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«Les salaires ne sont pas à l'origine de l'inflation»
Publié dans Le Financier le 04 - 12 - 2009

Dr Abderrahmane Mebtoul / Expert International – Economiste
1.-Mon ami, le professeur Ahmed BOUYACOUB, un éminent économiste algérien, m'a fait l'honneur de me transmettre des remarques pertinentes à propos de mes contributions sur le thème de la répartition du revenu, l'inflation et le pouvoir d'achat des Algériens, parues dans El Watan , El Khabar, le Quotidien d'Oran, le Financier, Maghreb Economie, la Nouvelle République, différents interviews dans Chourouk, les sites Alter Info et Focus Algérie..
Il souligne, à juste titre, l'importance de l'inflation dans le mécanisme de la régulation, et que toutes les études faites jusqu'à présent montrent que l'inflation en Algérie n'est pas d'origine salariale, notre pays ayant le taux de salaire le plus faible du MENA (rapport entre masse salariale et PIB avec et sans hydrocarbures). Regrettant par ailleurs certaines estimations de l'inflation par des organismes étrangers qui ne seraient pas crédibles, et pour une analyse objective, ce qu'il faut dans le domaine de l'inflation notamment, il propose un observatoire des prix et une révision du panier des prix de référence de l'inflation, certes avec des partenaires étrangers- mais qui seraient encadrés- par des experts nationaux. Je partage évidemment ses analyses, je voudrai apporter les précisions suivantes :

2.-Je crois avoir démontré -dans mes différentes contributions- la contribution citée, que les salaires sont loin d'être à l'origine du processus inflationniste en Algérie, si l'on s'en tient aux données de l'ONS et donc, je partage le point de vue du Professeur Ahmed BOUYACOUB- que la raison principale est la faiblesse de la régulation d'ensemble -amplifiée par l'inefficacité de la dépense publique. Pour preuve, la dépense publique qui sera clôturée entre 2004/2009 à plus de 200 milliards de dollars US, n'est pas du tout proportionnelle aux impacts économiques et sociaux, croissance moyenne inférieure à 3% alors qu'elle aurait dû être de 7/8%, les segments hors-hydrocarbures, souvent invoqués par les officiels, étant eux mêmes irrigués par la dépense publique via les hydrocarbures comme en témoignent les moins de 3% d'exportation hors-hydrocarbures. Car, les infrastructures ne sont qu'un moyen accessoire du développement et les expériences négatives de l'Espagne et la semi faillite récente de Dubaï doivent faire réfléchir le gouvernement algérien. Cependant, je maintiens -effectivement- du fait du non-maîtrise de la régulation, et donc au manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique , une augmentation inconsidérée, comme mis en relief précédemment, risque de mettre en péril les PMI/PME qui ne peuvent supporter une trop grande augmentation, constituant la majorité du tissu productif et les orienter la sphère informelle, d'accélérer l'importation du fait de la faiblesse de la production locale et d'accentuer le processus inflationniste, du fait d'effets psycho sociologiques mis en relief nettement par l'économiste Keynes (effets cumulatifs d'anticipation). Or, l'inflation joue en Algérie comme vecteur de concentration de revenus au profit des revenus variables spéculatifs et non des entrepreneurs mus par le réinvestissement de leurs profits. Et c'est pourquoi j'ai proposé une augmentation du SMIG ne devant pas dépasser 5.000 dinars.
Mais, je l'ai souligné. Outre la dynamisation de l'entreprise créatrice de richesses en levant les contraintes d'environnement dont le terrorisme bureaucratique, l'adaptation du système socio-éducatif, le foncier et le système financier sclérosé, deux segments doivent retenir l'attention, à savoir l'éducation et la santé -pouvant être des cas spécifiques-, l'augmentation des salaires du secteur économique devant être liée à la productivité du travail. Je souhaiterai de tout cœur que le SMIG soit triplé. Mais, hélas, dans les conditions actuelles, cela est impossible.
3.-Certes, les salaires comme l'atteste sa baisse vertigineuse dans le produit intérieur brut depuis 20 ans actuellement inférieur à 20% contre une moyenne de plus de 50% dans les pays développés et pays émergents, oubliant que le salaire est créateur de valeur, n'est pas la cause fondamentale de l'inflation comme nous l'avons montré -chiffres à l'appui-. Par ailleurs, dans le cadre d'un audit que j'ai eu l'honneur de diriger pour le compte des pouvoirs publics entre 2006/2007 (1). C'est surtout l'envolée des dépenses improductives et le gaspillage des ressources financières et de surcroît, comme j'ai attiré souvent l'attention des pouvoirs publics, n'existe pas une véritable politique salariale en Algérie qui privilégierait l'intelligence et le travail, mais des distributions de rentes. Le professeur Mohamed MUZETTE, dans une contribution parue dans El Watan sur ce sujet -du 01 décembre 2009- confirme cette tendance. Je le cite « une récente étude sur le marché du travail en Algérie (2009) indique que l'évolution de la Rémunération totale des salariés (RS) s'est caractérisée par une baisse tendancielle de son poids dans le Revenu national disponible (RND). La baisse, de près de 6 points de pourcentage entre 2001 et 2006, a bénéficié à l'excédent net d'exploitation, qui constitue la rémunération du capital, dont la part dans le RND a progressé de près de 10 points de pourcentage, pour se situer à 66% du RND. Par rapport au produit intérieur brut (PIB), les proportions de la RS sont de 23% et 17,7% respectivement en 2001 et 2007. A titre de repère, ce ratio était de près de 50% en 2005 pour toute la zone euro (moyenne). De même, le poids des revenus salariaux dans le revenu brut des ménages (RBM) est aussi sur une tendance baissière (35,5% en 2001 et 34,5% en 2006), baisse qui a profité aux indépendants dont poids des transferts monétaires est resté stable à un peu plus de 20% ».
4.- Effectivement, faute d'enquêtes précises renvoyant hélas au système d'information, surtout sur la répartition du revenu par couches sociales déterminantes pour toute politique salariale fiable, information qui s'est totalement effritée en Algérie -pouvant conduire à des erreurs de politique économique- se chiffrant en milliards de dollars, il faut effectivement être nuancée. Mais existent des signes non-trompeurs à travers tout le territoire national, de la concentration de revenus au profit d'une minorité de couches rentières et une paupérisation de larges couches de la population. Cela est atténué tant par le poids de la famille et, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) , de la sphère informelle jouant comme soupape de sécurité -employant selon la déclaration récente du Ministre du travail entre 25*/30% de la population active en 2009-, ainsi qu'une redistribution passive de la rente à travers des actions de solidarité des transferts sociaux qui sont évalués par le gouvernement à la somme faramineuse de 10% du PIB entre 2007/2009, qui ne profitent pas toujours aux secteurs inducteurs et aux plus défavorisés, renvoyant à l'absence d'enquêtes ciblées.
5. Comme il est indéniable ayant des contacts avec des amis professeurs tunisiens et marocains, en termes de parité de pouvoir d'achat, le salaire net est d'environ 1/3 de l'Algérien par rapport à ces deux pays pour les enseignants en fin de carrière et un quart du fait que le salaire en retraite représente 80%. En plus, les enquêtes montrent que les universitaires en général sont attentifs à leurs salaires reconvertis en dollars et en euros étant une des causes, mais pas la seule, car existe l'exigence de libertés et la considération, parfois beaucoup plus importantes, de l'exode de cerveaux et il serait maladroit de la part du gouvernement de pratiquer la division entre les cadres locaux et les cadres émigrés, car ces derniers sont attentifs à la situation locale avant de vouloir revenir. Et cette bicéphalisation risque de pousser encore plus à l'exode.
6.-Il me semble qu'il faille, car comme l'a montré le grand économiste polonais KALECKI, dans la dynamique de la croissance de différencier le salaire appliqué à la création de valeur du traitement(T) -qui constitue un transfert de valeur-, encore que les travaux du PNUD sont plus fins à propos de l'indice du développement humain, les traitements de l'éducation et la santé contribuant à terme à la création de valeur. Nous aurons alors dans le modèle dynamique amélioré de Kalecki T1 (éducation/santé essentiellement) et T2, ce dernier devant être limité au maximum, car constitué en majorité de ce que les marxistes appellent des emplois improductifs, encore qu'avec les services qui deviennent de plus en plus marchands, la dichotomie emplois productifs/improductifs traditionnelle doit être dépassée. Pour le cas Algérie, la problématique des salaires ne peut être isolée de la réforme globale en incluant l'approche institutionnelle, et cela renvoie au concept de bureau de Max Weber nécessaire dans toute économie, mais dans un sens négatif en Algérie- car destructeur de richesses- s'autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Et nous revoilà au fondement du système rentier au sens toujours négatif, car la rente peut-être une bénédiction ou une malédiction, voir le déclin de l‘Espagne pendant plus de deux siècles après l'épuisement des découvertes d'or et la rente agricole comme nous l'enseigne l'expérience des pays capitalistes, qui a permis par la suite une dynamique de développement.

7.- Je remercie encore le professeur Ahmed BOUYACOUB de ses remarques pertinentes, car le plus grand ignorant étant celui qui prétend tout savoir, nous avons besoin de débats contradictoires sur ce sujet capital pour l'avenir de l'Algérie. Je ne saurai insister que l'objectif pour améliorer le pouvoir d'achat de la majorité et atténuer l'inflation- passe par l'amélioration la réforme globale- grâce à une régulation sociale synchronisée avec la régulation politique et économique. Dans ce cadre du dialogue à tous les niveaux nécessaires, je déplore que certains syndicats représentatifs ne soient pas présents à la prochaine tripartie. Mais, attention, cette dénomination ne recoupe pas celle que l'on retrouve dans les pays développés, l'UGTA ayant une représentation limitée dans bon nombre de secteurs, alors qu'une gouvernance rénovée suppose un dialogue serein sans exclusive.
Docteur Abderrahmane

MEBTOUL Professeur d'Université Economiste
(1) -Sous la direction de Abderrahmane MEBTOUL, l'étude pluridisciplinaire (économistes, sociologues, démographes) entre janvier 2006 et mai 2007 pour le gouvernement algérien : «Face aux mutations mondiales, propositions d'une politique de l'emploi et des salaires pour l'Algérie entre 2008/2012 «(5 volumes 925 pages).


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