"Depuis deux décennies, le terme de mondialisation tend à s'imposer au détriment de celui d'internationalisation. Alors que l'internationalisation désignait les relations économiques (marchandises, capitaux, firmes ), entre des espaces économiques nationaux, le terme de mondialisation (globalisation en anglais ) suppose l'existence d'un espace économique commercial; financier , productif et culturel de plus en plus unifié.Et il ne fut guère étonnant dans ces conditions de voir émerger, aux devants des gens de bonne volonté, du menu peuple ou intellectuels honnêtes , ignorés ou marginalisés pour leur plupart, des intégristes religieux, justifiant la contrainte et les atteintes aux libertés de l'homme, par leur vision aberrante et manichéenne de la Modernité réduite trop souvent à " la bouteille d'alcool et à la mini-jupe " exclusivement ( ?) , l'accusant ainsi "de pervertir dangereusement les jeunes esprits et la civilisation sainte de la Ouma " improductive en matière de sciences et techniques ; alors qu'à l'autre extrême, les occidentalistes maximalistes réduisent , eux également ,de façon non moins aberrante et manichéenne, l'Islam à un " Hidjab ", ou " kamis " , une barbe et un couteau terrifiant ( ?), refusant conséquemment référence à toute tradition spirituelle authentique , la suspectant "d'arriération obscurantiste sournoise menaçant "la société émancipée du progrès du monde des émergeants évolués " incapables de gérances démocratiques et d'adaptation rationnelle aux nouvelles données scientifico-culturelles cybernetiques de la modernité universelle Bref, ce sont là deux images d'Epinal consacrées par la propagande des deux idéologies extrémistes ,et qui ne peuvent leurrer tout le temps leur monde sur la réalité de l'Islam authentique des Lumières et de la sagesse d'une part , et sur celle de la Modernité universelle des bienfaits des libertés et savoirs avec science et conscience d'acquis historiques des droits fondamentaux et constitutionnels universels reconnus de l'homme et des nations de l'Humanité , d'autre part. En conséquence , comme le dit si bien le chercheur- politologue Burhan Ghalioun, " Ni le modernisme, comme le pensent les islamistes , ni le traditionalisme , comme le croient les laïques, ne sont à l'origine du total dysfonctionnement des institutions et de la société civile musulmanes. C'est, en fait, l'absence d'une pensée cohérente et critique qui est responsable de ce dysfonctionnement. L'ordre , ou plutôt le désordre , dans lequel nous vivons , l'anarchie politique et morale à laquelle nous devons faire face dans un proche avenir ne sont ni le fruit de l'application du principe moderne de liberté, ni , encore moins , celui de la persistance des valeurs de piété et de morale religieuse. La transformation de l'Islam en idéologie politique reflète moins le renforcement des forces morales et religieuses que la sclérose du concept politique . De même, la réinvention de l'Etat " laïque " tend plus à occulter la reproduction de régimes autoritaires qu'à signifier une revendication démocratique authentique , largement confondue par certains avec le pouvoir d'une plèbe ignare. Dans les deux cas , on est en présence d'une logique implacable de crise et d'affrontement que nourrit et reproduit , à mesure de son incapacité à en maîtriser les ressorts , une pensée idéologique , non critique. "( Burhan Ghalioun , in " Islam et politique ", Casbah Editions et les Editions la Découverte / Syros , Alger- Paris, 1997.). Autrement dit, le déni de la réalité présente, l'absence de volonté de l'examiner , la répugnance ou la peur de se remettre en cause et de se voir en face, ici et maintenant, ont amené souvent les pays arabo-musulmans à s'arc-bouter sur des attitudes figées qui les empêchent de s'adapter au monde moderne convenablement, et à y trouver leur place. A l'heure des technologies sophistiquées des télévisions par satellites , de la téléphonie numérique des portables et ordinateurs miniaturisés , aujourd'hui à l'heure de la planétarisation, d'une manière générale, il devient de plus en plus difficile pour les doctrinaires classiques et les propagandistes autoritaristes de leurrer continuellement les esprits , ou de tromper à chaque fois les vigilances, comme ils en ont pris la fâcheuse accoutumance par le passé .Mais les choses sont en train de changer, aujourd'hui que la globalisation s'annonce comme une nouvelle recomposition mondiale. " Or, dans la plupart des pays ex-colonisés , la réorganisation de l'espace économique et social continue à obéir plus à une logique politique ou ethnique de reproduction du pouvoir qu'aux exigences stratégiques de développement économique et social(…)La modernité musulmane ne peut rien gagner à poursuivre les chimères de modèles nationaux révolus. Elle ne peut sortir de la crise , retrouver la paix, la stabilité et l'efficacité qu'en acceptant le risque d'aller au-devant des vérités acquises et des modèles connus, d'inventer de nouvelles formes d'organisation civile et politique, de transformer radicalement les méthodes de gouvernement,de créer de nouveaux espaces de solidarité et de convivialité , d'engendrer une nouvelle société (…) c'est-à-dire (…) la mise en place d'une structure démocratique et d'un Etat de droit qui font de la citoyenneté le modèle sur lequel peuvent s'établir le rapport de l'Etat à l'individu , d'une part, et le rapport de l'individu à un autre individu , d'autre part . Du succès de ce combat pour la démocratie dépend la reconstitution d'équilibres psychiques, idéologiques, politiques et sociaux à venir (…) La redéfinition des fonctions respectives de l'Etat et de la société civile suppose que le politique ne soit plus un lieu qui sépare , une frontière qui divise , mais un espace ou convergent les particularismes , ou s'élaborent les compromis , ou s'harmonisent les rapports sociaux dans toutes leurs dimensions , religieuses , culturelles, économiques, militaires, scientifiques, techniques, etc.(…) "( Burhan Ghalioun , idem). Ce politique peut effectivement se muer en espace de convergence des particularismes ou s'harmoniseront les rapports sociaux multidimensionnels mais à condition , convient-il d'ajouter, que ne soient pas cultivés les mythes béats des unités superficielles supranationales , ou de supra - communautarisme spirituel, ou autres, pour leur substituer les enjeux concrets de l'heure présente ,à même de répondre aux défis de la globalisation et ceux en cours des regroupements stratégiques internationaux, par , la relance ,tout autant à l'échelon local, de la dynamique concertée de regroupements zonaux maghrébins, alliances méditerranéennes, coopérations Maghreb-Machrek d'ordre plus économique que culturel, ( la coopération dans le domaine sportif " à titre privé ", entre clubs et joueurs, ayant donné, en quelque sorte, l' exemple de ce qui peut -être entrepris dans ce contexte de partenariat économique).. A l'époque de la mondialisation déferlante qu'on souhaite multipolaire, à l'ère désormais de l'effritement des grands mythes et des ponts jetés de la Modernité et culture démocratiques transnationales , il importe de s'arrimer aux réalités de cette aube naissante du troisième millénaire ou XXI è siècle , et de se définir par rapport au présent et à l'avenir . Et c'est surtout ce dernier qui devrait être le repère fondamental pour qu'émerge enfin progressivement la société arabo-berbero-musulmane moderne, relativement équilibrée, en ce sens qu'elle soit audacieusement ouverte sur les progrès scientifiques, technologiques et culturels et parallèlement développant, valorisant ses atouts spirituels civilisationnels fructifiant ses legs culturels et artistiques patrimoniaux divers. En clair, parvenir in fine, à cet au-delà du leurre passéiste fascinant d'une communauté islamiste moyenâgeuse et autarcique , et à cet au-delà du fantasme futuriste séducteur d'une société laïque permissive calquée sur la culture occidentaliste de l'européocentrisme , en un mot édifier , ce qui est du domaine du possible et en rapport avec les faits, cette société relativement harmonieuse, moderne et démocratique et aux cultures et valeurs traditionnelles et ancestrales promues et valorisées…à l'image de l'arbre qui se défait de ses ramures caduques pour renaître de plus belle, racines solidement arc-boutées sous terre , branchages exubérants au ciel, et tronc fort , dynamique et bien élancé, reliant les deux bouts et vitalisé par eux. Mais avant d'en arriver là, il y a fort à faire chez soi pour pouvoir affermir une culture nationale plurielle et diversifiée, la développer, fructifier et améliorer conséquemment ses contenus, textures et esthétiques plurilangagières diverses, parallèlement à la mise en place d'une industrie culturelle du livre et des médias en général,( publiques et privées), tout se complétant ici, afin d'espérer un jour véritablement entrer de plain pied dans la phase de Modernité Universelle , en dépassant de la sorte concrètement la phase " nationale " de la culture algérienne et de sa propagation surtout parmi les larges couches de la population : ce n'est qu'à cette condition que l'on pourrait véritablement escompter voir reposer l'institution sociale algérienne sur de solides assises culturelles et infrastructurelles favorables , de fait , à son affirmation en tant que société évoluée et moderne aux atouts culturels spécifiques avérés, s'imposant tant sur le plan national que sur l'échiquier international ( comme le donnent à voir l'exemple, entres autres, du Japon, de la Malaisie , de la Corée , du Mexique etc.), mais pas avant. Car beaucoup reste à faire, dans nos contrées et environnements socioculturels Maghrébo-arabo-musulmans encore " semi-industriels et agro-pastorals voire semi-desertiques ", par rapport aux milieux relativement évolués de certains pays émergeants , pour ne pas évoquer ceux des pays hypermodernes et sophistiqués occidentaux situés à des années-lumière… C'est que dans nos contrées sous-développées, contrairement à ce qui s'est passé en Europe , l'émergence d'une société moderne hautement cultivée et tôt initiée à la civilisation du livre et des médias en général, ou en clair comme le souligne Borhan Ghalioun, " l'établissement d'un Etat moderne en terre d'Islam n'a pas bénéficié d'une accumulation préalable au niveau de la conscience éthique , à celui de l'équilibre des forces ou à celui des hiérarchies sociales que la révolution politique a remaniés dans les pays occidentaux depuis les XVIè et XVIIè siècles . L'Etat y est ainsi demeuré un phénomène à la fois extérieur et mécanique. L'enjeu principal de la bataille qui se déroule aujourd'hui dans les pays musulmans n'est rien de moins que la réappropriation de cet Etat, son enracinement, sa maîtrise et son adaptation à la terre musulmane. Il s'agit de la transformation de l'Etat d'instrument d'oppression en instrument de libération et de réalisation civilisationnelle. Dans ce processus de réappropriation de l'Etat, tout reste à découvrir et à redéfinir. "( Burhan Ghalioun, option citée).Autrement dit, il n'y a pas lieu de comparer l'incomparable , comme le font certains qui semblent pressés de brûler un peu rapidement les étapes pour passer en bloc " illico presto " à l'étage supérieur de la modernité universelle, en considérant notamment , un peu vite, la phase d'une culture nationale plurielle forte et largement répandue déjà dépassée ( ?)… Sur ce point nous laisserons le soin au , o combien visionnaire Frantz Fanon de nous éclairer par un texte terriblement d'actualité, non seulement sur le plan de la réflexion socio-économique-culturelle mais tout aussi bien sur celui important de la littérature et des idées en général: " (…)Et voici venu le moment de dénoncer le pharisaïsme de certains . La revendication nationale, dit-on ça et là , est une phase que l'humanité a dépassée. L'heure est aux grands ensembles et les attardés du nationalisme doivent en conséquence corriger leurs erreurs. Nous pensons au contraire que l'erreur , lourde de conséquence , consisterait à vouloir sauter l'étape nationale. Si la culture est la manifestation de la conscience nationale , je n'hésiterai pas à dire , dans le cas qui nous occupe , que la conscience nationale est la forme la plus élaborée de la culture. La conscience de soi n'est pas fermeture à la communication .La réflexion philosophique nous enseigne au contraire qu'elle en est la garantie". Perspicace , Frantz Fanon prend soin de préciser à l'adresse de ceux qui sont tentés d'en faire la confusion que la conscience nationale n'est pas du tout synonyme de nationalisme ou d'autarcie et qu'elle représente une toute autre dimension reliant l'authenticité du local à la diversité culturelle de l'universel, et c'est ce qui démontre justement l'originalité des œuvres et de leurs auteurs : c'est dans cet esprit et en accord avec cette vision des choses que nous concluons en souscrivant aux propos clairvoyants de Fanon réactualisé dans le champ qui nous intéresse: "LA CONSCIENCE NATIONALE, QUI N'EST PAS LE NATIONALISME, EST LA SEULE A NOUS DONNER DIMENSION INTERNATIONALE.(…) Si l'homme est ce qu'il fait , alors nous dirons que la chose la plus urgente aujourd'hui pour l'intellectuel africain est la construction de sa nation . Si cette construction est vrai , c'est-à-dire si elle traduit le vouloir manifeste du peuple , si elle révèle dans leur impatience les peuples africains , alors la construction nationale s'accompagne nécessairement de la découverte et de la promotion de valeurs universalisantes ".( in " Les damnés de la terre ", chapitre : Sur la culture nationale, p.218, Frantz FANNON, Editions ENAG , Alger 1987). Autrement dit, prôner aujourd'hui les vertus de l'universalité ne signifie pas forcément la marginalisation d u caractère spécifique des arts et littératures des contrées diverses du globe , c'est bien au con t raire l'atout culturel et spirituel humain ,non négligeable , qui fait sa vigueur et sa richesse multidimensionnelle. Ou à l'inverse prôner une dynamique nationale émancipatrice des valeurs patrimoniales et authenticités culturelles originelles et modernes , à l 'heure de la mondialisation tout azimuts des cultures et civilisations de la planète , et le spectre redouté de la globalisation uniformisante, constitue beaucoup plus - dans ce contexte environnant différent , tout à fait autre , d e ce nouveau paradigme de l'histoire, - un moyen d 'assurer , peut être, un équilibre inespéré entre la culture locale menacée et celle universelle abondante pleuvant des cieux comme aux temps des mythes , qu'un hypothétique risque d e cloisonnement identitaire -culturel .Comme dirait l'éminent sociologue Abdelkader Djaghloul , c'est à la fois pour l'Algérie un drame à assumer et une chance à saisir. Mohamed Ghriss