Par Faouzia Belkichi Lirez-vous les rapports qui sont souvent commandés par l'Etat et qui sont sensés refléter notre manière de voir les choses, de les appréhender voire de les vivre ; ces rapports sont sensés aussi guider les bons choix politiques ou orienter les options économiques, ou tout simplement définir les grands axes des politiques de l'éducation, de l'agriculture, de la santé ou de la culture. Pourquoi ? C'est déjà fait, non ? Après des mois de gros titres, d'extraits parfaitement ciblés, un marathon intensif de déchirage de chemises politiques, de savantes analyses de gérants d'estrade et de tribunes téléphoniques édifiantes, on devrait tous savoir exactement qu'en penser... En une tonne d'années, nous avons été informés et éclairés. Le verdict est tombé, catégorique : "Nous n'avons rien compris et ils ne nous ont pas compris". Normalement, si l'échéancier suit le cours prévu, les institutions concernées devraient organiser une petite danse autour d'un autodafé de Rapports en fin de dur labeur, les grands responsables vont beugler avec cœur et M. Untel prendra l'air contrit de celui qui ignore ce qu'est le torpillage politique. Après, mettons deux ans, on devrait "tabletter" officiellement l'exemplaire qui aura survécu aux sévices divers. Au fait, ledit rapport aurait été dévoilé et décrété mort avant d'être né. Qui prendra le temps maintenant de le lire, d'y réfléchir, d'en soupeser les conséquences, de s'attarder sur les détails ? Ses auteurs, des intellectuels subtils, nuancés, dont les travaux sont brillants, ont sillonné l'Algérie pendant des mois. Ils ont vécu des expériences, écouté des propos que peu d'entre nous connaîtront. Ils ont mis des mois à se faire une tête, à penser en fonction de l'avenir de la collectivité. Peut-être ont-ils erré. Le rapport est peut-être tarabiscoté, trop tiède ou très complexe, plein de dédales, certainement discutable, peut-être lumineux. Je n'en sais rien. Je ne l'ai pas lu, moi non plus. Il ne sera pas le premier rapport à connaître ce type d'exécution. Les rapports sur l'éducation, sur le système de santé, sur le modèle agricole algérien ont subi ce sort. On sert aussi ce traitement aux grands projets, aux idées novatrices, voire aux individus. La durée de vie d'une idée inédite en Algérie : grosso modo dix ans. La saveur de l'année est devenue décimale.On vante souvent notre remarquable sens du consensus. Derrière ce bel unanimisme, il y a trop souvent une économie de la pensée, une culture de la surface. On grimpe aux rideaux sans connaître les faits, on crie très fort, tous dans le même sens, et on passe à un autre appel. En ce sens, certains rapports sont d'autres victimes du spin médiatique, de la démagogie politicienne, mais bien plus encore, de notre moutonnerie et de notre paresse intellectuelle. On arrivera peut-être au même constat - ou pas - une fois notre lecture faite, mais pas en faisant l'impasse sur la pensée critique et notre libre arbitre. Encore une fois, des gourous gueulards ou des médias à l'agenda très politique auront réfléchi à notre place ! Si, comme citoyens, nous sommes victimes, nous sommes drôlement consentants... Ça commence à ressembler à la manifestation d'un travers bien de chez nous. Une petite bouchée d'omelette-frites au buffet des idées suffit à rassasier notre opinion, à rejeter en bloc toute idée trop épicée. On fonde notre connaissance du monde sur un échantillon. Surtout rien de compliqué, d'"intellectuel". On favorise le facile, le connu, le digeste, le fast-food idéologique. Appelons-la la "culture du ventre", ou le "syndrome de l'échantillon". Pourquoi goûter la pâtisserie au complet quand le trou du beigne suffit?