La question de l'insertion professionnelle des non-voyants se pose avec insistance à Oran où les mesures et dispositifs favorisant leur formation et leur intégration dans le marché du travail sont souvent défaillants. Dans la capitale de l'Ouest du pays, le non-voyant commence son combat dès son jeune âge. Pour prétendre à une scolarisation, il faut s'adresser à la seule et unique école spécialisée, en mesure de le prendre en charge. Celle-ci est située à Aïn El Turck, à une trentaine de kilomètres du chef lieu d'Oran. En plus de l'éloignement de cette école, les parents pointent un doigt sur la qualité de l'enseignement prodigué. Certains d'entre eux affirment que leurs enfants suivent des cours particuliers pour maîtriser le braille, entre autres. Cette école compte quelque 75 élèves des deux sexes, âgés entre 6 et 19 ans, a-t-on indiqué à la Direction locale de l'action sociale (DAS). A Oran, la DAS recense huit associations pour non-voyants, peu actives pour la majorité. Une ou deux seulement sont présentes réellement sur le terrain. C'est le cas de l'Association sociale pour l'insertion professionnelle des aveugles et amblyopes (Aspiaa) qui propose, principalement, des sessions d'initiation à l'informatique. L'association a réussi à initier, depuis sa création en 2009, plus d'une quarantaine d'aveugles, à l'outil informatique, à l'aide de logiciels adaptés. Une tentative pour le lancement d'une formation en kinésithérapie peine à voir le jour, avec beaucoup d'obstacles et peu d'aides et d'encouragements, ont indiqué à l'APS des membres de cette association. Amine, un non-voyant, trentenaire, père de deux enfants, rencontré au siège de l'Asipaa, a eu l'amabilité de faire une petite démonstration pour expliquer comment un aveugle peut se servir d'un micro-ordinateur, "presque normalement". Pour ce faire, il suffit d'un logiciel parlant, freeware, qui lit toutes les icônes et guide le non-voyant sur l'interface. Il suffit de copier ce logiciel sur une clé USB pour pouvoir utiliser n'importe quel micro ordinateur. Ce jeune homme, plein de volonté, titulaire de deux licences, l'une en chariaa et l'autre en psychologie, en plus de son diplôme en informatique, peine à trouver un emploi stable. Il travaille depuis plus d'une quinzaine d'années en qualité de contractuel, comme enseignant dans plusieurs établissements publics. Malgré son aspiration à un poste fixe, il ne se plaint pas. Il se dit conscient que sa situation est bien meilleure que celle d'autres non-voyants, en chômage depuis des années. L'accès à la formation, une discrimination Les membres de l'Asipaa, qui luttent pour l'insertion des aveugles, ont relevé qu'une certaine discrimination est exercée à l'encontre de ces derniers s'agissant de l'accès à certaines formations, notamment la musique et la kinésithérapie, connues pour avoir donné de bons résultats sous d'autres cieux. Au niveau de l'association, on cite le refus systématique d'inscription de non-voyants au conservatoire d'Oran. Le président de l'Union de wilaya de l'Organisation des aveugles, M. Lahouali, lui-même non-voyant, a mis l'APS en contact avec un jeune aveugle, bachelier, qui s'est vu refuser d'intégrer l'école paramédicale d'Oran pour une formation en kinésithérapie. Ce jeune a décroché, en 2013, un bac dans la filière "sciences", avec une moyenne de 11, 23 sur 20. L'inscription à cette école a été conditionnée par la présentation d'une autorisation du ministère de la Santé. Les va-et-vient de ce bachelier, accompagné de sa mère, au ministère ont été vains. A demi-mot, on a fait comprendre au jeune homme qu'il n'est pas possible d'inscrire un non voyant dans une telle spécialité. La mère ne comprend pas une telle attitude. "Pourtant ça se fait ailleurs, en France ou dans les pays voisins", s'écriait-elle. Finalement, comme pour mettre un terme à toute polémique, le jeune bachelier s'est vu refuser "par écrit" sa demande d'inscription pour "moyenne insuffisante". L'insertion professionnelle en question Pour leur insertion professionnelle, les non-voyants d'Oran n'ont d'autres soutiens que les rares associations activant dans ce domaine. Grâce aux efforts assidus de l'Asipaa et de l'Organisation nationale des aveugles, une dizaine seulement a été insérée dans le monde du travail. Le nombre des non-voyants est estimé à 5.000 à Oran. Plus de 1.700 d'entre eux perçoivent des aides pour chômeurs non qualifiés (AFS) d'un montant de 3.000 DA par mois. A la Direction locale de l'emploi, le chef de service a expliqué qu'aucun dispositif n'a été mis en place pour favoriser l'insertion des non-voyants et les handicapés de manière générale. Leurs dossiers sont traités comme ceux des personnes valides. Le texte réglementaire prévu par la loi concernant l'obligation des entreprises de consacrer au moins 1% des postes de travail aux handicapés n'est pas encore promulgué. "La loi est incomplète et aucune disposition n'oblige les entreprises à appliquer cette disposition", explique un inspecteur du travail à Oran. L'année 2009 a été fatale pour les 70 ouvriers aveugles de l'Enabrosse, un atelier de fabrication de balais et de brosses, datant de 1957. Seuls quelques uns ont bénéficié d'une retraite. Les autres se sont retrouvés au chômage, après 12, 15, 17 ans voire plus de loyaux services. L'atelier, seule entreprise accueillant des non-voyants à Oran, avait du mal à écouler sa production, avec l'ouverture du marché et la concurrence déloyale qui s'en est suivie. Au lieu d'adapter l'activité ou trouver des solutions commerciales, ses gestionnaires se sont trouvés contraints de mettre la clé sous le paillasson et compromettre l'avenir de familles entières soumises à la rude épreuve du chômage. Chaque matin, une trentaine de non voyants, des ex-travailleurs de l'Enabrosse, se regroupent, près du siège de l'entreprise, dissoute officiellement en 2012. Ni le froid, ni les dards du soleil, encore moins les portes fermées de l'entreprise, ne dissuadent ces hommes d'observer ce rituel : passer toute la journée devant leur ancien lieu de travail. Ces "protestataires silencieux" n'ont pas cessé de faire cette même action depuis la fermeture de l'entreprise. Ils espèrent attirer l'attention des décideurs pour les pousser à agir en leur faveur et redonner vie à leur petit atelier. "On veut gagner notre vie dignement, par la sueur de notre front", s'est écrié Abed, un homme de quarante ans, qui a passé 17 ans de sa vie au sein de l'Enabrosse et est au chômage depuis 2009. Pour sa part, l'Organisation des aveugles avait déposé au niveau de la DAS une demande pour récupérer le siège de l'entreprise dissoute pour en faire "une maison des aveugles", proposant tout un programme de formation et d'activités économiques pour cette catégorie de personnes.