Un monde fou attendait mardi matin, des heures durant, sous un froid glacial devant l'entrée de la Bibliothèque nationale du Hamma. Ce n'était pas pour voir passer la reine Sofia d'Espagne, qui allait inaugurer à cet endroit une exposition consacrée au penseur espagnol Ramon Llull, sous le titre “Raimundus, christianus arabicus”, mais c'était plutôt pour aller en salle de révision et en bibliothèque. “Je ne sais pas ce qui se passe, j'attends ici depuis trois heures ” lance une étudiante qui ne désespère de voir les portes de cet espace s'ouvrir. “Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?” s'interroge une autre étudiante entourée de ses copines. La sécurité était totale, le parking carrément fermé puisque dès midi, c'est-à-dire un heure avant l'arrivé du cortège présidentiel, ce dernier était saturé. A l'entrée principale, une impressionnant cordon de sécurité guettait le moindre passage. Hormis la télévision et l'APS, les autres représentants de la presse ne seront pas autorisés à couvrir l'événement. La reine Sofia, qui met les pieds pour la première fois dans notre pays, était accompagnée de Souad Bendjaballah, ministre déléguée à la Recherche scientifique. Les deux femmes ont fait le tour de l'exposition qui porte essentiellement sur la vie et l'œuvre de Ramon Llull. Mais qui est Ramon Llul ? Très jeune, il fut page de Jacques le Conquérant, roi d'Aragon avec qui il est initié aux arts martiaux européens. Plus tard, il deviendra précepteur du fils du roi, l'infant Jacques, futur roi de Majorque dont il fut le sénéchal. Son éducation et son esprit sont alors, entièrement, voués à la chevalerie. À la cour du roi, à Perpignan, il composa le Llibre de la cavalleria, traité des devoirs du parfait chevalier. “ Lorsqu'il était sénéchal de la table du roi de Majorque, Raymond, jeune encore, se consacrait à composer de vaines chansons et des vers et autres vanités mondaines. Une nuit, il était assis près de son lit en train de composer et d'écrire, en sa langue vulgaire, une chanson pour une dame, qu'il aimait alors d'un amour insensé. Lorsqu'il commença de l'écrire [...], il vit le Seigneur Jésus-Christ. ” Une légende raconte ainsi la cause de la conversion de Raymond : amoureux d'une femme qui se refusait à lui, Raymond la poursuit à cheval jusque dans une église de Majorque ; afin de le dissuader de l'aimer, cette malheureuse découvrit sa poitrine pour lui offrir le spectacle d'un sein rongé par le cancer. Ramon est philosophe, poète et descendant d'une famille noble catalane. Il a vécu au XIIIè siècle. Ce rendez-vous qui lui rend hommage est organisé conjointement par l'Institut europeu de la Mediterrania (IEMed), la Bibliothèque nationale d'Algérie, le ministère espagnol des Affaires extérieures et de la Coopération, commémore le 700e anniversaire du séjour de Ramon Llull dans la ville de Béjaïa. Cette exposition, réalisée pour la première fois sur Ramon Llull, se veut, selon les organisateurs, “contribuer significativement à la connaissance d'un épisode concret de l'histoire des relations entre la Couronne d'Aragon et les pays du Maghreb”. “L'exposition Raimundus, christianus arabicus” présente le cas de Ramon Llull comme un produit paradigmatique de la rencontre des cultures qui a eu lieu à l'époque médiévale. Llull, qui est un “Catalan de Majorque, comme il se plaisait à le dire, se proposait de développer un projet personnel empreint d'une dimension intellectuelle, religieuse et politique d'une exceptionnelle richesse, en ce qu'elle témoigne de l'importance de l'apport de la culture catalane dans l'histoire des relations interculturelles”, est-il noté dans le document de présentation de cette manifestation culturelle. L'exposition comporte une quinzaine de manuscrits datant des 13e , 14e et 15e siècles, dont quatre corpus contemporains de Ramon Llull, remontant au premier quart du 14e siècle. “ La tradition manuscrite lullienne se distingue par sa sobriété et, à de rares exceptions près, les manuscrits, dont Llull a confié l'écriture à des professionnels, s'appuient toujours sur le modèle du livre d'études universitaires et ils sont, par conséquents, dépourvus d'illustrations”, est-il ajouté dans le document. La reine Sofia a accompagné son époux le roi d'Espagne Juan Carlos 1er qui est arrivé, mardi matin à Alger, pour une visite d'Etat de trois jours.