Le rôle de la littérature dans la formation de l'identité et la culture nationales des sociétés colonisées a été souligné lors du colloque international sur les "regards croisés sur deux espaces: l'Afrique et l'Occident" organisé à Oran. Les exposés présentés lors de cette journée ont mis en relief l'importance de la littérature conçue d'abord comme instrument de combat durant la période coloniale et ultérieurement comme outil de communication mis au service du dialogue avec "l'autre" par les hommes de lettres issus des sociétés anciennement dominées. Partant de ce postulat, Dalila Ouali de l'université d'Oran a mis en évidence l'apport des écrivains algériens de la période coloniale dans le "façonnement" de la culture nationale. Elle a, dans ce contexte abordé a titre d'exemple le recours du romancier Mohamed Dib aux expressions du terroir algérien (proverbes et locutions courantes) dans ses romans écrits pourtant dans une langue étrangère. Ces emprunts sémantiques illustraient la volonté de l'auteur de la trilogie (La Grande Maison, L'incendie et Le Métier à Tisser) de mettre en valeur ces expressions, d'une part, et de s'approprier la langue de l'autre, le Français en l'occurrence, d'autre part, a-t-elle soutenu. Abondant dans le même sens, Dora Leontardou de l'université d'Athènes (Grèce) a indiqué que l'apprentissage des langues étrangères transite souvent par les mécanismes (de pensée) de la langue maternelle ou nationale. L'universitaire grecque, qui a plaidé pour le respect des langues maternelles y compris celles dites mineures, a présenté un exposé à travers lequel elle s'était particulièrement intéressée à l'expérience singulière de son compatriote, le romancier Vassillis Alexakis, qui a décidé d'apprendre une de ces langues "mineures", le "songho" usité par une des tribus de la République centrafricaine. L'assimilation par un Occidental d'une langue africaine, orale de surcroît, illustre la possibilité d'une interactivité positive entre l'Europe et l'Afrique, a-t-elle souligné. Ce colloque qui se voulait, selon ses organisateurs, une tribune du dialogue de civilisations a également permis de mettre en valeur la contribution de la nouvelle génération d'hommes de lettres africains et orientaux à la culture universelle. A ce titre, l'oeuvre de l'écrivain djiboutien Abdourrahaman Waberi "aux Etats-Unis d'Afrique" a été proposée au débat par Lynda Chouiten de l'université de Boumerdès. Cette oeuvre littéraire (2006), en procédant à une inversion des rôles, présente une Afrique chimérique, prospère faisant face à un flux migratoire impressionnant de "pauvres caucasiens fuyant une Euramérique, tout aussi fictive évidemment, miséreuse et sous-développée".