Entretien avec Abdelkader Djeflat, économiste et membre du réseau Maghtech Propos recueillis par Malak Farah Abdelkader Djeflat, économiste, membre du réseau Maghtech et Professeur de sciences économiques à l'Université de Lille, vient de sortir à Londres (Royaume Uni) un livre en anglais sur le Maghreb et l'Algérie intitulé «Building Science, Technology and Innovation Systems in Africa: Expériences from the Maghreb», édité par Adonis & Abbey et qui verra le jour en 2011 en Algérie. Il revient sur le rôle de la «diaspora» en Algérie et dans le Maghreb notamment en matière d'économie et de technologie, dans cet entretien accordé au quotidien «Le Financier». Le Financier : Vous venez de sortir un livre sur le Maghreb et l'Algérie, le 16 juin dernier à Londres. Pourriez- vous nous résumer brièvement son contenu ? L'ouvrage est intitulé «Building Science, Technology and Innovation Systems in Africa: experiences from the Maghreb». Comme l'indique le titre, l'ouvrage traite en fait, toute la question des politiques scientifiques et technologiques et leurs liens avec le développement et les difficultés que cela a causé aux pays du Sud. Il met l'accent sur la question de construction des systèmes d'innovation, comment ces systèmes ont fonctionné, ainsi que les problèmes et les difficultés rencontrés. Il retrace, par ce biais, les grandes étapes par lesquelles cette problématique a évolué. Depuis les préoccupations initiales de choix technologiques et de stratégie jusqu'à la question de l'économie de la connaissance Le Financier : Vous n'êtes pas à votre premier ouvrage. Pourquoi un livre sur le Maghreb et l'Algérie maintenant ? Non ce n'est pas le premier ouvrage : c'est en gros le quatorzième, si on intègre les ouvrages collectifs et le quatrième ouvrage individuel. Les ouvrages collectifs ont été produits essentiellement dans la collection Maghtech. Un ouvrage sur le Maghreb et l'Algérie maintenant c'est d'abord pour pallier à l'absence spécialisation sur ces questions de science, technologie et innovation, c'est également du au défis que pose la mondialisation à la question du développement et qui place la technologie, le savoir et l'innovation au cœur de ces processus. Enfin, il faut noter que depuis quarante ans, c'est la première fois où on voit un intérêt effectif des décideurs publics sur ces questions de technologie, d'innovation, d'économie de la connaissance dans ces pays. Cet engouement nécessite d'être accompagné de réflexions de travaux universitaires et l'ouvrage se veut une modeste contribution dans cette direction. Le Financier : Vous participez à plusieurs activités mettant en avant le Maghreb et l'Algérie. Serait-il possible de les faire connaître ? Les activités sont multiples de même que les cadres dans les quels elles se font. Tout d'abord le réseau Maghtech que je coordonne est déjà orienté Maghreb comme son nom l'indique. Dans ce cadre, il y a plusieurs activités organisées quasiment en permanence comme les séminaires hebdomadaires du Mardi, organisés à Lille et un flux permanent de chercheurs venant des Universités des différents pays du Maghreb, la majorité des Universités algériennes, pour exposer leurs travaux sur des questions économiques intéressant la région. Il y a également les rencontres organisées avec des équipes de recherche dans les pays en question, auxquelles je participe souvent. Il y a aussi les travaux et publications dans différents supports internationaux dans les pays du Maghreb, mais également à l'étranger. C'est dans ce cadre que des publications collectives, publiées à l'International : le réseau Maghtech a, à son actif, 8 ouvrages et des centaines de travaux faits dans ce cadre. Enfin je participe dans des cercles d'excellence en matière de recherche, comme le réseau Globelics dédié à promouvoir l'innovation pour le développement, dont je suis membre du Comité scientifique et où je suis le seul Maghrébin et Arabe à évoquer l'intégration des préoccupations de la région Maghreb dans ses programmes. Le Financier : Dernièrement votre Master à l'Université de Lille a été classé parmi les dix premiers. Peut-on connaître ce Master et son contenu ainsi que son utilité ? Il a effectivement été retenu dans le Palmarès des dix meilleurs Masters en France en Management de Projet. Ce Master intitulé ingénierie des Projets de Coopération (IPC), que je dirige depuis une douzaine d'années a pour objectifs de former des spécialistes de montage de suivi et d'évaluation des projets. Dans le cadre de la coopération et en particulier des institutions décentralisées : collectivités locales et territoriales, ONG et associations, entreprises ou autre institutions (hôpitaux, etc.). Le constat qui a été fait les années 80 est que des volumes d'aide de coopération importants sont consacrés, mais avec très peu d'impacts sur les populations du Sud et sur le développement d'une manière générale, souvent par absence de compétences et d'expertise d'accompagnement. C'est cette expertise qui est fournie par la Master. Il donne des outils et des savoir faire, mais pas seulement, il inculque un état d'esprit qui est d'arriver à un véritable partenariat avec les bénéficiaires et des transférer les projets et les savoirs et savoir-faire aux bénéficiaires. Le Financier : Dans le cadre de ce Master, des projets sont initiés avec les pays du sud. Peut-on en savoir plus ? Les projets multiples et variés qui vont depuis des tous petits projets destinés à promouvoir l'éducation, fournir des médicaments ou équiper des bibliothèques scolaires, jusqu'aux méga projets, touchant la restructuration de système de collecte et traitement de déchets dans des villes moyennes et villages, mise en place de structures d'accueil des enfants des rues , souvent abandonnés par tous et leurs réinsertions, apprentissages de nouvelles techniques agricoles dans des zones reculées de certains pays, développer des circuits de tourisme durable ou de commerce équitable etc. Mais de plus en plus les projets dits économiques sont en train de prendre une importance particulière dans le domaine de la création de nouvelles activités pour l'emploi des jeunes en chômage, promouvoir l'emploi féminin, développer des sources alternatives de financement, comme la micro - finance ou des activités de luttes contre la pauvreté. Le Financier : Comment sont financés ces projets ? Les financements sont souvent multiples : souvent des fonds des collectivités locales et territoriales, la participation des budgets des Etats, dans le cadre des aides bilatérales, mais également des fonds européens (FSP au autres) et d'autres Institutions multilatérales, des Fonds de grandes ONG, des Fonds privés sont également mobilisés, des budgets des Collectivités et des Etats bénéficiaires etc. Le Financier : Vous prévoyez la sortie de votre ouvrage en Algérie. Quand verra-t-on ce dernier né dans les librairies algériennes ? L'ouvrage devrait sortir en Algérie au cours du premier semestre de l'année 2011, des négociations sont en cours pour une diffusion nationale, voir une coédition avec l'éditeur Britannique. Il peut bien entendu être commandé directement chez l'éditeur Adonis & Abbey http://adonisandabbey.com/index.php?id=1) en attendant. Il faut signaler qu'il y a un lectorat anglophone de plus en plus important en Algérie : formations dans le monde anglo-saxon ou au Moyen Orient ou autodidacte. Il y a également la prise de conscience progressive que sans la maîtrise de l'anglais, on reste limité dans le domaine de la recherche, ce qui pousse beaucoup d'universitaires à apprendre la lecture. Le Financier: Sera-t-il distribué dans d'autres pays ? Tout à fait, étant écris en langue anglaise, beaucoup de pays anglophones qui ne voient pas beaucoup de travaux sur la région Maghreb sont intéressés. En plus des pays du Commonwealth, il faut ajouter le Moyen Orient où beaucoup d'Universités sont anglophones et ont besoins de documents et travaux sur la sous - région. Il y a déjà plusieurs demandes exprimées dans ce sens. Et bien entendu les Etats Unies et le Canada. Mais des Institutions internationales y sont intéressées et peuvent en promouvoir la diffusion. Le Financier : Un autre projet de livre ou autres travaux en gestation ? Et qu'elles seront les échéances pour leurs concrétisations ? Un ouvrage équivalent de l'ouvrage en anglais et en français qui reprend l'expérience et les travaux des vingt dernières années sur les questions de technologie et développement. L'ouvrage sur l'économie de la connaissance, cas de l'Algérie, déjà publié (Dar El Adib 2006) est en voie d'être réédité et mis à jour pour une diffusion plus large. C'est le seul ouvrage dans le domaine à l'heure actuelle en Algérie. Une traduction en arabe est également en cours pour les nombreux lecteurs arabophones. Enfin un ouvrage collectif de l'équipe CREAD que je dirige fruit d'un projet de recherches qui vient d'être bouclé. Le Financier : En tant que membre actif de la diaspora algérienne à l'étranger, comment évaluez- vous aujourd'hui l'apport de cette diaspora et surtout la politique mise en place par les pouvoirs publics en Algérie dans ce sens ? Je n'aime pas beaucoup le terme Diaspora, mais il semble être le plus largement compris. Je pense que nous avons pris beaucoup de retards en Algérie, dans le sens de la mobilisation de réservoir phénoménal de compétences et savoir-faire. Mais des petits pas sont en train d'être accomplis. Le nouveau secrétariat d'Etat dédié à la question, y contribuera certainement. Il faut néanmoins éviter les manifestations sans lendemain, comme on l'a vu par le passé. C'est un travail de longue haleine de type incrémental pour pouvoir surmonter les nombreux écueils qui existent dans le sens de cette mobilisation. Ces écueils ne sont, d'ailleurs pas propres à l'Algérie : l'Inde, par exemple, les a connus au début de la mise en place de programmes de mobilisation de ses compétences à l'étranger, mais a su intelligemment les surmonter. Il faudra regarder de prêt ces expériences et s'en inspirer. Il y a bien entendu des aspects propres à l'Algérie, à son histoire récente, notamment ce qui est appelé la tragédie nationale et les problèmes politiques, que cela pose par rapport à la question de mobilisation de cette diaspora. L'avantage dans notre cas, c'est d'avoir une masse de compétences pour la plupart largement engagées à contribuer au développement national et qui n'a pas besoin d'être sensibilisées. C'est un atout à ne pas négliger. Je pense qu'il faut une nouvelle politique vigoureuse de mobilisation. Il faut saluer les initiatives prises ici et là par des groupes et des associations. Elles sont à encourager.