La Bibliothèque nationale du Hamma a reçu cette semaine un invité de marque dans le cadre de ses traditionnels débats culturels. Il s'agit de l'illustre poète syrien, Adonis, pressenti cette année aux cotés de Assia Djebbar pour le Nobel de littérature, décerné au français, J M Le Clézio. A 78 ans, le poète qui a traduit les fabuleux textes de Abou El Ala El Maâri de l'arabe au français et Saint Jean Perse du français à l'arabe, avait toutes ses aisances. Un monde fou était allé à la rencontre de ce grand nom de la littérature arabe qui en veut à toutes les sociétés arabes pour leur manque de solidarité et de transparence. Dans son intervention, il mettra à part le concept de la religion et celui de la politique. L'un comme l'autre ne peuvent se confondre du fait que la religion est un comportement individuel alors que la politique s'inscrit dans une communauté donnée. Il savait de quoi il parlait le poète dont le père était imam. C'est la première fois qu'Adonis se déplace à Alger où il a reçu tous les honneurs à la grande salle de la Bibliothèque nationale. Entouré d'hommes de lettres, la presse, les photographes, cet habitué des grands discours a ouvert son débat sur la question d'actualité qu'est le devenir du monde arabe et musulman. Un monde en proie à de profondes mutations et vivant dans les troubles des cassures et des perturbations. Il n'était pas venu, le poète, pour donner des solutions toutes faites, mais a tenté de comprendre et d'explorer ce qui va mal dans les contrées musulmanes et arabes. Tout comme Socrate, Adonis préfère l'observation, l'exploration avant de théoriser ou de conceptualiser quoi que ce soit. L'invité de la BN voulait titiller les sociétés arabes pour les amener à réfléchir davantage en analysant ce qui ne va pas. Il abordera ainsi deux questions incontournables en rapport avec la religion et la politique. Il illustrera ses dires par l'exemple du Hezbollah libanais avec lequel il est d'accord sur le plan de la lutte mais pas sur celui d'imposer une hégémonie religieuse à un peuple issu de différentes croyances. En clair Adonis est partie prenante d'une tolérance sans faille qui naîtrait d'un respect total de la foi des uns et des autres. Le poète rêve d'un monde arabe où les gens s'écoutent, se respectent et s'acceptent sans qui ne soient forcément de la même religion. Il a, par ailleurs, dressé un tableau peu reluisant du monde arabe, avec cette volonté de parler de ses failles qui ne sont pas une fatalité. Le poète a indexé les régimes politico-religieux qui étouffent les sociétés arabes et les intellectuels qui reproduisent en boucles des idées prêt-à-porter. “Vers une résistance radicale et globale ” a soutenu Adonis l'auteur du fameux Le constant et le variable. Adonis qui se sent concerné par les bouleversements que connaît le monde et notamment les pays arabes, est considéré comme l'un des plus grand poètes arabes vivants. Il est un influent autodidacte, voire iconoclaste, quant à la réévaluation critique de la tradition poétique arabe vis-à-vis des pressions intellectuelles, politiques et religieuses du monde arabe actuel, l'exemple le plus frappant étant la Prière et l'Épée : essai sur la culture arabe. Son œuvre révèle plusieurs thèmes : injustice, dictature, guerre, misère... Il prend les évènements pour en faire des mythes, mais on ne peut pas le classer dans les poètes engagés. “ Le Temps des villes ” démontre une connaissance exacerbée des grandes métropoles du monde arabe moderne. Il a pris position dans “ Al Hayat ” contre le port du voile. L'iconoclaste a réellement donné une vraie fraîcheur aux habituels discours de la Bibliothèque nationale.