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Entretien avec Abdelkader Djeflat, économiste, professeur à l'université de Lille et Coordinateur du réseau Maghtech : «Dans huit ans, l'Algérie pourrait atteindre 80.000 entreprises innovantes»
Propos recueillis par Malah Farah Si l'Algérie met les bases d'un processus d'innovation, elle pourrait atteindre 80.000 entreprises innovantes d'ici huit ans au plus, mais elle n'en est qu'au stade d'avant projets de textes de Lois et devra trouver un véritable produit de financement des entreprises dans leur démarche, Recherche & Développement (R & D), a indiqué au quotidien «Le Financier», lors de son passage à Alger, Abdelkader Djeflat, Economiste algérien et professeur à l'Université de Lille, sans oublier qu'il a été le chef de fil de l'équipe qui a mené l'étude sur le système national d'innovation. Le Financier : Vous avez été l'un des acteurs de l'étude menée sur le système national d'innovation par les Autorités algériennes. Pourquoi cette étude ? Abdelkader Djeflat : L'étude relative au système national d'innovation, relève d'un constat. Les pays de la région, sans parler des pays très avancés ou des pays émergents ont fait un maping qui est une cartographie globale et comment, tous ces acteurs s'articulent pour pouvoir jouer un rôle fondamental dans la question de l'innovation. Ils ont mis en place leur système national d'innovation respectif. Un système national d'innovation ne veut pas dire des Institutions cote à cote. Il s'agit d'un processus très coordonné où tous les acteurs auront été identifiés, chacun à son rôle et sont tous intégrés dans une même logique. Or le constat qui a été fait, y a trois ans, l'Algérie n'a pas ce système. Comment est venue l'idée d'une telle étude ?
Dans le programme MEDA 2 (mise à niveau des PME), y avait une offre de service lancée par l'Europe pour promouvoir l'innovation en Algérie. Comme y a eu cette ligne de crédit et comme l'expertise est disponible, puisque cela fait 20 ans que je travaille sur la question de l'innovation et bien évidemment, je ne suis pas le seul. Je suis d'ailleurs venu sous le chapeau d'expert européen. Un français, spécialisé dans le système mécanique, et une autre experte algérienne ont été associés à ce projet durant près de neuf mois. Le projet était coordonné, côté européen, par un bureau français. Nous avons donc travaillé en interaction avec le ministère de l'Industrie et de la promotion de l'investissement (actuellement Ministère de l'Industrie, de la PME et de la promotion de l'investissement). Le premier souci était de trouver tous les acteurs pertinents de ce système et là, en faisant la première cartographie nous nous sommes aperçu qu'une bonne partie de ces acteurs étaient out, complètement à l'extérieur du système. Quels sont les acteurs de ce système ? Il s'agit, comme partout, d'acteurs institutionnels qui sont les ministères directement concernés comme celui de l'Industrie, de la PME et les ministères sectoriels comme celui de l'Agriculture, les opérateurs, les Centres de recherches, les Universités, toutes les Agences de facilitation du genre de l'ANVREDET (Agence Nationale de Valorisation des Résultats de la Recherche et du Développement Technologique) et les centres techniques. A partir des expériences des autres, nous avons tiré trois ou quatre leçons majeures. Premièrement, nous n'avons pas fait d'innovation, quasiment au plan politique, depuis l'indépendance du pays. On (l'Etat) a investi dans la recherche, mais y a eu une grande incompréhension en pensant qu'en mettant des masses d'argent dans la recherche on arriverait à faire de l'innovation. Il fallait une optique de l'innovation. Pourquoi ? C'est parce que l'entreprise qui est le lieu central de l'innovation doit être impliquée pleinement dans ce processus. Qu'est-ce qui a empêché l'entreprise de s'impliquer dans ce processus d'innovation ? Il faut dire qu'il y a eu trois raisons. Dans un premier temps, l'entreprise était plus orientée à produire pour répondre à la demande immédiate. L'innovation était un besoin secondaire. Deuxièmement, elle était préoccupée par le transfert de technologie et de maîtriser ce qu'elle avait acquis. On sait que la maîtrise technologique a été difficile auprès de nos entreprises. Y a eu beaucoup d'écrits sur ça. Deuxièmement, au niveau des décideurs publics, il fallait accélérer les choses en investissant en masse et pour enfin, une large part est due à un manque de sensibilisation sur l'innovation. Les entreprises étaient plus préoccupées par des problèmes comme la plomberie, de tuyauterie ou autres mais cela n'empêche pas l'innovation. L'idée de l'innovation mûrissait chez nous au même moment qu'en Inde, mais nous n'avons pas mis en ouvre le processus.
L'Inde, avec peu de ressources, s'est lancée dans l'innovation mais pas l'Algérie. Pourquoi ? Premièrement, «nécessité est mère d'invention», le fait que ce pays ait peu de ressources et une population d'un milliard, il fallait faire travailler les méninges. Deuxièmement, l'Inde a été dans une logique de marché dès le départ. Il devait conquérir des parts de marché dans plusieurs secteurs, car c'était le seul moyen de faire rentrer des devises et devenir solvable. Troisièmement, ce pays a misé beaucoup sur le système éducatif, car l'école a une place exceptionnelle et une classe intellectuelle exceptionnelle dont une partie date de l'époque de l'occupation, qui a fait que ce système éducatif hors paire a permis aux indiens d'avoir une masse des compétences à portée de main et stables. La question est comment ils ont réussi à remobiliser leurs compétences, diaspora à l'extérieur. Ils (indiens) ont fait une approche stratégique phénoménale. S'ils sont maintenant dans des secteurs de pointe, c'est parce qu'ils ont pu intelligemment rappeler et associer cette diaspora. Je ne citerai pas le cas du Bangalore (Inde) qui est la copie conforme de la Silicone Valley (Etats Unis), depuis y a eu plusieurs Vallées. L'Inde a eu cette vision pour se projeter à devenir une puissance à l'horizon 50 comme les Malaisiens.
Est-ce que l'Algérie ne possède pas cette vision ? Lorsque personnellement, je mesure le chemin parcouru par l'Algérie, je pense qu'il y a un grand pas qui a été fait. Lorsqu'aujourd'hui on parle de texte de très précis, sur comment valoriser, comment créer une Agence de l'innovation. C'était inimaginable y a dix ans. De plus, nous avons le couteau sous la gorge, tout le monde réalise que l'après pétrole existe, malgré l'embellie pétrolière, il faut penser à des ressources renouvelables qui est le capital humain. L'Economie fondée sur la connaissance (EFC), est cette vision de comment remobiliser de manière intelligente, intégrée et à long terme notre capital humain. Cependant, le plus difficile reste comment résorber le retard accumulé. La dotation de l'Etat pour la formation du capital humain est conséquente mais il faudra le triple pour rattraper le retard des années 90, mais aussi celui des années qui ont suivi car on (Etat) a eu à investir dans l'infrastructure qui est une nécessité, car là aussi y a eu un retard extraordinaire. Mais je crois que si l'investissement sur l'infrastructure doit continuer, ce qui est certain c'est sur l'infrastructure humaine. L'Algérie a des velléités d'être dans l'OMC (Organisation mondiale de commerce) et d'intégration dans des zones de libre échange, dont celle de l'Europe, et donc on ne peut être dans une Organisation mondiale sans développer une vision. D'ailleurs, la révision de l'Accord d'association avec l'UE prouve que la réalité nous impose de s'inscrire dans une vision. De plus, certains groupes d'influence qui s'organisent pour amener une prise de décision comme l'exercice d'A2T2 qui doit se démultiplier dans la Société civile ainsi que les Associations professionnelles qui puissent prendre en charge ce dossier de vision.
Quel est le défi à relever pour l'Algérie ? Le grand défi auquel l'Algérie devrait faire face est celui de la relève. Comment passer la responsabilité au secteur privé, qui devra prendre en charge l'innovation qui devient dans sa perception une véritable source de création de richesse et de bénéfice. Il ne suffit pas d'avoir des plans sur comment l'Etat devra investir. En France, il existe sept mécanismes de soutien à l'innovation pour l'entreprise, ce qu'on n'a pas ici. Le ministère a soumis des avants projets de Lois sur l'innovation dernièrement au Gouvernement. Peut-on dire que l'Algérie a ainsi mis les bases vers une vision à long terme en matière d'innovation ? Ce qui vient d'être fait est en fait les conclusions de l'étude. J'exprime ma satisfaction car souvent les résultats des études chez nous restent dans les tiroirs pendant longtemps. L'agence de l'innovation a été proposée dans le cadre de l'étude. L'existence de cette agence interface était nécessaire. Les CTI (Centres Techniques à l'Innovation) existaient en minorité, et l'étude a proposé de les généraliser à des secteurs industriels. Il faut dire que la petite expérience que nous avons eue des CTI était positive même si certains ont été dévoyés de leur fonction initiale. S'agissant des mécanismes financiers, c'est une décision prise par le ministère. Il est vrai que si on n'accompagne pas les entreprises dans leur démarche de Recherche & Développement (R & D), dans leur protection de leurs innovations même si elles n'ont pas la garantie d'innover, mais elles auront la maturité de projets latents qu'elles hésitent à présenter, auront donc un incitatif. Vous avez parlé des Banques qui sont complètement out du processus innovation. Pourriez- vous expliquer leur rôle du capital risque? En effet, notre étude exploratoire à travers la quinzaine de cas examinés, l'accompagnement avec ce capital risque est toujours présent soit c'est un accompagnement de l'Etat pendant un certain temps, mais il ne peut pas être éternel. L'accompagnement public financier existe même aux Etats Unis ; l'Etat est toujours présent notamment sur des secteurs stratégiques. Mais, seulement y a cette logique de faire passer la responsabilité au capital risque. Partant du fait que ça existe partout, cela devient un élément essentiel, car on ne peut faire de l'innovation s'il n'y a pas ce capital risque. Peut être pas pour toutes les entreprises mais pour une partie d'entre-elles, comme pour les Start-Up, des entreprises ayant des projets innovants d'une certaine taille. Ce n'est pas le système bancaire conventionnel et classique qui fait ce genre de produit. Citons le cas de la France, par exemple, elle est un grand retardataire en matière de capital risque. Là-bas, on s'est mis à faire dans le capital risque que depuis une quinzaine d'années par rapport au Japon, aux Etats Unis. Les anglo-saxons sont par contre très en avance. En Algérie, faire basculer du jour au lendemain les banques dans ce genre de financement est difficile. Il faudra vraiment penser à ces fonds de financement. Il y a la FINALEP en Algérie, mais c'est peu par rapport à la demande potentielle latente. Cette demande latente est elle quantifiée aujourd'hui ? Si on prend les progrès des tunisiens, à titre d'exemple, qui sont passés de 6% d'entreprises privées innovantes à 15 voire 18%. Si nous considérons le tissu d'entreprises en Algérie, 18% des 400.000 entreprises, nous avons un potentiel de plus de 350 qui seraient demandeurs de fonds. C'est juste une idée de la demande. Les tunisiens sont ambitieux, car ils visent 50% des entreprises qui seraient innovantes entre 2015 à 2020. Si on transposait ces proportions, l'Algérie pourrait atteindre 200.000 entreprises innovantes après 2020, mais restons modestes avec 20% dans les sept à huit ans pour atteindre 75 à 80.000 entreprises innovantes. Nous sommes encore qu'aux textes qui sont négociés. Bio-express Professeur d'Economie à l'Université d'Oran Es-Sénia, où il a enseigné l'Economie et le Management pendant plus de 20 années, il est en poste à l'heure actuelle à la faculté de l'Université de Lille1 (USTL). A fondé la première unité de recherche en Algérie sur les questions de transfert de technologie affiliée au CREAD (Centre de Recherche en Economie Appliquée). A partir de 1994, a fondé le réseau de recherche sur la Science et la Technologie dans le développement appelé MAGHTECH (Maghreb Technologie) dont il est le Coordinateur et le Président du Conseil Scientifique depuis sa création. A publié près de 70 articles sur ces questions, et plusieurs ouvrages : notamment -«Industrialisation et transfert de technologie dans les PVD», (en collaboration avec Fatma Zohra Oufriha, la première femme économiste en Algérie), «Technologie et système éducatif en Algérie», Unesco-Cread, «L'Algérie : des Principes de Novembre à l'Ajustement Structurel», Codesria/Karthala. A également coordonné plusieurs ouvrages collectifs dans le cadre du réseau Maghtech.