Entretien réalisé par Redouane Benchikh Le Financier : Comment jugez vous la part des services et de la distribution dans les économies du maghrébin et en Algérie en particulier ? José Camacho : Dans les économies du Maghreb, le tertiaire contribue selon les pays à une fourchette située entre 40 et 60% du PIB, soit nettement moins que dans la plupart des pays développés. Ces chiffres s'expliquent généralement par une faiblesse intrinsèque des services mais également et surtout par l'importance prise par le secteur primaire qui réalise encore entre 10 et 15% du PIB dans ces pays. Dans le cas de l'Algérie, l'importance du secteur des hydrocarbures, qui représente environ un tiers des richesses nationales, fausse un peu la donne et contribue à une forme d'hypertrophie du secteur industriel. Néanmoins, un autre élément contribue également à fausser la donne dans la plupart des pays du Maghreb. Il s'agit en particulier de l'importance du secteur informel ; secteur informel qui est composé pour l'essentiel d'activités de services. Le Financier : Le plan d'action du gouvernement algérien pour les cinq prochaines années place l'industrie au centre des préoccupations, ce qui se traduit par un manque d'intérêt accordé aux services. Comment peut-on concilier ces priorités en tirant profit des avantages du secteur des services créateur d'emploi ? Marie Christine Monnoyer : Je pense qu'il s'agit d'une erreur liée en large partie à la formation des élites algériennes qui restent encore très (trop) marquées par une culture industrialiste. Dans cette culture, on considère que les activités industrielles sont à la base de la dynamique économique (elles seraient les seules activités motrices) et qu'elles permettent une certaine expansion du tertiaire. Bien entendu, ce biais n'est pas typiquement algérien. Aujourd'hui encore, on peut lire sur le site du Ministère français de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi : « l'industrie est une composante importante et essentielle de l'économie française. Elle a un effet d'entrainement sur l'ensemble des autres activités économiques, en particulier les services et le commerce». Dans cette conception ou vision des choses, les services dans leur ensemble, pèseraient sur le fonctionnement de l'économie et ne se justifieraient que par leur capacité à maintenir l'emploi. Pour autant, des réflexions plus sérieuses et moins empreintes d'idéologie montrent que dans la plupart des pays développés (et de plus en plus dans les pays émergents) c'est bien le secteur des services qui devient un des secteurs moteurs de l'économie. On assiste dans la plupart de ces pays à un renversement des logiques de domination industrie-services et on peut dire aujourd'hui que les services contribuent de multiples manières à l'innovation et à la modernisation des firmes industrielles (mais aussi de services : logique des services auto-entretenus). Ainsi, les services contribuent à l'avantage compétitif global des firmes (industrielles) et des nations, ils permettent l'innovation et la modernisation des firmes ; ils permettent l'anticipation et l'adaptation des firmes au changement (certains d'entre eux ont même un caractère stratégique d'orientation du changement) ; ils sont le support du développement spatial des firmes (transport, logistique, assurance…) ; ils permettent une réduction des coûts de production et une croissance de la valeur ajoutée du produit ; ils permettent la flexibilité accrue du système productif dans son ensemble et enfin, ils contribuent par eux-mêmes une source de débouchés importants (nouveaux marchés pour les firmes industrielles). Le Financier : Quel est selon vous le pays en voie de développement qui intègre le mieux les services et la distribution à même d'être un modèle à suivre ? Camal Gallouj : Si l'on se limite aux pays du Maghreb,il me semble que le modèle de développement le plus abouti est celui du Maroc. Le marché des services au Maroc est en effet l'un des plus développés d'Afrique du Nord. Ainsi par exemple, le Maroc compte deux catégories de services en forte croissance depuis plus d'une vingtaine d'années : d'un côté le secteur du tourisme et de l'autre le secteur bancaire et financier. Concernant le secteur bancaire, on peut observer que de nombreuses banques marocaines ont entamé depuis longtemps leur développement spatial dans nombre de pays africains. Attijariwafa, pour ne prendre que cet exemple, revendique aujourd'hui la place de premier groupe bancaire et financier du Maghreb et il se présentecomme une multinationale panafricaine (présence marquée dans près d'une quinzaine de pays africains). Plus récemment, le secteur de la distribution connaît un réel développement au Maroc et l'on assiste à un déploiement rapide sur le territoire national alors que des réflexions sont engagées pour inciter au développement international. Le développement de la plupart de ces secteurs s'appuie sur une politique volontariste de l'Etat. Le plan Rawaj, par exemple, ambitionne de faire du Maroc une plateforme d'excellence en matière de commerce et de distribution. Le succès de ce plan est largement accéléré par des investissements lourds en matière de logistique aux normes internationales (Tanger Med par exemple). Concernant le tourisme, la vision 2020 ambitionne de doubler la taille du secteur et de faire du Maroc l'une des 20 premières destinations mondiales. Ce plan envisage par ailleurs d'imposer le pays comme un référence du pourtour méditerranéen en matière de développement durable. Mais au delà, le développement des services au Maroc s'appuie sur une logique de services auto-entretenus ; en ce sens que l'expansion du tourisme, des banques, de l'assurance, de la distribution s'appuie très largement sur les apports d'un tissu de plus en plus large et sophistiqué de services rendus aux entreprises et de services intensifs en connaissance (conseil, audit, études etc.) Ainsi, les plus grands noms du conseil en organisation, en ressources humaines ou en stratégie (dont Mc Kinsey) ont ouvert des cabinets et des représentations dans le centre économique du pays. *Marie Christine Monnoyer est professeur à l'Université de Toulouse 1 Capitole *José Antonio Camacho est professeur à l'Université de Grenada *Camal Gallouj est professeur à l'Université de Paris 13 Sorbonne cité Ils sont tous les trois membres du RESER (Réseau Européen de Recherche sur les Services)