contents d'avoir fait partie de cette magnifique expérience. Ils doivent avoir confiance en leurs capacités et continuer à travailler pour faire carrière dans ce sport. Quels ont été vos critères de sélection lorsque vous avez participé à la prospection de Nike en France ? Avoir du talent, c'est bien, mais savoir le mettre au service de l'équipe, c'est mieux. Si on veut réussir dans le football, on doit être convaincu que c'est un sport collectif. A ce titre, j'ai beaucoup aimé la phrase de Michael Jordan qui a dit un jour : ‘‘Le talent individuel peut te faire gagner un match et même plusieurs, mais c'est l'esprit d'équipe qui te fait gagner des titres.'' Vous avez entraîné Bordeaux puis l'équipe de France, sur quoi vous vous basiez pour choisir un joueur ? Il y a les qualités techniques, tactiques et physiques, mais ce qui est essentiel à mon sens, c'est l'intelligence footballistique. C'est ce quelque chose en plus que possèdent certains joueurs qui savent faire le bon choix au bon moment. Vous avez été milieu défensif, avant de vous reconvertir en défenseur central. Est-ce un choix délibéré ou est-ce la décision de vos entraîneurs ? Vous savez, quand on commence à jouer au football au tout début, on veut soit marquer des buts, soit empêcher les autres de nous marquer, on choisit d'être soit attaquant soit gardien de but. Pourtant, il y a neuf autres postes. Après, vers 12, 13 ans, certains éducateurs savent déceler les qualités chez un joueur pour lui choisir son poste. C'est donc vers le poste de milieu défensif qu'on m'a orienté. Un poste qui m'a beaucoup aidé, notamment dans mes relances lorsque j'ai reculé d'un cran. Vous avez joué dans les plus grands championnats européens, quels enseignements tirez-vous de chaque championnat ? Le football, c'est comme la culture, il diffère d'un pays à l'autre. Jouer en Italie, en France, en Espagne ou en Angleterre a été une grande richesse pour moi. C'est vrai que le football qui se joue aujourd'hui en Angleterre n'est plus le même que celui d'il y a 15 ans. Le football évolue tous les jours, mais c'est toujours l'intelligence dans le jeu qui fait la différence. Justement, vous avez fait un court passage à Barcelone. Est-ce vraiment un club différent ? C'est plutôt une philosophie différente. C'est une philosophie que j'aime et celui qui ne l'aime pas doit changer de sport. En arrivant ici, Cruiyff était encore là. Avec lui, toutes les catégories jouaient exactement de la même manière que l'équipe professionnelle. On leur inculque le beau jeu dès le départ. Le Barça, comme tous les grands clubs, c'est aussi une grande histoire, une identité. C'est un club différent, oui. Vous avez eu une expérience à la tête de l'équipe de France qui a tourné court. Pourquoi ? C'est malheureux de le dire, mais aujourd'hui en France, l'équipe nationale n'est plus aussi importante qu'il y a quelques années. On peut gagner tous les titres avec un club, mais cela ne remplace jamais une victoire avec l'équipe de son pays. C'est dix fois plus intense. Le but contre le Paraguay en Coupe du monde-1998 est-il le meilleur de votre carrière ? Il est l'un des meilleurs pour ce qu'il représente pour la France, mais il y a eu d'autres buts importants dans ma carrière. Et la Coupe du monde ? Jouer la Coupe du monde, c'est déjà énorme, la gagner et en plus dans son propre pays, c'est la plus belle des récompenses. C'est pour ça que je dis aujourd'hui à tous ces jeunes qu'il faut beaucoup travailler et être patients. Mes deux titres majeurs, je les ai gagnés en fin de carrière. J'avais 32 ans en Coupe du monde et 34 ans au championnat d'Europe. Aujourd'hui, des joueurs de 16 ans sont vendus à des prix mirobolants. Qu'en dites-vous ? C'est négatif pour le football et on est bien placés en France pour en parler. Des joueurs qui n'ont même pas terminé leur formation, qui n'ont pas joué le moindre match avec l'équipe pro qui les a formés, sont vendus à des clubs plus riches. Leur entourage est content, certes, mais on ne recrute pas un joueur pour le mettre sur le poster, on le recrute pour jouer. A 16 ans, on doit jouer pour progresser. Zidane a déclaré publiquement qu'il voudrait devenir entraîneur. Pensez-vous qu'il va réussir ? Son côté réservé ne risque-t-il pas de le bloquer ? Non, je ne pense pas. Tous les entraîneurs du monde ne sont pas extrovertis. S'il veut devenir entraîneur, je l'encourage à le faire. C'est vrai qu'on va le juger sur ce qu'il a fait comme joueur et ça met une pression, mais il a tellement de choses à montrer que je le pousse à devenir entraîneur, éducateur ou sélectionneur. En 2005, vous avez effectué un voyage très particulier à Alger pour assister au Ballon d'Or algérien. Quelle image gardez-vous de cette ville ? Vous savez, j'ai une relation particulière avec Alger. J'y suis allé tout gosse avec mes parents et lorsque je suis revenu sur votre invitation, j'ai remarqué que beaucoup de choses ont changé. Qu'Alger est en train de grandir comme toutes les grandes capitales. J'ai aussi remarqué que les Algériens ont une passion sans limite pour le football. Je savais ça avant, mais lorsque je suis allé sur place dans des quartiers populaires d'Alger, j'ai mesuré à quel point les Algériens aiment le foot. ------- Il demande le téléphone de Bourayou pour le placer dans un club français Après l'histoire des quotas à la Fédération française, certains sont allés vite en besogne en accusant Laurent Blanc de raciste. Le premier à lui venir en aide a été Zinédine Zidane qui le connait mieux que quiconque pour l'avoir longtemps côtoyé en équipe de France. Blanc a encore une fois prouvé son amour pour les Algériens. Samedi en soirée, et alors qu'il s'apprêtait à sortir dîner en ville, il nous a vus dans le hall avec le jeune joueur Mounir Bourayou et son papa. Il est lui-même venu vers nous pour nous saluer : «Alors les Algériens, ça va ?» nous a-t-il lancé. Lorsque nous lui avons présenté Mounir, il a tout de suite commencé à lui poser des questions sur son âge, le club où il joue, son poste, le nombre de buts qu'il a marqués. Après avoir prodigué de précieux conseils au joueur algérien et à son père, il a tout de suite après demandé au papa de lui donner son numéro de téléphone. «Je vais lui donner un coup de main, je vais contacter quelques bons clubs en France pour le mois d'octobre, parce que pour ce début de saison, c'est trop tard. En octobre, les clubs prennent jusqu'à quatre stagiaires pour les mettre à l'essai jusqu'à la fin de la saison, on verra bien si le petit va s'imposer, mais je ferai tout pour l'aider», a dit celui qui, il n'y pas si longtemps, était le sélectionneur de l'une des grandes nations du football. Ça met vraiment du baume au cœur des Algériens.