Une guerre des devises semble se profiler à l'horizon et inquiète le FMI. A l'occasion d'une interview accordée au Financial Times et à deux jours de l'ouverture de l'assemblée annuelle du FMI, Dominique Strauss-Kahn dissuade les gouvernements d'utiliser le taux de change de leur monnaie "comme arme" face à la crise économique. "Il y a clairement cette idée qui commence à circuler que les monnaies peuvent être utilisées comme arme politique", a-t-il affirmé. Aussi, dans ce sens, les pays du G20 vont devoir se mettre d'accord sur un cadre pour une dévaluation du dollar bien réglée, seule façon d'éviter une guerre des monnaies qui semble poindre au vu des initiatives unilatérales prises ces derniers temps par divers pays. Après trois années de crise financière, les grandes puissances économiques, installées ou en devenir, font tout ce qu'elles peuvent pour affaiblir leur devise ou du moins en limiter la hausse, préjudiciable à leurs exportations. Robert Johnson, directeur de l'Institute for New Economic Thinking, financé par des fonds du milliardaire George Soros, estime que le G20 a besoin de se mettre d'accord en matière de changes en tenant compte de trois principaux groupes : les Etats-Unis et les grands pays consommateurs, les grands pays exportateurs (Allemagne, Chine et Japon) et les pays exportateurs en développement. "On est en phase de dévaluation compétitive", estime Robert Johnson, qui fut aussi économiste à la Commission bancaire du Sénat américain. "Ce qui est en jeu, c'est le réalignement des taux de change des pays émergents par rapport à ceux des pays développés, peut-être une appréciation de 20 à 25% sur un ou deux ans." "L'un des objectifs implicites des injections de liquidités par le G4 vise semble-t-il à faciliter l'affaiblissement de leurs devises", confirme David Shairp, chez JPMorgan Asset Management, dans une note à ses clients. Selon le fonds "tracker" EPFR, les flux placés sur les marchés obligataires émergents sont montés à près de 40 milliards de dollars depuis le début de l'année, contre moins de 700 millions de dollars pour les neuf premiers mois de 2009. Les flux nets vers les actions des marchés émergents au troisième trimestre se sont élevés à plus de 30 milliards de dollars. Cela représente une hausse de 50% par rapport aux six premiers mois de l'année. Selon les données ThomsonReuters, les fusions-acquisitions sur les marchés émergents, à 480 milliards de dollars cette année, sont en hausse de 63% par rapport à la même période de 2009. La multiplication des mesures d'ordre monétaire survient dans un contexte marqué par le maintien de taux d'intérêt extrêmement bas en Europe et par le fait que certains craignent une éventuelle dévaluation passive du dollar, par le biais de la planche à billets. Conséquence de cette situation, selon le ministre canadien des Finances Jim Flaherty, les changes constitueront, avec les problèmes de croissance mondiale, la priorité de l'ordre du jour de la réunion de vendredi des ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés (G7). Le Brésil, dont le ministre des Finances Guido Mantega a comparé les interventions sur les changes à une "guerre des monnaies", a décidé de doubler lundi, à 4%, la taxe sur les achats d'obligations brésiliennes par des investisseurs étrangers. Et ce afin d'endiguer la vigueur de sa monnaie, soutenue par des taux d'intérêt élevés et par les prometteuses perspectives de son secteur pétrolier. De son côté, la Banque du Japon (BoJ) a créé la surprise en ramenant ses taux d'intérêt à zéro et a annoncé la création d'un fonds de 5.000 milliards de yens (43 milliards d'euros) destiné à financer des achats d'actifs. Les autorités monétaires de plusieurs pays asiatiques ont également entretenu la tension en exprimant leur préoccupation croissante quant au risque d'une spéculation massive. La Corée du Sud a ainsi prévenu les investisseurs qu'elle pourrait imposer de nouvelles limites sur les dérivés de taux de change. La Banque de Corée et le Service coréen de surveillance financière ont dit qu'ils inspecteraient ensemble à la fin du mois les positions sur les dérivés de taux de change des banques opérant dans le pays. L'Inde et la Thaïlande ont, elles, dit réfléchir à des mesures destinées à maîtriser les fluctuations d'origine spéculative. "Je ne pense pas que l'on entre dans une période de guerre mondiale des monnaies mais il y aura des tensions, c'est sûr", a déclaré à la presse lundi soir le président de la Banque mondiale Robert Zoellick, en appelant à des mesures pour atténuer les dites tensions.