Par Hiba Serine A.K. Le Maghreb croit utile de décortiquer régulièrement pour ses lecteurs les faits saillants de l'actualité économique et financière mondiale. L'économie algérienne étant concernée de près ou de loin, ces informations auront tout au moins l'opportunité de nous mettre au diapason des évolutions que connaissent les bourses et les marchés. En centre d'intérêt aujourd'hui, les bourses des pays émergents qui connaissent un net recul cet été. Inflation et baisse des matières premières sèment le doute sur les marchés du Sud. Tout change, rien ne change? Le récent coup de tabac ayant balayé les marchés financiers des pays dits "émergents" semble emporter avec lui la thèse - en vogue il y a quelques mois encore - du "découplage". C'est-à-dire de la prise d'autonomie progressive de ces économies par rapport aux Etats-Unis ou à l'Europe. Le 15 juillet dernier, la soudaine panique des investisseurs de Wall Street face à la fragilité de deux organismes assurant la stabilité de tout le système de crédit immobilier américain a ainsi provoqué le plongeon de tous les marchés boursiers de la périphérie. Un mouvement de vente touchant aussi bien la banque HDFC à Bombay que le géant taïwanais des semi-conducteurs TSMC, ou l'empire gazier Gazprom. A première vue, les vieux ressorts de l'aversion au risque sont de nouveau à l'œuvre. Quand la crise fait rage à New York, Londres ou Zurich, les positions sur les marchés lointains sont soldées. Selon les données de Crédit Suisse, les fonds d'investissements investis sur les émergents ont fait face à des sorties nettes de capitaux de 21,7 milliards de dollars depuis le début de l'année, alors qu'ils en avaient attiré 41 milliards en 2007 et 22 milliards en 2006. Il paraît cependant étonnant qu'il eût fallu attendre onze mois de crise financière pour voir enfin les investisseurs fuir les marchés émergents. Certes, l'Asie, si dépendante de la consommation américaine - mais également des prix du pétrole - n'a pas attendu pour plonger. Il n'en demeure pas moins que, fin mai, la bourse de São Paulo progressait cependant encore de 17% depuis le début de l'année. Creux des matières premières Les doutes étreignant les investisseurs sont à chercher ailleurs. Dans la baisse des matières premières tout d'abord. Plus du tiers des indices émergents sont constitués de sociétés appartenant aux industries extractives. "De tels mouvements de vente sur les pays liés aux matières premières ont régulièrement éclaté ces cinq dernières années et se sont révélés de bonnes opportunités d'achat", recadre Jules Mort, spécialiste au sein de la maison de gestion Threadneedle. Reste que le coup de semonce de ce début d'été pourrait s'avérer particulier. "A l'époque, l'environnement économique des pays industrialisés était favorable; tous les pays en développement bénéficiaient d'une croissance forte, et même si les actions des sociétés d'extraction baissaient, les minerais, eux, continuaient de monter", poursuit le gérant britannique. Alerte sur l'inflation Surtout, ces économies doivent maintenant se battre contre leurs propres démons. "L'envolée de l'inflation, bien plus que les conséquences de la crise du crédit, reste la principale menace à la stabilité économique et financière de nombreux pays émergents", prévenait récemment l'agence de notation Fitch. Ces pays font alors face à un choix cornélien: soit laisser l'inflation s'enflammer - leur devise se déprécier... et leur population se révolter - soit la combattre en augmentant les taux d'intérêt, au risque de faire caler la croissance. "Depuis le début de l'année, dix-huit pays émergents ont dû mettre en place une politique de relèvement des taux d'intérêt, facteur que leurs marchés ont dû intégrer", témoigne Stephen Burrows, gérant spécialisé sur ces marchés, chez la banque Pictet à Londres. Un réservoirde croissance Ces menaces doivent cependant être relativisées. La situation a bien changé depuis le dernier coup de froid venu des Etats-Unis, en 2001. Comme le notent les économistes de BNP Paribas, la croissance de la demande intérieure des pays de l'OCDE avait alors été "divisée par quatre", alors qu'en 2008 elle ne le serait que "par deux". Et si le découplage reste encore un concept, le début d'autonomisation de ces régions apparaît réel. La part du commerce mondial des nations ne faisant pas partie du groupe des pays industrialisés de l'OCDE est passée de 28% en 2001 à 35% l'an dernier. Entre 2004 et 2007, ces pays "ont contribué pour moitié à l'augmentation en volume du commerce mondial" poursuivent les économistes de la banque française. Si la Banque Asiatique du Développement table même sur la croissance la plus faible depuis cinq ans pour la région en 2008, celle-ci reste de 7,6%. Pas vraiment un coup d'arrêt. "Les pays émergents contribueront aux six dixièmes du PIB mondial en 2008", rappelle Stephen Burrows. Des marchés très différents... En réalité le vrai changement des derniers mois reste la différentiation des différents marchés émergents. "Il est devenu plus important que jamais de distinguer entre les pays, mais également, entre les matières premières auxquelles on s'expose", décrit Jules Mort. Selon ce dernier, les investisseurs feraient bien de regarder à deux fois les marchés très "pétroliers" - le quart de la demande mondiale d'hydrocarbures provenant d'une Amérique en ralentissement - par rapport à ceux dominés, par exemple, par le minerai de fer - dont les trois cinquièmes de la production partent pour l'Asie. Même, des marchés massacrés comme l'Inde ou la Chine affichent "des valorisations qui méritent à nouveau de s'y intéresser", glisse Stephen Burrows, de chez Pictet. "A partir du mois de juillet, on a assisté à un retournement de tendance radical, tout ce qui baissait jusque-là - l'Inde, la Turquie les banques de ces pays - revenant sur le devant de la scène", témoigne son homologue de Threadneedle. ... mais encore attractifs Reste évidemment des considérations plus comptables. Ces marchés n'auraient-ils pas simplement monté trop haut, trop longtemps? Pas à en croire Jonathan Garner, stratège de Morgan Stanley, qui rappelle que, depuis le début de la baisse, ces marchés ont abandonné seulement 7% des rendements totaux générés depuis début 2003. Quand Wall Street en a perdu 32%. "Il ne faut pas oublier que, six années de suite, ces places ont fait bien mieux que les marchés développés", pointe Stephen Burrows. Selon Morgan Stanley, la valeur boursière des sociétés formant l'indice MSCI émergents - environ 13 années de bénéfices - reste inférieure de 20% à ce qu'elle fut après 1992. Et 6% plus faibles que celles des marchés développés. Surtout, les perspectives de croissance de leurs bénéfices - exprimés en dollars - tournent toujours autour de 15%. Alors que pour les entreprises du monde "développé" elles ne sont plus que de 6%. Et continuent d'être révisées à la baisse.