La démarche adoptée par l'Algérie à l'égard de la crise malienne s'explique par son «pragmatisme» et ses «principes», tandis que les Etats-Unis souhaiteraient lui faire jouer «un plus grand rôle régional» dans cet échiquier, selon un des experts des plus réputés aux Etats-Unis dans les questions de l'Afrique du nord, M. Geoff Porter. Dans une analyse publiée par le quotidien électronique américain Huffington Post, M. Geoff Porter, qui dirige la société «'North Africa Risk Consulting», spécialisée dans l'analyse des risques politique et sécuritaire en Afrique du Nord, essaie d'expliquer non seulement les raisons de la position algérienne dans le dossier malien mais aussi les motifs pour lesquels les Etats-Unis perçoivent l'Algérie comme un «partenaire régional potentiel» pour faire face à l'instabilité dans certaines parties de l'Afrique du Nord et au Sahel. A ce propos, il soutient que «l'Algérie est devenue un élément important de la politique étrangère américaine» dans cette partie du continent africain. Dans ce sens, il rappelle qu'à l'Assemblée générale de l'ONU, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton avait déclaré, en septembre dernier, que le groupe responsable de l'attentat contre le consulat américain à Benghazi pourrait avoir des liens avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui contrôle une grande partie du nord du Mali. Pour M. Porter, qui enseigne également au Centre de lutte contre le terrorisme de l'Académie militaire de West Point (New York), si cette hypothèse se confirmait, cela signifierait que le sanctuaire d'AQMI dans le nord du Mali alimenterait le terrorisme djihadiste en Libye, alors que l'Algérie, géographiquement, «se trouve en plein milieu.» Allant plus loin dans son analyse, il cite les raisons pour lesquelles les Etats-Unis voient en l'Algérie le pays idoine pour lutter plus efficacement contre l'instabilité dans la région. Dans ce sens, il énumère les atouts particuliers dont dispose l'Algérie en citant, tout d'abord, la géographie, rappelant que depuis la sécession du Soudan, l'Algérie est devenue le plus grand pays d'Afrique et le 10ème plus grand pays dans le monde, tandis qu'elle partage avec le Mali une frontière de plus de 1.300 kms. «En plus d'être vaste, l'Algérie est riche», note M. Porter qui précise que dans le classement 2012 des pays en matière des réserves de change, l'Algérie occupe la 12ème place mondiale avec 200 milliards de dollars, et une dette extérieure de seulement 4 milliards de dollars, soit 3% du PIB. Soulignant que les grosses recettes des hydrocarbures permettent d'appuyer l'économie nationale et, aussi, d'acheter des armes, il indique que l'Algérie se classe 16ème au monde pour les dépenses de défense en terme de taux de pourcentage au budget de l'Etat, et dépense annuellement, en défense, plus que le Pakistan ou l'Irak. L'autre grand atout dont dispose l'Algérie et qui pèse dans la perception des Etats-Unis pour la région est le fait que «l'armée algérienne est également aguerrie après avoir combattu une insurrection islamiste sanglante dans les années 1990», affirme l'expert américain. L'Algérie, ajoute-t-il, «a non seulement fait face aux menaces de la guérilla conventionnelle, mais elle a contré le terrorisme d'AQMI et de ses prédécesseurs. Et elle l'a fait avec succès en réduisant l'AQMI, en Algérie, à une organisation inefficace». En plus d'être «un grand et riche pays avec une puissante armée qui a une expérience dans la lutte contre le terrorisme, l'Algérie est encore plus attrayante pour les Etats-Unis comme un partenaire potentiel régional, car elle a traversé d'une manière stable les événements du Printemps arabe», constate M. Porter. Bouleversements politiques dans les pays arabes en 2011 Pour l'auteur de cette analyse, «en dépit ou à cause de tous ces attributs qui caractérisent l'Algérie, les Etats-Unis ne seront probablement pas capables d'enrôler l'Algérie pour éradiquer AQMI dans le nord du Mali et lutter contre les groupes djihadiste en Libye». Les raisons de cette position de l'Algérie, déduit-il, «vont de l'idéologie au pragmatisme». Il explique alors que «le principe de non-ingérence est au cœur de la politique étrangère de l'Algérie» et que cette règle avait été invoquée lors du soutien de l'OTAN à la rébellion en Libye: «L'Algérie n'était pas une amie du régime d'El Gueddafi, mais la non-ingérence est sacro-sainte, et l'Algérie a exprimé son opposition à l'intervention étrangère», rappelle-t-il. Même si l'Algérie s'est opposée à une intervention étrangère, «elle espérait que la Libye allait faire une transition rapide vers un régime démocratique stable, tout en sachant que ce pays tomberait probablement dans l'instabilité et que les armes sortant de la Libye se retrouveront entre les mains d'AQMI», insiste-t-il. Pour le même expert, «l'Algérie tient l'OTAN pour responsable de l'instabilité qui l'entoure actuellement et elle ne considère, donc pas, comme étant de sa responsabilité de nettoyer le gâchis dont elle n'est pas l'auteur»'. Sur ce point, il observe que l'Algérie souscrit à la règle dite de «Pottery Barn», c'est-à-dire que celui qui casse doit payer, évoquée, rappelle-t-on, par l'ex secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, pour mettre en garde George W. Bush des conséquences de la guerre contre l'Irak en 2003. De surcroit, analyse M. Porter, «le refus de l'Algérie à affronter directement la situation au Mali et en Libye est aussi, en partie, tiré de son expérience au cours des années 1990». Pour cet expert, «l'Algérie estime que c'est seulement après les attentats du 11 septembre 2001 que les Etats-Unis avaient reconnu les difficiles défis auxquels l'Algérie avait fait face durant sa lutte contre le terrorisme». Et d'ajouter: «Les Etats-Unis étaient à 10 ans de retard en 2001 et ils sont, actuellement, à 20 ans de retard pour venir demander l'aide d'Alger pour la Libye et le Mali». Qui plus est, argumente-t-il, l'Algérie a autant d'inquiétudes au sujet de ses diplomates enlevés en avril dernier au Mali par une branche de l'AQMI, qu'elle a déjà eu l'expérience de la perte de vies au sein de son corps diplomatique lorsque Al-Qaïda en Mésopotamie avait assassiné deux diplomates algériens en Irak en 2005. «L'Algérie est favorable à la nécessité de capturer les responsables de l'attaque du consulat américain de Benghazi, mais elle est également consciente que ses propres diplomates sont encore en danger», relève-t-il. A partir de cette analyse et de ces faits, M. Porter considère que l'une des conséquences de la colonisation française et de la situation vecue pendant les années 1990 est que «l'Algérie a appris à être véritablement indépendante et elle a adopté, depuis, l'attitude d'une forteresse». Certes, souligne-t-il, ‘de mauvaises choses peuvent arriver de l'autre côté de la frontière, mais la priorité de l'Algérie est de les tenir à l'écart. Et les Etats-Unis disposent de peu de leviers pour attirer l'Algérie au-delà de ses frontières». Rachida T.