La campagne électorale dans sa dernière ligne droite en Afghanistan. Le président sortant, Hamid Karzaï, a participé à son premier débat face à deux de ses adversaires. L'occasion pour lui de justifier sa politique d'alliances avec les chefs de guerre, un choix controversé qui cristallise les critiques de ses opposants. Tous prennent au sérieux la menace des Talibans. Les insurgés ont averti les citoyens afghans qu'ils attaqueraient les bureaux de vote jeudi. Le ministre de l'Intérieur s'est voulu rassurant : "Les Afghans vont se rendre dans les bureaux de vote et ils voteront pour la personne de leur choix", a affirmé Hanif Atmar. "Ils montreront, une fois de plus, leur courage et leur remarquable ténacité." Le pays est donc plus que jamais sous tension, notamment après l'attentat-suicide qui a coûté la vie à sept civils à Kaboul. Trois soldats britanniques sont décédés ce dimanche, tués lors d'une patrouille dans la province du Helmand, où les combats s'intensifient. A trois jours des élections présidentielles et provinciales, Hamid Karzai est en tête des sondages avec 44% d'intentions de vote. Pour s'assurer la victoire, il a autorisé le retour d'Abdul Rashid Dostum, exilé en Turquie depuis 2008. Une décision qui devrait lui permettre d'obtenir le soutien des partisans du général ouzbek, accusé de crimes de guerre par les organisations de défense des droits de l'homme. Une participation élevée est primordiale dans le sud de l'Afghanistan pour que les élections de jeudi soient considérées comme légitimes. Mais les habitants de cette région, déçus par le gouvernement d'Hamid Karzaï, qu'ils jugent corrompu et incompétent, sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les talibans. Et la sécurité reste incertaine, alors que les fondamentalistes menacent d'attaquer les bureaux de vote et de s'en prendre aux électeurs qui tenteraient de se rendre aux urnes. Eitadullah Khan, un homme d'affaires d'une trentaine d'années, souligne que malgré les milliards de dollars (d'euros) d'aide internationale reçus par le pays ces dernières années, la situation de l'Afghan moyen ne s'est pas améliorée. Selon lui, c'est le détournement de ces sommes qui renforce l'insurrection islamiste. "L'argent va des mains de la communauté internationale directement dans les poches du gouvernement", accuse cet habitant de Musa Qala, dans la province de Helmand. "Maintenant, je dirais que 95% des gens soutiennent les talibans". Ces derniers menacent de couper le nez et les oreilles de quiconque se rendrait aux urnes lors des élections présidentielle et provinciales de jeudi, explique Eitadullah Khan en se touchant le nez et les lobes. L'avertissement vaut également pour les doigts teintés d'encre, signe que l'électeur a voté. D'après les habitants, les talibans ont distribué dans les villes et les villages de tout le sud de l'Afghanistan des shabnamas, ou lettres nocturnes, un mode traditionnel de messagerie clandestine. L'Associated Press s'est procuré l'une de ces lettres, qui porte le sceau de l'Emirat islamique d'Afghanistan. Le message reproche au gouvernement Karzaï sa loyauté envers les Etats-Unis et menace les électeurs qui participeraient au vote. A Kandahar, les talibans ont également diffusé samedi soir des tracts menaçant d'attaquer les bureaux de vote. "Vous ne devez pas participer aux élections et ne pas vous rendre aux bureaux de vote, car des responsables pourraient s'y trouver et il pourrait y avoir des attaques contre eux", affirme un de ces tracts, signé par le commandant taliban Ghulam Haidar et apposé sur les murs de la mosquée. "Vous ne devez pas participer aux élections car vous pourriez être les victimes de vos opérations" de vote, ajoute-t-il. Le chef des services de renseignement afghan, Amrullah Saleh, a déclaré que des pourparlers étaient en cours avec des chefs talibans locaux pour éviter l'attaque des bureaux de vote. Il n'a pas fourni de plus amples détails. Le gouvernement afghan aura bien du mal à garantir la sécurité du scrutin car il ne contrôle pas tout le sud du pays. Dans chacune des cinq provinces du Sud (Kandahar, Helmand, Nimroz, Uruzgan et Zabul), plusieurs districts sont aux mains des talibans. Le général Ghulam Ali Wahadat, chef de la police régionale, précise que des milliers d'hommes vont être déployés pour protéger les 626 bureaux de vote répartis dans ces cinq provinces. "Nous les protégerons", promet-il. Cependant, interrogé sur le niveau d'équipement de ses troupes, il perd un peu de son assurance. "Nous n'avons que de vieux AK-47 et même pas assez de munitions", a-t-il confié à l'AP lors d'un entretien dans son bureau de Kandahar transformé en forteresse. "Les talibans ont des armes neuves, des mitrailleuses et plein de balles", reconnaît-il. "Nous, nous n'avons même pas assez de balles pour nos fusils".