L'Allemagne pourrait-elle devenir ingouvernable ? au jour J, l'incertitude régnait toujours quant à la couleur de la nouvelle coalition qui sortira des urnes. Et c'est, au fond, la seule question qui a préoccupé états-majors des partis et commentateurs, du début à la fin de cette campagne électorale : à quel type d'alliance peut-on prétendre face à l'émiettement du paysage politique allemand ? Un phénomène qui s'accélère depuis l'apparition du parti de la gauche radicale, Die Linke, et met à mal l'émergence de majorités stables. A en croire les instituts de sondage, c'est une singularité du code électoral allemand qui pourrait déterminer l'issue du scrutin dimanche soir : les "mandats excédentaires" (Überhangsmandate), susceptibles de faire pencher la balance du côté de la CDU d'Angela Merkel en lui apportant quelques sièges supplémentaires bienvenus. Outre-Rhin, chaque électeur dispose de deux voix, l'une pour un candidat dans sa circonscription et l'autre pour un parti. Si, dans un Land, un parti obtient - grâce aux premières voix - un nombre d'élus directs supérieur à ce qu'il aurait obtenu à la seule proportionnelle, il garde ses "mandats excédentaires". Cette année, les conservateurs pourraient décrocher une vingtaine de sièges supplémentaires. Un plus peut-être décisif en cas de résultats très serrés. Cela permettrait à Angela Merkel de gouverner, comme elle le souhaite, avec les libéraux du FDP. Le président du SPD, Franz Müntefering, a d'ores et déjà dénoncé une "coalition sans légitimité" et la tête de liste des Verts, Jürgen Trittin, une "majorité escroquée". De fait, la Cour constitutionnelle a condamné, en 2008, ce système. Tout en laissant au gouvernement jusqu'en 2011 pour modifier le code électoral. Un coup d'oeil aux derniers sondages avant le vote en donne un aperçu très concret. Les Unions chrétiennes CDU-CSU arrivent certes en tête. Mais le score n'a rien de glorieux : Angela Merkel est en passe de rééditer son résultat des législatives de 2005 (35,2 %), jugé à l'époque fort médiocre. Quant au parti social-démocrate (SPD), il est crédité de 25 % à 26 % des voix. Loin, bien loin des 40 % et des poussières obtenus par Gerhard Schröder en 1998. Les deux grands Volkspartei ("partis de rassemblement populaire") se montrent incapables de stopper l'hémorragie de leur électorat. Phénomène parallèle, selon les sondages, le nombre d'abstentionnistes et d'indécis bat des records. A la veille du scrutin décisif, un quart des électeurs hésite encore. "Cela m'inquiète beaucoup d'entendre et de lire qu'autant de gens n'ont pas encore décidé pour qui ils voteront, voire s'ils iront voter", a réagi l'ancien chancelier CDU Helmut Kohl, sorti de son silence le temps d'une interview au tabloïd Bild, jeudi 24 septembre, pour soutenir Angela Merkel. Dans la dernière ligne droite, le SPD essaie, quant à lui, d'en tirer parti : "Allez voter le 27 septembre ! Demandez à vos voisins s'ils voteront. Convainquez-les. Les sociaux-démocrates ne sont pas infaillibles, mais nous n'avons pas perdu le nord pendant la crise, souvenez-vous-en !", a lancé le candidat social-démocrate, Frank-Walter Steinmeier, lors d'un meeting. Le taux de participation devrait être l'un des plus bas depuis l'existence de la République fédérale. Les experts y voient, pour beaucoup, le résultat de l'incapacité des deux grands partis à se distinguer après quatre ans à gouverner ensemble. Et Mme Merkel, en choisissant de mener jusqu'au bout une campagne sans contenu, n'a pas su éveiller l'intérêt des Allemands. Intégration, éducation, sécurité... : aucun de ces sujets d'actualité n'a été abordé par la chancelière qui a concentré son discours sur d'hypothétiques baisses d'impôts. L'issue des élections promet un peu plus de suspense, après des semaines de débat sans saveur. Une alliance entre les conservateurs et les libéraux du FDP, favorisée par Mme Merkel, ne dispose dans les sondages que d'une très courte avance (47 % à 48 % des voix). "Les élections ne seront décidées que dans les derniers mètres", a reconnu le secrétaire général de la CDU, Ronald Pofalla. Des coups de théâtre sont envisageables. Les libéraux ont promis de ne s'allier qu'avec la CDU. Mais certains assurent qu'ils pourraient virer de bord au soir du 27 septembre s'ils ne peuvent entrer au gouvernement qu'à travers un mariage avec le SPD et les Verts. Pourtant, pareille alliance, presque contre-nature et formée sur le plus petit dénominateur commun, risquerait de voler rapidement en éclats. Dès lors, plus personne n'ose exclure le scénario d'une reconduction de la grande coalition CDU-SPD. Mais une telle combinaison, qualifiée à l'origine d'"exception démocratique", pose là aussi un problème de stabilité. En cours de législature, les sociaux-démocrates pourraient bien céder à la tentation d'une alliance avec le parti de la gauche radicale Die Linke. Et détrôner ainsi Angela Merkel avant les élections de 2013. La chancelière n'est pas dupe de cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête : "Certains au sein du SPD rêvent de travailler main dans la main avec Die Linke avant cette échéance, a-t-elle récemment accusé. Peut-être dès 2012, ou même 2011." Avec cinq acteurs installés pour de bon dans le jeu politique allemand, la formation de gouvernement est devenue un vrai casse-tête. Les dernières élections régionales du 30 août l'ont une nouvelle fois démontré. En Sarre, à l'ouest, et en Thuringe, à l'est, les partis n'ont toujours pas réussi à se mettre d'accord cinq semaines après le vote. "Cela tient aussi aux vieux réflexes des partis qui réfléchissent toujours en termes de droite ou de gauche", souligne Oskar Niedermayer, politologue à l'Université libre de Berlin. Le scénario se répétera-t-il au niveau fédéral ? En 2005, conservateurs et sociaux-démocrates avaient passé plus de deux mois à négocier avant de parvenir à s'entendre sur la nomination d'Angela Merkel à la tête du gouvernement. La chancelière part à nouveau grande favorite du scrutin. Mais rien ne dit qu'elle pourra de sitôt prêter serment au Bundestag. M.K