«Vous avez un tel potentiel, une telle histoire en Coupe du monde que tous les puristes veulent vous voir au Mondial.» Au moment où personne ne donnait cher de la peau des Eperviers gabonais, Alain Giresse faisait le tour d'Afrique pour superviser les adversaires du Gabon au premier tour des éliminatoires combinées de la CAN et du Mondial-2010. Aujourd'hui, le Gabon a déjà assuré son principal objectif, à savoir la qualification à la CAN, et bouscule l'ogre camerounais pour un billet qualificatif en Coupe du monde. Giresse ne s'est toutefois pas contenté de suivre son équipe et ses adversaires en ayant un œil sur les autres groupes de la zone Afrique dont le C où figure l'Algérie, l'équipe de son cœur. Ecoutez son analyse, elle est très pertinente. * Depuis notre rencontre à Accra durant la dernière CAN, beaucoup de choses ont changé pour vous et pour la sélection gabonaise… Beaucoup de choses ont changé et en bien j'allais dire. Quand j'étais à Accra, c'était le début de l'aventure et j'étais là pour superviser l'un de nos adversaires du premier groupe, à savoir le Ghana, et découvrir l'ambiance d'une phase finale de Coupe d'Afrique. Je vais d'ailleurs vous faire une confidence à ce sujet : ce jour-là, je n'imaginais pas que moins de deux ans plus tard, je me retrouverais qualifié à la CAN et en train de bousculer le Cameroun pour la qualification en Coupe du monde. * Votre déplacement à Accra n'a pas été inutile puisque vous avez réussi à battre le Ghana quelques mois plus tard… Même si on n'avait pas battu le Ghana, il n'aurait pas été inutile car comme je viens de vous le dire, j'étais à Accra aussi pour découvrir l'ambiance d'une CAN. Croyez-moi, j'ai vite voulu y revenir avec la sélection du Gabon, mais en tant que partie prenante. Ce sera le cas en Angola. Je suis satisfait d'avoir travaillé avec cette équipe et d'avoir obtenu des résultats car je vis des moments agréables avec l'équipe du Gabon. * Ne regrettez-vous pas un peu vos deux défaites face au Cameroun après des débuts extraordinaires ? N'y a-t-il pas comme un goût d'inachevé dans votre parcours ? Il faut revenir au contexte dans lequel s'est joué le match Gabon-Cameroun à Libreville. Cette rencontre était initialement prévue pour le 20 juin, mais elle a été remise au 5 septembre suite au décès du président Omar Bongo. En juin, on était dans une meilleure situation que le Cameroun pour affronter ce match avec tous nos atouts car qu'on le veuille ou pas pour battre une équipe comme le Cameroun, il faut que toutes les conditions soient favorables. Ces conditions ne nous étaient pas favorables le 5 septembre dans une période post-électorale avec quelques petits troubles politiques. Mais attention ! Je ne veux pas dire qu'on aurait gagné, je regrette seulement qu'on n'ait pas pu prendre un point sur les deux rencontres car ce point aurait tout changé aujourd'hui et on aurait été premiers avec deux points d'avance sur le Cameroun. Vous voyez bien que je ne suis pas gourmand en visant seulement un petit point (rire). * L'un de vos plus hauts faits d'armes a été votre victoire au Maroc. Sur quoi avez-vous basé votre tactique pour vaincre les Marocaines chez eux et comment avez-vous géré la pression du public ? C'était très simple pour moi. Vous savez que vous êtes dans un groupe avec le Cameroun, le Maroc et le Togo, qu'est-ce que vous risquez ? L'élimination ? On s'y préparait. Autant donc jouer notre jeu et attaquer sans le moindre complexe. C'est ce langage-là que j'ai tenu aux joueurs la veille du match Maroc – Gabon et ça a marché. Il y a eu bien sûr un dispositif tactique sur lequel on s'est basé pour les surprendre. Quant à la pression du public, je ne pense pas qu'elle constitue un gros avantage pour l'équipe qui reçoit ; au contraire la ferveur populaire, c'est dans les gradins qu'elle a lieu. * Suivez-vous le parcours de l'équipe algérienne ? Je suis au courant de ce qui se passe dans tous les groupes et je peux vous dire qu'il y a quelques similitudes entre ce qu'a fait l'Algérie et le Gabon. Les deux équipes étaient absentes à la CAN-2008 et se retrouvent aujourd'hui en train de jouer la qualification en Coupe du monde. Les similitudes restent là toutefois et pour deux principales raisons. D'abord, l'Algérie est aux portes du Mondial. Ensuite, sur l'échiquier international, l'Algérie a une histoire avec deux participations en 1982 et 86. Sincèrement, au jour d'aujourd'hui, je préfère être à la place de l'Algérie qui a déjà franchi un grand pas vers la Coupe du monde. Je le dis d'autant plus que j'apprécie beaucoup votre entraîneur M. Saâdane que j'ai rencontré à deux reprises. Une fois à Casablanca où on était côte à côte en train de superviser nos adversaires respectifs au cours de Maroc-Zambie, et une autre fois au cours d'un rassemblement en France. M. Saâdane dégage une grande sérénité et une sagesse incroyable. Il fait un parcours remarquable et je n'en suis pas étonné même si dans le groupe de l'Algérie, il y a l'Egypte. * Sincèrement, vous attendiez-vous à ce que l'Algérie soit dans cette situation avantageuse? Oui. Pour moi, l'Algérie en Coupe du monde, c'est tout ce qu'il y a de naturel. Vous avez un tel potentiel, une telle histoire en Coupe du monde que tous les puristes veulent vous voir au Mondial. * Vous auriez dit ça au lendemain du tirage au sort ? Ecoutez, le favori pour aller en Coupe du monde, c'était l'Egypte et c'est évident. On pouvait considérer au lendemain du tirage au sort que les trois autres équipes du groupe allaient se bagarrer pour deux places en Coupe d'Afrique et que le billet pour la Coupe du monde était promis à l'Egypte. Ça c'est le papier, après il y a la vérité du terrain et le terrain a démontré autre chose. * Lorsque vous avez rencontré M. Saâdane à Casablanca, vous êtes-vous échangé des tuyaux techniques ? Pas plus que ça, c'était des échanges de courtoisie et de sympathie, c'est tout. Moi, j'étais préoccupé par le Maroc et lui par la Zambie. * Vous êtes à la place de M. Saâdane, que feriez-vous le 14 novembre au Caire ? Je respecte trop M. Saâdane pour me permettre de prendre sa place même virtuellement, mais tout ce que je peux vous dire, c'est qu'une équipe comme l'Algérie ne peut pas se dénaturer. L'Algérie n'a jamais joué pour perdre et elle va le faire encore une fois en Egypte. * Avez-vous déjà connu l'ambiance du Cairo Stadium en tant qu'entraîneur ? Non, jamais ! Mais je ne crois pas qu'elle puisse être très spéciale. C'est comme partout dans le monde, il y a la ferveur dans les gradins, mais tout se décidera sur le terrain. * Croyez-vous les joueurs algériens sont capables d'évacuer toute la pression qui va entourer le match ? Les joueurs de l'équipe d'Algérie jouent tous dans les grands clubs européens, ils sont donc habitués aux matchs à grand enjeu et à la pression qui les entoure. Il ne faut pas s'imaginer que tout d'un coup, ils seront détraqués par les chants du public, un joueur expérimenté ne se rendra même pas compte des cris émanant des tribunes. * Une cascade de blessures frappe l'équipe d'Algérie. Faut-il changer tout le dispositif à cause des éventuels absents ? C'est difficile de vous répondre parce que je ne dispose pas d'assez d'informations comme par exemple le positionnement des joueurs qui devront remplacer les blessés ou la gravité des blessures. Mais je suis convaincu que M. Saâdane saura trouver les solutions qu'il faut pour proposer un dispositif capable de permettre à l'Algérie d'arracher la qualification. * On sait que vous êtes un admirateur du football algérien. Quel message adressez-vous aux Algériens à quelques jours du match Egypte-Algérie ? Ils doivent être fiers de leur équipe qui s'apprête à se qualifier en Coupe du monde pour la troisième fois de son histoire. En Afrique du Sud, je serai l'un des supporters de l'équipe d'Algérie. Entretien réalisé par Mohamed Saâd