Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert international (1)
1.-L'analyse du gaz, énergie importante, ne peut se comprendre sans la replacer à la fois dans la nouvelle configuration de la stratégie énergétique mondiale , tenant compte des coûts, pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement, ces recherches ayant occasionné des coûts entre-temps non amortis , du nouveau défi écologique avec un changement notable du modèle de consommation énergétique qui se dessine entre 2015/2020 . Nous savons qu'en moyenne , le prix de cession du gaz devant tenir compte bien entendu des fluctuations du dollar monnaie de référence, est d'environ 1/10 du prix du pétrole malgré de lourds investissements encore qu'existent des différences de prix mais avec un écart faible, fonction des zones géographiques et des modalités de contrat, le prix de cession étant indexé sur celui du pétrole . Pourtant, l'expérience historique a montré que cette formule d'indexation pose problème , n'ayant pas toujours eu une proportionnalité : pour preuve au moment où le prix du pétrole dépassait 100 dollars, le prix du MBTU(ndlr : le MBTU "million d'unités thermales britanniques" égal à 27,6 mètres cubes), n'a jamais approché 10 dollars et actuellement nous avons un cours du pétrole fluctuant entre 75/80 dollars et le prix de cession du gaz malgré un hiver rigoureux varie entre 5 et 6 dollars. Cela est important pour l'Algérie puisque le gaz brut ( GN et GNL) représente environ un tiers (1/3) de la valeur en devises de ses exportations, et beaucoup plus à l'avenir puisque pour le pétrole ayant moins de 1% des réserves mondiales allant, à moins d'un miracle, vers l'épuisement dans moins de 18 ans. L'Algérie est mieux dotée en gaz représentant actuellement selon les statistiques internationales 3% des réserves mondiales,(4500 milliards de mètres cubes gazeux estimation de 2006 ) mais devant tenir compte de la forte consommation intérieure , 85 milliards de mètres cubes gazeux d'exportation et 75 milliards de consommation intérieure si toutes les unités programmées sont réalisées , posant d'ailleurs le problème du prix de cession intérieur largement inférieur au vecteur prix international, soit au total une production annuelle de 160 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2014/2015. C'est dans ce cadre que l'Algérie a programmé d'importants investissements, tant à travers les canalisations ( Medgaz et Galsi), que la construction de deux GNL ( Skikda et Arzew ) les exportations représentant 50% de gaz naturel et 50% de GNL, ce ratio devant tourner autour de 60% de GN et 40% de GNL horizon 2014/2015. 2.-C'est dans l'optique du moins au départ , qu'a été décidé qu'Oran (Algérie) abritera la capitale du gaz à compter du 18 au 21 avril 2010 et l' idée d'une OPEP gaz a été évoquée par certains membres afin de stabiliser les prix encore que le secrétaire général du forum, le Russe Leonid Bokhanovski, suivi par la suite par le Premier ministre Wladimir Poutine, a démenti, en décembre 2009, que l'Organisation allait se transformer en cartel -sur le modèle- de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Pour ma part, je considère qu'il est utopique dans la conjoncture actuelle de parler d'une OPEP/GAZ à l'image d'une OPEP de pétrole ce qui ne signifie nullement qu'il ne faille pas favoriser les ententes entre les pays producteurs et un dialogue permanent avec les pays consommateurs et ce pour trois raisons. a. La première raison est que selon les statistiques internationales de 2008/2010, le commerce mondial de gaz naturel est essentiellement transporté par le biais du réseau de gazoducs (72% ) contre 28% pour le transport par tankers de GNL (gaz naturel liquéfié). En raison de la faible proportion de gaz naturel échangée par rapport à la quantité produite, il n'existe pas véritablement de marché global, mais des marchés régionaux, qui possèdent des organisations, une maturité et des filières différentes. Certes , contrairement au gaz naturel, le GNL, permet la concurrence sur des marchés traditionnellement tenus par des opérateurs historiques, de s'affranchir des tensions géopolitiques, source de volatilité des prix, de diversifier ses sources d'approvisionnement en atténuant la contrainte physique en faveur d'une liberté de choix commercial, de sécuriser ses approvisionnements en répartissant le risque sur un plus grand nombre de producteurs, mais la production et le transport du GNL exigent d'importants investissements entre 3 à 5 milliards de dollars US selon les capacités. b- la deuxième raison est que les contrats tant du gaz naturel que du GNL sont dominés par les contrats à moyen et long terme y compris sur des périodes allant de 20 à 25 ans de façon à offrir un approvisionnement garanti de base, auquel peut s'ajouter un approvisionnement couvert par des contrats à court terme, pour les périodes de forte demande. c.-La troisième raison essentielle est la nouvelle donne depuis la crise économique d'octobre 2008, ayant provoqué des bouleversements sur l'évolution des prix avec comme conséquence principale une déconnexion prononcée entre les prix du gaz et les prix du pétrole, liée à la progression de production de gaz non conventionnel aux Etats-Unis et à la surabondance de l'offre tant du gaz naturel (GN) que du gaz naturel liquéfié (GNL) dans le monde . Et le repositionnement qui s'opère aux Etats-Unis vers le gaz non conventionnel grâce à la nouvelle découverte technologique révolutionnaire, au détriment du GNL, va modifier la donne au plan mondial qui risque d 'être rejoint par de nombreux pays , les experts jugant que des réserves d'une ampleur équivalente aux USA peuvent être trouvées en Europe ou en Asie et en Russie expliquant la baisse vertigineuse du prix du gaz sur le marché libre spot depuis près d'une année et paradoxalement segmentant encore plus le marché qui devient de plus en plus local. Les réserves mondiales de gaz de schiste sont estimées récemment à près de 900 téramètres cubes, soit plus de quatre fois les ressources de gaz conventionnel et leur part dans l'approvisionnement en gaz passant de 39 % en 2007 à 44 % en 2008 . Aux Etats-Unis , le Department of Energy a revu à la baisse sa prévisions de demande de GNL de plus de 60 % à l'horizon 2020; d'où le gel voire l'abandon de plusieurs projets de regazéification. Mais deux facteurs doivent être pris en compte. Premier facteur, les experts disposent encore de peu de données en dehors des Etats-Unis, notamment sur les risques environnementaux, qui sont loin d'être négligeables. Deuxième facteur, seuls les pays possédant beaucoup de réserves d'eau peuvent utiliser ces nouvelles techniques ce qui préfigure d'un bouleversement stratégique aux dépens des pays arides et semi arides comme l'Algérie et les pays du Moyen orient. En effet, on sait que le forage et la fracturation hydraulique des puits peuvent nécessiter un apport d'eau considérable. Comme cette nouvelle donne affaiblit les négociations des pays producteurs qui ont réalisé des contrats à moyen et long terme pour le gaz conventionnel. 3.-Aussi, à terme, cette baisse des prix du gaz aura des incidences sur les rentrées en devises du pays, la stratégie gazière algérienne des GNL ayant fortement misé sur le marché américain. En plus , outre qu'il faille tenir compte du fait de ces investissements fortement capitalistiques , il convient de se poser la question de l'affection du surplus de rente aux autres secteurs sachant qu'uniquement pour Sonatrach qui procure 98% des recettes en devises du pays, le programme d'investissement pour les quatre/cinq prochaines années selon son planning est environ de 65 milliards de dollars, sous réserve qu'il n' y ait pas de réévaluation , montant auquel il faut ajouter 15 milliards de dollars minimum pour Sonelgaz soit au total 80 milliards de dollars . Face à cette situation, se pose alors tant pour les canalisations ( gaz naturel GN) que pour le gaz naturel liquéfié ( GNL), la question de la place de Sonatrach dans cet échiquier stratégique mondial, de la rentabilité financière pour l'Algérie qui vient de consacrer plus de dix milliards de dollars à la construction de deux GNL et des méthaniers , sans compter celles existantes qui nécessitent un renouvellement pour asseoir leurs rentabilités financières sachant que l'amortissement de l'investissement durant une conjoncture normale est de 10 ans minimum. Avec les prévisions internationales du prix du gaz entre 2010/2015, il sera impossible de rentabiliser ces installations de GNL dans des délais raisonnables et se pose la question des prévisions du ministère de l'Energie pour qui, qu'à partir de 2012 le pays allait connaître des recettes supplémentaires grâce au gaz de 7 milliards de dollars par an après la mise en service des complexes, tels que celui du GNL3, en construction dans la région d'Arzew de 4,7 millions de tonnes de GNL par an. Pour ces investissements, la rentabilité financière raisonnable suppose un prix entre 12/14 dollars le MBTU, comme au départ, il était prévu que Sonatrach approvisionne la côte Est des Etats Unis d'Amérique ce qui est remis en cause pour les raisons évoquées. En plus, il faut compter sur la concurrence du gaz conventionnel des nouveaux pays producteurs d'Afrique, d'Amérique latine, sur l'inévitable entrée de l'Irak, pays qui ont un énorme besoin de financement et surtout pour l'Algérie sur l'inévitable épuisement des réserves, rendant urgent d'inventer un nouveau modèle de consommation énergétique et ses conséquences sur tout l'appareil de production algérien et les comportements des consommateurs. Notre adaptation est donc une condition de survie pour les générations futures. Cela pose, dès lors, la question de la sécurité nationale (un débat national) et donc de l'urgence d'une gestion démocratique de cette ressource éphémère.
(1)-Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert international, conseiller et directeur d'Etudes des Ministères Industries Energie (1974/1980- 1990/1995- 2000/2006) Professeur d' université en management stratégique, auteur de trois ouvrages et de nombreuses contributions internationales sur la stratégie