L'armée est intervenue dans la lutte pour le pouvoir à Madagascar en se rangeant aux côtés de l'opposition et en prenant le contrôle d'un palais présidentiel et de la banque centrale. Deux chars ont pénétré de force dans l'enceinte du palais présidentiel en plein centre de la capitale, tandis que retentissaient une violente explosion et une brève fusillade. L'appareil militaire s'était auparavant rallié à Andry Rajoelina, ancien maire d'Antananarivo qui, taxant le président Marc Ravalomanana de dérive autoritaire, réclame son arrestation. Le chef de l'Etat ne se trouvait pas sur place. Il a trouvé refuge dans un autre palais, connu sous le nom d'Iavoloha, situé à une dizaine de kilomètres de la capitale. "Le palais est occupé. C'était notre mission pour aujourd'hui. Pour l'instant, nous n'avons pas d'autres ordres", a déclaré à Reuters un colonel occupant le palais. Prié de dire si l'armée envisageait d'envoyer des chars vers l'autre palais présidentiel, l'officier supérieur, qui a requis l'anonymat, a répondu: "Non. Pour l'instant, nous n'avons pas d'autres ordres". Rajoelina, a assuré ne pas avoir ordonné à l'armée d'intervenir. "A l'heure actuelle, Ravalomanana n'a pas de pouvoir. Avons-nous l'intention de prendre Iavoloha ? Beaucoup de choses vont se passer dans les prochaines 48 heures", a-t-il déclaré à Reuters qui l'interrogeait par téléphone. "Ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre (de prendre le palais)." Le chef de file de l'opposition avait demandé un peu plus tôt à la police et à l'armée d'arrêter le chef de l'Etat. "Je demande à l'armée et à la police, et à tous ceux qui le peuvent, de mettre en oeuvre l'injonction du ministre de la Justice, parce qu'Andry Rajoelina est impatient de prendre ses fonctions", a-t-il dit en parlant de lui à la troisième personne. Le chef d'état-major de l'armée malgache a déclaré que les militaires de la Grande Ile de l'océan Indien soutenaient Andry Rajoelina "à 99%". "Nous sommes ici pour le peuple malgache", a déclaré lors d'une conférence de presse le colonel André Ndriarijaona. "Si Andry Rajoelina peut régler le problème, nous sommes derrière lui." La police et la gendarmerie étaient également représentées à la conférence de presse. Auparavant, l'ex-maire de la capitale, démis de ses fonctions par son rival, avait rejeté la proposition du président d'organiser un référendum pour sortir le pays de la crise, qui a fait au moins 135 morts depuis le début de l'année. "Le référendum est d'ores et déjà fait. La population s'est déjà exprimée. Il n'y a pas lieu d'organiser un référendum", a déclaré Rajoelina à la télévision nationale. "La démission de Ravalomanana, voilà la solution!", a-t-il ajouté. Rajoelina, surnommé "TGV" pour son tempérament de fonceur, qualifie Ravalomanana d'autocrate dirigeant le pays comme une entreprise privée, alors que le président accuse son rival d'être un fauteur de troubles cherchant à s'emparer du pouvoir illégalement. L'opposition a pris samedi possession de la Primature, les bureaux du Premier ministre, affirmant qu'elle assumait le pouvoir et promettant des élections d'ici deux ans. Une mutinerie a éclaté il y a une semaine dans une importante caserne des environs d'Antananarivo, le Capsat, où des mutins ont réclamé le départ de l'actuel président tout en excluant la formation d'une junte militaire. Lors d'une réunion d'urgence consacrée à la situation à Madagascar, l'Union africaine a condamné lundi une "tentative de coup d'Etat". "L'Union européenne rejette évidemment tout acte de violence et si un nouveau chef d'Etat prend le pouvoir par la force, la force militaire, ou en violant la Constitution, nous ne le reconnaîtrons pas", a par ailleurs averti le ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, menaçant de geler les aides au développement. De leur côté, les Nations unies ont dépêché Tiébilé Dramé, ancien ministre malien des Affaires étrangères, pour jouer un rôle de médiation. Dramé a appelé lundi de ses voeux la formation d'un gouvernement d'union nationale. "A l'issue de cette crise, Madagascar aura besoin d'un gouvernement de consensus qui devra aller au-delà de Ravalomanana et de Rajoelina", a-t-il dit à Reuters. "Madagascar doit tourner le dos au cycle de violence. La seule voie possible pour trouver une solution est celle du dialogue et de la démocratie". Les troubles des derniers mois risquent de porter un coup très grave au secteur clé du tourisme, qui rapporte 390 millions de dollars de devises par an, et de faire fuir les investisseurs étrangers présents notamment dans la prospection pétrolière et minière. L'"Ile rouge" est, malgré ses immenses richesses agricoles et minières, l'un des pays les plus pauvres de l'Afrique où une bonne partie de la population vit sans électricité ou eau potable, avec moins de deux dollars par jour et par habitant.