Le G8 refuse d'admettre son échec dans la gestion de l'économie mondiale qui traverse l'une des crises les plus tenaces et qui ne semble pas reculer. Les huit puissances économiques de la planète ont refusé d'abdiquer devant la montée en puissance des pays émergents représentés au sein du G20. A la fin de l'année dernière, nombreux étaient ceux, y compris certains responsables politiques, qui prévoyaient la disparition progressive du G8, en perte de légitimité dans un monde où les rapports de force sont bouleversés par la naissance de nouvelles puissances en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. «Le G8 a montré qu'il est capable de concevoir des approches crédibles pour relever les défis de notre temps. Pendant plus de 30 ans, il a montré que sa volonté collective peut être un catalyseur puissant du changement durable et du progrès», ont toutefois conclu ce week-end les dirigeants américain, russe, japonais, canadien, britannique, français, allemand et italien à l'issue de leur réunion. «Le G8 est un format confortable pour discuter des questions politiques, de la sécurité internationale et de la coordination des politiques extérieures. Il a de l'avenir», a insisté dimanche dernier le président russe, Dmitri Medvedev. Les pays émergents, eux, devront se contenter pour l'immédiat de la place qui leur a été accordée au G20, intronisé principal forum de coopération économique international. Au Canada, un sommet du G8 a précédé celui d'un G20 et il sera difficile aux grandes puissances de combattre l'idée que le deuxième groupe n'a peut-être d'autre fonction que d'entériner les orientations du premier. Manifestement, la force économique des douze pays émergents n'a pas pu se traduire en force politique à même de peser sur les décisions du G8 qui impose la marche à suivre et la cadence de l'économie mondiale. Cependant, si les pays émergents n'arrivent pas à imposer leur vision d'un nouvel ordre économique favorable à la majorité de l'humanité, ils ne cèdent pas au diktat du G8 quant aux choix qu'exigent leurs économies propres. Ceci s'explique par l'adoption de l'économie à la carte en raison de l'hétérogénéité des économies au sein du G20. Ainsi, le G20 a pris acte de ce constat, d'où le plaidoyer en faveur des mesures à la carte pour chacun. Le long communiqué final publié dimanche dernier est éloquent sur les signes de cette diversité. «Nous sommes résolus à prendre des mesures concertées pour soutenir la reprise […] Ces mesures seront différentes pour chaque pays et tiendront compte des circonstances nationales», affirment les chefs d'Etat et de gouvernement du G20. Mieux, sur la taxe spécifique au secteur bancaire, chacun peut faire ce qu'il veut. «Certains pays imposent une taxe financière tandis que d'autres ont choisi une approche différente», se satisfait le G20. Se voulant positif, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a expliqué que toutes ces références à la «situation particulière de chaque pays» se justifiaient. «On voit bien l'intérêt qu'il y a à gagner de la croissance, si chacun fait ce qu'il a à faire», a-t-il déclaré après le sommet. C'est cet état d'esprit qui a amené le G20 à adopter, sur le sujet polémique des déficits budgétaires, une formule lancée quelques semaines auparavant par les Américains : «des plans de consolidation favorables à la croissance». Un même terme pour désigner les plans d'austérité européens et les engagements plus tièdes de Washington. Et pour ne froisser personne, quand il y a consensus pour qu'un pays seul agisse dans une direction que lui indique tout le monde, il n'est pas nommé. Le G20 a ainsi appelé à «accroître la flexibilité du taux de change dans certains marchés émergents». Tout le monde sait que cela ne concerne que la Chine, seul membre du groupe à ne pas avoir de monnaie flottant librement si on excepte l'Arabie saoudite dont la politique de taux de change ne pose de problème à personne. L'avantage de ce G20 à la carte sera de permettre à chacun de revendiquer une victoire de retour chez lui. «Les pays émergents ont été tout à fait pris en compte dans le communiqué, nos positions sont toutes là», a claironné le ministre des Finances brésilien Guido Mantega, chef de délégation en l'absence de son président Luiz Inacio Lula da Silva. «Ce qui est déjà extraordinaire, c'est qu'on ne nous empêche pas de le faire et ça fera tache d'huile», a estimé le président français Nicolas Sarkozy, au sujet d'une taxe bancaire que les Européens voulaient pourtant vendre au reste du monde. «Le G20 est une composante essentielle de la stratégie de l'administration Obama pour assurer la reprise mondiale», s'est félicitée la Maison-Blanche. Une exception japonaise a été consacrée à Toronto. Tokyo a obtenu «davantage de latitude» que les autres dans des objectifs de réduction de la dette publique exagérément ambitieux pour ce pays parmi les plus endettés au monde. Mais le plus satisfait était encore l'hôte canadien, estimant avoir obtenu tout ce qu'il avait souhaité. «Ici, on a franchi des étapes importantes, des étapes que le Canada recherchait», a déclaré le Premier ministre Stephen Harper au moment de clore le sommet. Le G20 a rendez-vous pour un nouveau sommet dans moins de cinq mois à Séoul, un temps court entre deux rencontres de cette importance. «La crise s'estompe et il est plus difficile d'arriver à un consensus», prévient pourtant Alan Alexandroff, de l'Université de Toronto. En 2011, la France accueillera un sommet du G8 au printemps, un du G20 en novembre. La séparation des deux réunions flattera l'ego des nouveaux membres admis à participer à la gouvernance mondiale. Mais elle sera aussi la preuve que le G8 reste incontournable. «Le G20 a fait un superbe boulot pour contrer la crise économique mais il y a franchement des limites à ce que vous pouvez faire et obtenir dans un groupe de 20», a résumé le Premier ministre canadien Stephen Harper, pour qui les pays du G8 ont une capacité de réponse que d'autres n'ont pas. «Personne ne peut être surpris de voir que nous n'obtenons pas de consensus total au sein du G20 d'un jour sur l'autre», a renchéri la chancelière allemande Angela Merkel. Autre défenseur ardent du maintien du G8, notamment parce que Pékin n'en fait pas partie, le Japon a proposé ce week-end d'y associer «au coup par coup»… la Chine. Une manière sans doute d'éviter les critiques à l'égard d'un club trop refermé sur lui-même. Le repositionnement global du G8 ne surprend pas Jenilee Guebert, spécialiste des instances internationales à l'Université de Toronto, pour qui un partage des rôles avec le G20 n'est pas illogique. Juan Gabriel Tokatlian, professeur de relations internationales à l'Université argentine Di Tella, critique, lui, «une bureaucratie de vieux acteurs gardant le pouvoir de rebondir» sur la scène internationale. «Les Etats-Unis et l'Union européenne conservent un dialogue très fort et jugent préférable de reprendre les rênes» de la gouvernance mondiale, estime-t-il. Acteur majeur de la nouvelle scène internationale qui se dessine, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a renoncé en dernière minute à venir au sommet du G20 de Toronto. Officiellement en raison de graves inondations dans le nord-est de son pays. Pour Juan Gabriel Tokatlian, son absence pourrait toutefois aussi refléter une «certaine désillusion des émergents» à l'égard d'anciennes puissances peu disposées à partager leurs prérogatives, comme l'a montré la récente initiative restée sans lendemain du Brésil et de la Turquie pour atténuer la crise du nucléaire iranien. A. G.