Les Belges étaient partagés vendredi entre la fierté et l'inquiétude après la nomination d'Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil européen en raison des risques d'instabilité lorsqu'il aura abandonné son poste de Premier ministre. Son arrivée à la tête du gouvernement, il y a près d'un an, a en effet inauguré une période contrastant avec les dix-huit mois quelque peu troublés au cours desquels, Yves Leterme, son prédécesseur présenté aussi comme son successeur le plus probable, a peiné pendant près d'un an à former un gouvernement qui n'aura duré que neuf mois. "Il y a un nouvel élément de fragilité, M. Leterme ne jouit pas de la même confiance auprès des francophones que M. Van Rompuy", explique Pascal Delwit, professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles. Le roi Albert II s'est entretenu vendredi matin avec Herman Van Rompuy, qui doit prendre début janvier ses nouvelles fonctions à l'UE, avant de recevoir les présidents de partis. Le souverain a confié vendredi soir à l'ancien Premier ministre Wilfried Martens, 73 ans, la tâche de faciliter la transition. Wilfried Martens, qui a été Premier ministre entre 1979 et 1992, s'était vu confier la même tâche en décembre dernier lorsque Yves Leterme a finalement dû démissionner après les remous suscités par le sauvetage de la première banque belge Fortis et la vente d'une partie de ses actifs au français BNP Paribas. Yves Leterme, fort d'une nette victoire aux élections fédérales de juin 2007, sur laquelle s'appuie aujourd'hui son parti pour lui renouveler son soutien, n'était finalement parvenu à former un gouvernement qu'en mars de l'année suivante. Des discussions sont en cours à Bruxelles sur le mode de transition, mais plusieurs ministres ont déjà signalé qu'ils privilégieraient un remaniement a minima pour ne pas bousculer les équilibres atteints par le nouveau président de l'UE. La socialiste Laurette Onkelinx, vice-Premier ministre, a déclaré à la RTBF qu'il faudrait "faire du Van Rompuy sans van Rompuy", tant l'homme avait réussi à pacifier les relations entre les deux principales communautés du pays. Des alternatives ont été proposées par les francophones, mais elles se sont heurtées au refus du parti d'Yves Leterme, le premier du pays, ce qui en fait le faiseur de rois. L'ensemble des médias francophones se montrent cependant inquiets de ce retour annoncé, alors que l'épineux dossier communautaire revient sur le devant de la scène politique belge. Il s'agira notamment de trancher, sans doute en 2010, la question de la scission de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvoorde en vue d'en rattacher une partie, à majorité francophone, à la région flamande. Yves Leterme n'avait jamais réussi à trouver un accord sur ce dossier, un rattachement impliquant de facto que les 150.000 francophones habitant dans la périphérie flamande de Bruxelles devront voter pour des hommes politiques flamands. Sans être arrivé à trouver un compromis à ce stade sur ce sujet qui est lourd de danger pour la pérennité du pays, Herman Van Rompuy a su travailler dans la discrétion en s'abstenant de toute provocation à l'égard des francophones. Ce n'était pas vraiment le cas d'Yves Leterme, qui les a multipliées pendant son règne comme Premier ministre. Il dit souvent que Flamands et Wallons n'ont en commun que la monarchie, la bière et l'équipe nationale de football. Pour lui, la Belgique, en tant que telle, ne doit pas être défendue si elle n'apporte pas une "plus-value" aux Flamands. Le 10 juin 2007, il avait célébré sa victoire entouré de militants brandissant des drapeaux flamands et le drapeau belge noir-jaune-rouge était invisible. Prié d'entonner l'hymne national belge, la Brabançonne, il avait commencé à chanter ... La Marseillaise. Dans une interview à Libération, il avait fustigé ces Wallons qui "ne sont apparemment pas en état intellectuel d'apprendre le néerlandais", provoquant un tollé dans le pays. Cet homme qui manie aussi bien le français que le néerlandais - son père était wallon, sa mère flamande et il soutient le club wallon du Standard de Liège - n'a jamais présenté ses excuses, même s'il a admis une maladresse. Il affirme ne pas vouloir en finir avec l'Etat belge, contrairement à ce que craignent les Wallons effrayés à l'idée d'être privés de solidarité nord-sud.