Avec Tapis rouge, spectacle de Riadh Fehri, le rideau est tombé lundi soir sur la 45e édition du doyen des festivals d'été en Tunisie. Tapis rouge a déployé ingéniosité et ressources pour conquérir un public (d'avance acquis) estimé à plus de 7.000, occupant tous les recoins des gradins du théâtre romain de Carthage. Hymne à la tolérance, à l'amour et à la paix, Tapis rouge se conçoit comme ouverture sur l'Autre, surtout par les temps qui courent où tourner le dos à son prochain est plutôt de mise. A cet effet, Riadh Fehri a élaboré, avec une bonne dose de jugement critique et d'expérience, un spectacle réellement imposant où une centaine d'artistes et d'instrumentistes, venue des quatre coins de la planète : (Autrichiens, Hollandais, Italiens, Vénézuéliens, Syrien, Irakien, Irlandais, Tunisiens et autres), s'est retrouvée le temps d'une soirée, mêlée dans la quintessence joyeuse et débridée, triomphante et déchaînée d'un spectacle tout en rebondissements et en imprévus. Un vrai kaléidoscope aux multiples couleurs, et aux reflets irisés comme des fragments d'opale. Riadh Fehri, artiste intelligent, fin et délicat, a toujours laissé s'exprimer, sans la moindre retenue, sa nature volubile et sa verve émotionnelle dans ses créations. Concert à multiples facettes et diverses attractions, ce "mariage mixte" a fusionné des musiques contradictoires dans leurs conceptions : classique, airs d'opéra, musique savante d'Orient, airs latinos d'Amérique latine, jazz, musique appalache d'Amérique du Nord, musique soufie et même un zeste de mezoued. La formidable armada, placée sous la direction d'Uwe Theimer, le chef de l'orchestre du Bal de l'opéra de Vienne, a bariolé de couleurs un concert de bonne facture. Riadh Fehri n'aura manqué ni d'assurance ni d'imagination. En homme des défis, il a prouvé qu'un vrai musicien peut tout oser et faire de ses audaces des réalités toujours nouvelles. Dans cette interculturalité musicale, le public a surgi, navigué vers des contrées où le bruissement des ailes du condor du Pérou ou du Vénézuela, le bal guinguette des cafés populaires ou des saloons du Far-West, façon Ennio Morriconne, où les airs d'opéra de Vienne, la musique langoureuse et nostalgique d'Andalousie, ou mystique du Maghreb sont vite transformés en oratorios, sacrés ou profanes selon l'inspiration du moment, entremêlés intimement dans un même élan jubilatoire et festif. Mais l'émotion était à son comble lorsque Fehri a invité sur la scène son mentor et maître Salah Mahdi pour une wasla maghrébine. Moment insolite, émouvant, une première en quelque sorte. Accompagné du jeune Sofiane Zaïdi, l'auguste maître Ziriab, toujours alerte et vif, a chanté, encore étonnant de justesse, des extraits de musique soufie du mystique algérien Sidi Boumédiène et de l'Egyptien Baha Zouhaïr. De fort belles liturgies mystiques dans le genre de L'amour crée des miracles. Le public, conquis et séduit, a applaudi à tout rompre. Parmi les autres temps forts, les prestations du pianiste Bassam Makni, de l'élégant Irakien Ahmed Adnan qui a présenté un petit aperçu de la musique mésopotamienne des Sumériens, de la jeune et luthiste Mariem Saâd qui a joué par deux fois, d'abord des morceaux Angéline, Tariq et Juanita, ensuite un extrait du concert de Riadh Fehri, Sabika. Le public a enfin chaleureusement salué le festin symphonique des élèves de l'Ecole internationale de Carthage et du conservatoire de Sidi Bou Saïd. Notamment les jumeaux éthiopiens, les deux jumelles tunisiennes et Aymen Tritar, âgé de quinze ans et qui réside aux USA. Mais la vraie surprise nous est venue du Vénézuelien, Pedro Eustache qui, à lui seul, vaut le déplacement. Doté d'un charisme fou, il a le don de galvaniser les foules et d'exercer sur elles un ascendant hors du commun. Avec sa gouaille, propre aux faubourgs des favellas et des haciendas sud-américaines, il a littéralement mis le feu aux gradins. Jouant de plus d'un instrument (saxo, guitare flûte), s'attaquant même au mezoued, le rythme acéré et chaloupé. Autres moments : le numéro présenté par une formation italienne de six instrumentistes qui jouent et jonglent d'instruments miniaturisés. Grand numéro d'acrobatie. En fin de programme, l'orchestre, au complet et sous la direction d'Uwe Theimer, a joué un morceau formidable intitulé Do, Si, les notes du solfège dans des sons musicaux à faire vibrer d'émotion.