La "guerre des monnaies" s'envenime entre les principales économies de la planète, dont les ministres des Finances se sont retrouvé, hier à Washington pour débattre du sujet au sein du G20 et du G7, sans grand espoir toutefois d'y remédier cette semaine. Les dernières semaines ont donné lieu à une escalade verbale entre les dirigeants des pays riches et émergents du G20, qui s'accusent les uns les autres soit d'affaiblir délibérément leur monnaie pour favoriser leurs exportateurs, soit d'exercer des pressions indues pour que d'autres soutiennent leur monnaie. Le ministre brésilien des Finances Guido Mantega a été le premier à employer le 27 septembre l'expression de "guerre des changes", qui a depuis fait le tour de la planète. Même si les grands argentiers apparaissent désireux de s'attaquer au problème, la sensibilité des enjeux et la multitude des pays impliqués devraient permettre au mieux l'esquisse d'un de ces compromis non contraignants dont le G20 s'est fait la spécialité. "Cette question ne va pas être réglée en cinq minutes. C'est un problème de long terme", a prévenu jeudi le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. "Il faut faire des progrès. Certainement on peut en faire plus qu'on en a fait jusque-là", a-t-il remarqué. Plus alarmiste, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick a appelé à "s'extraire des tensions". "Si on laisse glisser la situation vers un conflit ou des formes de protectionnisme, alors on court le risque de répéter les erreurs des années 1930" marquées par des dévaluations intempestives et le nationalisme, a-t-il prévenu. Le G20 s'est engagé formellement en septembre 2009 à favoriser une "croissance équilibrée" de l'économie mondiale. Mais il est loin du compte, entre des Etats-Unis qui inondent leur système financier de liquidités, des Européens qui resserrent leur politique budgétaire, des Japonais qui interviennent pour faire baisser le yen, et des Chinois qui accumulent les réserves en devises étrangères pour que le yuan reste faible. M. Strauss-Kahn a appelé une nouvelle fois jeudi les pays émergents à laisser se faire l'ajustement entre des pays développés à la croissance lente et des pays émergents dynamiques par le biais des taux de changes. "Si tout le monde essaie d'exporter, nous allons avoir avoir un problème (...) Il faut que les pays à excédent apprennent à dépenser plus, et les pays à déficit à épargner plus", a lancé le président du CMFI, Youssef Boutros-Ghali. Le FMI a abaissé mercredi sa prévision de croissance mondiale pour 2011 à 4,2%, alors qu'il prédisait 4,3% en juillet. L'ajustement des budgets des pays industrialisés, grevés par la dette, devrait peser sur leurs économies, a souligné l'institution. La faible croissance intérieure des pays rend leurs économies dépendantes aux exportations, faisant planer la crainte d'une dépréciation intentionnelle de leurs monnaies pour soutenir les échanges. Les marchés émergents estiment quant à eux que les pays riches doivent prendre également leurs responsabilités. La Banque centrale européenne et la Banque d'Angleterre ont décidé jeudi de maintenir leur taux d'intervention à un niveau historiquement bas, et la Banque du Japon a abaissé le sien à zéro cette semaine. La Réserve Fédérale envisage quant à elle de faire davantage fonctionner la planche à billet pour racheter des actifs dans l'espoir de soutenir la croissance américaine et de faire baisser le taux de chômage. Mais une telle position a pour effet d'affaiblir le dollar et donc d'alimenter les tensions internationales. Depuis la mi-juin, le dollar a reculé de près de 13% contre un panier de devises, effaçant la plupart des gains enregistrés en début d'année quand les difficultés budgétaires des pays européens avaient encouragé la demande de valeurs refuge comme le dollar. Les investisseurs délaissent donc les Etats-Unis, qui génèrent de faibles retours sur investissement, et injectent leur argent dans des économies à fort potentiel de croissance comme le Brésil, contribuant ainsi à augmenter le prix des actifs et le taux d'inflation. Cité par l'agence Chine nouvelle, le gouverneur adjoint de la banque centrale chinoise Yi Gang a déclaré vendredi que Pékin voulait continuer de réformer son système tout en réaffirmant qu'une hausse trop rapide du yuan handicaperait son économie. La question des devises est symptomatique d'un malaise plus profond dans les économies développées, qui ne parviennent pas à dégager suffisamment de croissance pour résorber le chômage en dépit des dizaines de milliards de dollars consacrés à des plans de relance.