Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International Economiste Le rapport du Conseil économique et social algérien (CNES) du 24 décembre 2009, contrairement à la réalité sociale et au vécu des Algériens, affirme qu'il y aurait une amélioration du pouvoir d'achat des Algériens ces dernières années, en se référant uniquement à des agrégats globaux officiels du revenu national et du taux d'inflation officiel, je cite le rapport " les différentes réévaluations du SMIG ont permis un accroissement de 9,8% en moyenne annuelle alors que pour la même période l'inflation a augmenté à un rythme annuel de 3,02%, donc le pouvoir d'achat du SMIG s'est amélioré au cours de la période 2000/2008 ". Outre le fait de se demander si les rédacteurs de ce rapport vivent sur la planète Algérie, comment peut-on aller à ces affirmations sans analyser la répartition par couches sociales et objectivement le calcul du taux d'inflation réel et surtout avec l'effritement du système d'information en Algérie où chaque département ministériel contredit l'autre. J'en convient avec le CNES, cela étant dû en grande partie à la rente des hydrocarbures et non d'une véritable politique salariale axée sur la création de valeur contredisant d'ailleurs les propos du ministre du travail, témoignant de la faiblesse d'une économie productive renvoyant à la panne de la réforme globale. Je me permets pourtant de contredire ces affirmations euphoriques en demandant aux experts du CNES de faire des enquêtes sur le terrain pour voir la dure réalité, dans cette présente contribution reprenant les axes directeurs d'une interview que j'ai donnée à la télévision internationale Al Jazeera le 23 décembre 2009 qui reprend d'ailleurs mes analyses largement parues dans la presse algérienne (1). Les causes du retour de l'inflation ? L'inflation est effectivement de retour en Algérie démentant les prévisions gouvernementales et la dernière mission des experts du FMI à Alger qui présidaient une maîtrise, voire une baisse du taux d'inflation. Selon l'organe officiel l'ONS, le taux d'inflation a été de 1,6% en 2006, 2,5% en 2007, 4% en 2008, allant vers 6% en 2009, posant d'ailleurs le problème du taux d'intérêt bancaire qui devrait être supérieur de 2 à 3 points par rapport au taux d'inflation et surtout la méthode de calcul de l'indice des prix par l'organisme officiel de la statistique ONS. Quelles sont les causes de l'inflation ?: J'en recense essentiellement trois par ordre décroissant: La première raison du retour à l'inflation est l'inefficacité de la dépense publique clôturée entre 2004/2009 à plus de 200 milliards de dollars US qui n'est pas du tout proportionnelle aux impacts économiques et sociaux. Car le taux de croissance moyenne 2004/2009 a été inférieur à 3% selon l'officiel et 11% hors hydrocarbures en 2009 selon le CNES , et comment expliquer ce doublement par rapport aux prévisions du ministre des finances il y a de cela seulement 5 mois. Cela est une utopie, étant un chiffre artificiel, car plus de 80% des segments hors hydrocarbures sont irrigués eux-mêmes par la rente des hydrocarbures restant aux entreprises créatrices de richesses moins de 2% hors hydrocarbures alors que le taux de croissance de la population active dépasse 3,5% , flux annuel de demande d' emploi additionnel 450.000/500.000 /an. Pour des dépenses représentant 1/3, des pays similaires au nôtre ont eu un taux de croissance largement supérieur témoignant à la fois de mauvais choix dans l'allocation des ressources financières et de la mauvaise gestion généralisée ce qui implique de poser les raisons de l' inefficacité de la dépense publique car le taux de croissance durable et non fictif hors hydrocarbures aurait du être de plus de 7/8%. Ce qui explique les raisons d'inefficacité, de gaspillage et de corruption. et je partage l'avis du CNES pour qui miser comme actuellement sur les infrastructures je cite le président du CNES " l'Algérie va droit au mur ". Nous aurons ainsi une inefficacité de la dépense publique macro-économique à plusieurs niveaux a- sur le gonflement de la valeur des importations qui est due essentiellement à la dépense publique et ses surcoûts ; b- sur la balance des paiements du fait que le doublement de la valeur des services entre 2006/2008 (11 milliards de dollars en 2008) concerne essentiellement le poste infrastructures et le montant sera identique sinon supérieur en 2010 avec ce paradoxe fuite des cerveaux et appel à l'assistance étrangère, l'appel à l'émigration étant un mythe si l'on continue à privilégier les rentiers gravitant autour des sphères du pouvoir ; c- sur le faible taux de croissance ; les exportations hors hydrocarbures indicateur de l'efficacité économique n'ont jamais dépassé 1,5 milliard de dollars avec une chute inquiétante de 40% en 2009 selon les dernières statistiques douanières, moins de 1 milliard de dollars, 50% étant représentés par des déchets ferreux et semi ferreux. Car, hélas les dernières statistiques douanières (les 10 mois de 2009) ne donnent qu'un ralentissement de 3% de la valeur des importations (soit 1,2 milliard de dollars), nous orientant vers 38/39 milliards de dollars contre 40 milliards en 2008, somme dérisoire alors que nous avons assisté à une déflation des prix au niveau mondial (baisse des prix, donc inflation importée presque nulle) et à une récolte intérieure exceptionnelle (pluviosité). Qu'en sera-t-il s'il y a retour de l'inflation au niveau mondial entre 2010/2014. Donc ces mesures ont eu une portée limitée ne s'étant pas attaquées à l'origine de la hausse des importations qui est l'inefficacité de la dépense publique. Car, les infrastructures ne sont qu'un moyen accessoire du développement et les expériences négatives de l'Espagne et la semi faillite récente de Dubaï qui ont misé que sur ce segment doivent faire réfléchir le gouvernement algérien.La deuxième raison du retour à l'inflation est l'assainissement des entreprises publiques entre 1991/2008, plus de 3000 milliards de dinars et plus 325 milliards de dinars lois de finances 2009/2010 (plus de trois cent mille milliards de centimes) 70% des entreprises publiques étant revenues à la case de départ selon les rapports officiels ayant un effectif pour tout le secteur public économique ne dépassant pas 500.000 personnes alors que la demande additionnelle d'emplois annuelle est de plus de 450.000 personnes qui s'ajoutent au taux de chômage actuel que les pouvoirs publics ont tendance à biaiser car c'est l'entreprise qui crée des emplois à valeur ajoutée et non des décrets administratifs par des emplois rentes à tous les niveaux . Et vient seulement en troisième position la masse salariale de très loin. Pour preuve les salaires comme l'atteste sa baisse vertigineuse dans le produit intérieur brut depuis 20 ans actuellement inférieur à 20% contre une moyenne de plus de 50% dans les pays développés et pays émergents oubliant que le salaire est certes facteur de demande mais créateur de valeur, n'étant pas la cause fondamentale de l'inflation. Cependant je maintiens effectivement le fait de non maîtrise de la régulation, et donc au manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique , une augmentation inconsidérée risque de mettre en péril les PMI/PME qui ne peuvent supporter une trop grande augmentation , constituant la majorité du tissu productif et les orienter à la sphère informelle, d'accélérer l'importation du fait de la faiblesse de la production locale et d'accentuer le processus inflationniste du fait d'effets psycho-sociologiques mis en relief nettement par l'économiste Keynes ( effet cumulatifs d'anticipation). L'impact de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Algériens Faute d'enquêtes précises surtout sur la répartition du revenu par couches sociales déterminantes pour toute politique salariale fiable,de la prise en compte de a sphère informelle produit de la bureaucratie et de la corruption et des dysfonctionnements des institutions de l'Etat expliquant l'inefficacité du contrôle, drainant plus de 40% de la masse monétaire en circulation , et de l'information économique et sociologique qui s'est totalement effritée en Algérie pouvant conduire à des erreurs de politique économique se chiffrant en milliards de dollars, il faut effectivement être nuancé. Mais existent des signes non trompeurs à travers tout le territoire national de la concentration de revenus au profit d'une minorité de couches rentières et une paupérisation de larges couches de la population dont la consommation de céréales et l'importation excessive de médicaments peuvent être des signes de la sous nutrition. Car l'on doit souligner avec force que la problématique de l'inflation ne peut être isolée de la réforme globale en incluant l'approche institutionnelle dont la bureaucratisation étouffante destructrice de richesses s'autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Cela revient donc à poser clairement les problèmes de l'impact de l'inflation comme vecteur de concentration du revenu national au profit d'une minorité de couches rentières , plus de 70% des ménages algériens consacrant entre 2008/2009 et certainement en 2010 plus de 80% de leurs revenus pour les produits de première nécessité ( dont l'indice des prix officiel pour 2009 l'évalue entre 15/20% de hausse, seul taux significatif pour ces ménages ) et donc sur leur pouvoir d'achat. Aussi, l'inflation ne peut être comprise sans l'analyse des mécanismes de la régulation d'ensemble, liant mode d'accumulation et répartition du revenu par couches sociales et que toutes les études faites jusqu'à présent montrent que l'inflation en Algérie n'est pas d'origine essentiellement salariale, mais par l'ampleur des dépenses improductives qui contribuent à la détérioration du pouvoir d'achat des Algériens. En résumé cette situation pose l'urgence d'une réorientation de toute la politique économique et de l'approfondissement de la réforme globale reposant sur une meilleure gouvernance et la valorisation du savoir tenant compte des nouvelles mutations mondiales. Ces deux fondamentaux étant les piliers du développement du XXIème siècle afin d'impulser une production et exportation hors hydrocarbures prenant en compte le nouveau modèle énergétique incluant le défi écologique qui se mettra inéluctablement en place entre 2015/2020.. L'Algérie sous réserve de cette réorientation a toutes les potentialités pour passer d 'une économie de rente suicidaire pour les générations présentes et futures car allant à l'épuisement à terme (16/20 ans) à une économie productive y compris les services qui ont un caractère de plus en plus marchands et de création de valeurs ajoutées. Pour l'Algérie, mono exportateur un débat national urgent s'impose sur la destinée de la rente des hydrocarbures, propriété de toute la collectivité nationale et sa nécessaire gestion démocratique. En fait , la répartition du revenu national via la captation de la rente des hydrocarbures par couches sociales est la condition d'une analyse objective de la détermination du niveau du pouvoir d'achat des Algériens et de la mise en œuvre d'une politique efficace conciliant efficacité économique et justice sociale, ce qui ne saurait signifier égalitarisme devant réhabiliter les véritables créateurs de richesses, loin des intérêts de la rente . (1) Interview du docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International Economiste à la télévision internationale Al Jazeera le 23 décembre 2009 - disponible sur le site djazeera.net -série économie internationale .